Les "deals" voulus par Donald Trump en Afrique : des accords gagnant-gagnant ?
On ne s’y attendait pas. Le président américain Donald Trump a accueilli cette semaine, lors d’un mini-sommet, les dirigeants de cinq pays d’Afrique. Un déjeuner de travail qui réunissait les présidents de Mauritanie, de Guinée-Bissau, du Libéria, du Sénégal et du Gabon. Thierry Vircoulon, chercheur associé au sein du Centre Afrique subsaharienne, revient sur cette rencontre inédite.

Une surprise ? "C’est vrai qu’on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait si rapidement des rencontres organisées à ce niveau", analyse Thierry Vircoulon chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). "Cependant, dès qu’il est arrivé au pouvoir à la Maison-Blanche, Donald Trump a mis l’accent sur les mesures protectionnistes et donc sur la politique commerciale. Et cette politique commerciale concerne également l’Afrique".
Très vite au moment d’ouvrir le déjeuner de travail, Donald Trump a donné la couleur : ces cinq pays sont des lieux "dynamiques avec des terres de très grande valeur, de super minerais, des grandes réserves de pétrole, et des gens merveilleux".
Dans sa logique de politique transactionnelle, Donald Trump privilégie les investissements stratégiques, avec la volonté de défendre "The America first" (l’Amérique d’abord).
Fini "la charité", l’administration Trump ayant fortement réduit la contribution américaine à l’aide internationale, notamment dans de nombreux pays d’Afrique où l’USAID, l’agence de développement international, apportait son soutien.
Pourquoi pas. D’aucuns éditorialistes dans la presse en Afrique, notamment du quotidien sud-africain Mail & Guardian, appellent à sortir de la relation victimaire qu’entretient le continent avec l’Occident et les Etats-Unis. Pour autant, les accords en perspectives sont-ils équilibrés ?
5 pays d’Afrique riches en minerais
De fait, ces cinq pays d’Afrique sont riches en minerais, notamment en or ou en terres rares, des composants critiques pour l’économie mondiale. Une richesse que les dirigeants respectifs ont cherché à vanter lors d’un tour de table : "Nous avons du manganèse, de l’uranium, et nous avons de bonnes raisons de penser que nous avons du lithium", a déclaré le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a lui "tenu à rassurer tous les investisseurs américains sur la stabilité politique" de son pays et sur "son environnement réglementaire favorable", avant de souligner ses riches ressources en pétrole et gaz naturel.
"Nous avons des réserves de pétrole et de gaz, et nous voudrions que ces ressources soient exploitées" a surenchéri de son côté le président gabonais, Brice Clotaire Oligui Nguema. Le Gabon étant également un gros producteur mondial de manganèse, un minerai essentiel pour la fabrication de batteries.
Des "deals donnant-donnant"
Ce qui intéresse l’administration Trump, c’est de réussir à faire des deals. "Investissements miniers américains contre soit, le rapatriement de migrants illégaux, soit l’aide sécuritaire", explique Thierry Vircoulon. "Comme la Chine l’avait fait en son temps, des deals axés sur les ressources naturelles contre l’infrastructure. Et la Russie, des deals axés sur les ressources naturelles contre la sécurité."
L’administration américaine a fait pression sur les cinq dirigeants pour qu’ils accueillent des migrants en situation irrégulière expulsés des États-Unis. Selon une source sous couvert d’anonymat, le gouvernement libérien "se préparerait à accueillir" des migrants dans sa capitale, Monrovia. Mais à ce jour, il est impossible de savoir si l’un de ces cinq pays a accepté le plan de l’administration Trump.
Huit ressortissants – originaires de Cuba, du Laos, du Mexique, de Birmanie, du Soudan et du Vietnam – sont déjà arrivés à Djouba, la capitale du Soudan du Sud, après avoir perdu aux Etats-Unis une bataille juridique visant à stopper leur transfert.
La question sécuritaire liée à la menace djihadiste dans la région du Sahel a également été abordée, mais est restée à ce stade confidentielle.
Une vision du développement contestée
Ces "deals" sont-ils gagnant-gagnant ? Pour le chercheur à l’Ifri, ces deals reposent sur une vision du développement qui est contestée. "L’idée que les investissements étrangers dans les secteurs extractifs vont permettre à ces pays de se développer est contredite à la fois, par l’expérience empirique et par un certain nombre d’économistes qui considèrent que l’économie minière est une économie d’enclave, qu’elle n’a pas un vrai pouvoir d’entraînement sur le reste du processus de développement".
Cette vision erronée du développement – pour autant que le développement soit l’objectif de ces cinq dirigeants africains – l’est d’autant plus qu’elle repose sur un dialogue asymétrique, nourri de gestes de Donald Trump perçus comme une humiliation.
"C’est l’autre élément fort qui est sorti de cette rencontre", estime Thierry Vircoulon. "La confrontation avec un président qui dit des choses sans comprendre qu’elles sont racistes".
Humiliation
Sur les réseaux sociaux et dans l’opinion publique des cinq pays concernés, plusieurs gestes du président américain ont été vilipendés. Notamment, lorsqu’il a complimenté le président du Liberia, Joseph Boakai, pour son niveau d’anglais, alors qu’il s’agit de la langue officielle de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Joseph Boakai affirme de son côté qu’il ne "l’a pas mal pris".
Ou encore la photo officielle de la Maison Blanche qui montre Donald Trump assis derrière son bureau, entouré des cinq chefs d’État africains debout, la casquette MAGA (Make America Great Again) au premier plan. Une humiliation de plus, après que le président Sud-Africain, Cyril Ramaphosa, a dû supporter dans ce même bureau ovale, des accusations mensongères de "génocide" contre des blancs en Afrique du Sud.
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D’un autre côté, la richesse des sous-sols ne suffit pas. "Il y a évidemment la question du climat des affaires, de la gouvernance économique qui est très problématique dans ces pays", souligne Thierry Vircoulon. "Par conséquent, la perspective d’investissements américains reste assez limitée."
"Ce sont des régimes tout à fait modestes"
Aucun des grands acteurs du continent, tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte et l’Éthiopie, les plus grandes économies, n’a été invité. Et pour cause, tous sont membres ou associés au BRICS, ce regroupement de pays émergents qui cherchent une alternative au système occidental et américain.
L’Afrique du Sud en particulier est menacée de nouveaux droits de douane qui devraient entrer en vigueur le 1er août, car selon Donald Trump, Pretoria accuse des déficits commerciaux avec les États-Unis.
Les cinq invités triés sur le volet autour de la table n’entrent pas dans cette catégorie de pays. "Ce sont des régimes tout à fait modestes", souligne Thierry Vircoulon, "des régimes qui ne sont alignés ni à Beijing ni à Moscou".
Des pays qui constituent donc une cible facile à atteindre, pour faire des deals… et pour contrer également l’influence chinoise et russe en Afrique ?
Contrer la Chine et la Russie ?
Donald Trump souhaite en effet discuter affaires avec l’Afrique dans l’espoir de contrer la Chine. Et "il y a évidemment une tentative de mener une contre-offensive par rapport à l’implantation de Moscou en Afrique de l’Ouest", ajoute Thierry Vircoulon.
Sur le plan économique, en raison des sanctions économiques occidentales imposées depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a perdu des contrats en Afrique (cf. étude de Thierry Vircoulon de l’Ifri).
Mais sur le plan sécuritaire, face aux menaces djihadistes, Moscou maintient son influence, notamment dans la région du Sahel, en proposant une alternative sécuritaire aux puissances occidentales avec des entités de combattants comme Africa Corps (qui a succédé au groupe Wagner).
Quant à la Chine, elle est le premier partenaire commercial bilatéral de l’Afrique. Encore mieux, elle atténue l’impact des droits de douane américains sur le continent. Elle a annoncé le mois dernier qu’elle suspendrait les taxes sur les importations de la quasi-totalité de ses partenaires africains, à l’exception de l’Eswatini (anciennement Swaziland), pays ami de Taïwan, que Pékin menace de faire entrer dans le giron chinois.
Cependant, "Washington a une marge de manœuvre en Afrique", selon le chercheur à l’Ifri, d’autant plus que "les investissements chinois sont en recul sur le continent depuis la pandémie de Covid".
Accord signé entre la RDC et le Rwanda sous l’égide des Etats-Unis
L'"accord de paix" signé le 27 juin entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) sous l’égide des Etats-Unis est un signe qu’il y a une volonté américaine d’occuper le terrain là où la Chine est déjà présente.
Les américains promettent des investissements importants dans les deux pays, notamment au Nord et au Sud-Kivu (une zone à l’est de la RDC en conflits depuis 30 ans), à Manono dans le Tanganyika, où les sols renfermeraient la plus grande réserve de lithium d’Afrique. La mine de coltan de Rubaya (Nord-Kivu), sous contrôle du groupe armé M23 les intéressent aussi.
Une initiative crédible ? "Cet accord de paix (un processus en trois volets – trois temps, ndlr), traite la question centrale de cette région troublée des Grands Lacs. C’est la question de la guerre économique", analyse Thierry Vircoulon. "Et donc de ce point de vue, pour espérer y mettre fin, la focale de cet accord est bien identifiée". Cependant, la réussite d’un tel accord nécessite une mise en œuvre crédible des trois étapes, en trois temps. Ce qui est loin d’être acquis.
À l’issue de ce mini-sommet, aucun contrat n’a été signé. Mais inespérée, cette rencontre en tête-à-tête avec Donald Trump a été saluée par les cinq dirigeants qui en ont fait leur communication.
Attendons de voir si les décisions de Donald Trump sur le continent (comme ailleurs) sont destinées à faire beaucoup d’éclat ou à apporter des résultats concrets.
>Retrouvez l'intégralité de cet article sur le site de RTBF.
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