Madagascar : « La Gen Z rappelle au pouvoir de transition qu’il n’a pas de chèque en blanc »
Après la révolte de la Gen Z malgache, qui est parvenue à faire tomber le régime d’Andry Rajoelina, Thierry Vircoulon montre que, passé la révolte numérique, le défi réside dans la transition qui mènera, ou non, à une refondation solide. Et que la Gen Z doit s’organiser, afin d’y veiller sérieusement.
Après des semaines de manifestations de la jeunesse, l’armée a porté le coup de grâce au régime d’Andry Rajoelina en prenant fait et cause pour les manifestants. La pression conjointe de la jeunesse, d’une partie des syndicats et de l’armée a mis fin à un régime en pleine dérive kleptocratique et autoritaire.
À l’inverse du Népal, où une première ministre intérimaire a été désignée sur la plateforme Discord, à Madagascar le pouvoir d’État est tombé dans l’escarcelle de l’armée. Le colonel Michaël Randrianirina a été investi président par la Haute Cour constitutionnelle le 17 octobre et entend diriger un « gouvernement de refondation ».
On trouve dans la révolte de la Gen Z malgache les mêmes ingrédients que dans les autres pays confrontés à cette vague de contestation numérique (Kenya, Népal, Maroc, Sri Lanka, Indonésie, etc.) : une population majoritairement jeune (64 % des Malgaches ont moins de 25 ans), des réseaux sociaux offrant un nouvel espace public, une hausse de la pauvreté (75 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté), un régime kleptocratique et autoritaire et une dénonciation de la corruption de la classe politique.
L’enjeu de l’organisation de la Gen Z
Face à la révolte de la jeunesse, le nouveau pouvoir a opté pour une transition très classique en deux ans maximum avec trois étapes obligées : concertation nationale, référendum constitutionnel et élections générales. Si la crise est nouvelle, la sortie de crise ne l’est pas, Madagascar ayant eu son lot de transitions depuis son indépendance en 1960. Depuis le début du siècle, c’est la troisième crise politique dans la Grande Île.
Cette transition va devoir relever quatre défis avant la fin de l’année. Le premier défi concerne la Gen Z. Mouvement contestataire spontané, horizontal, anti-institutionnel, il ne peut s’installer dans la durée qu’en s’organisant. Les multiples collectifs Gen Z, qui sont nés sur les réseaux sociaux et se sont rencontrés dans les manifestations, doivent se structurer et se coordonner afin de porter leurs revendications lors de la future concertation nationale et même après.
Ils peuvent pour cela compter sur l’appui de certaines organisations de la société civile, mais cette structuration est complexe et fera inévitablement surgir les clivages qui traversent la jeunesse malgache.
Satisfaire les revendications
Le second défi concerne les autorités de transition. Elles doivent apaiser la colère sociale en satisfaisant certaines des revendications du mouvement contestataire. Certaines, car il serait illusoire de vouloir toutes les satisfaire en seulement deux ans. Sur le plan socio-économique, l’eau et l’électricité sont des priorités, mais aussi la santé, l’enseignement et l’emploi. Face au délabrement du système éducatif, les jeunes réclament de meilleures conditions d’enseignement et un emploi après leurs études.
Sur le plan politique, la lutte contre la corruption est la revendication principale du mouvement contestataire, qui attend non seulement des condamnations contre les dignitaires du régime d’Andry Rajoelina, mais aussi une véritable baisse de la corruption structurelle qui gangrène Madagascar.
De ce fait, à court terme, deux dossiers vont constituer des tests symboliques pour l’opinion publique : l’amélioration de la fourniture d’eau et d’électricité par l’entreprise publique Jirama et le sort du grand argentier du régime précédent, Mamy Ravatomanga.
Le troisième défi est celui de la concertation nationale. À chaque crise politique, il y a eu à Madagascar une concertation des « forces vives de la nation ». Sans grand résultat. Cette formule politique paraît usée et il va falloir convaincre l’opinion que, cette fois-ci, les forces vives de la nation seront véritablement écoutées. Pour être différente des autres, cette concertation doit voir ces conclusions appliquées.
Changement de gouvernance
Le quatrième défi est celui du financement de la transition. Le nouveau pouvoir va devoir élaborer un budget 2026 qui permette d’assurer les dépenses de fonctionnement et de satisfaire les revendications socio-économiques qui se multiplient. Plusieurs catégories de fonctionnaires sont en grève et réclament des hausses de salaire ou le paiement d’arriérés. Le tout dans une conjoncture économique défavorable.
La Gen Z se voit comme un contre-pouvoir et rappelle au pouvoir de transition qu’il n’a pas de chèque en blanc : elle reste vigilante. Elle a compris que chasser des gouvernants kleptocratiques et autoritaires est une chose, mais que les remplacer par des gouvernants intègres et efficaces en est une autre. Défiante à l’égard de la classe politique, elle réclame le vrai changement, pas seulement le changement des visages du pouvoir mais le changement de gouvernance qui va améliorer ses conditions de vie. Ses commentaires sur les membres du nouveau gouvernement exprimés sur les réseaux sociaux ne disent pas autre chose.
Les cadets sociaux n’hésitent pas à dénoncer les aînés politiques et sont conscients que leur révolte est à la croisée des chemins : elle peut se réduire à une sorte de jacquerie moderne numérique ou aboutir à un changement de gouvernance. Pour cela, la Gen Z va devoir s’organiser et maintenir une forte pression politique.
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