Reprise des essais nucléaires américains : « On ne fait pas de rodomontade avec des armes nucléaires »
Alors qu’il s’apprêtait à rencontrer son homologue chinois Xi Jinping en Corée du Sud, Donald Trump a ordonné de recommencer les essais nucléaires. Cette déclaration, qui s’inscrit dans le durcissement de ton de Washington face à Moscou, « est hasardeuse de la part d’un président américain », estime Jean-Louis Lozier, spécialiste de la dissuasion nucléaire.
Assiste-t-on à une nouvelle escalade dans la rhétorique nucléaire comme au temps de la guerre froide ? La question se pose, alors que le président américain Donald Trump a ordonné jeudi 30 octobre, juste avant sa rencontre avec son homologue chinois Xi Jinping, la reprise des essais nucléaires aux Etats-Unis, après trente-trois ans d’interruption. Une déclaration qui n’a pas manqué de faire réagir Moscou. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a souligné que les récents tests d’un drone sous-marin capable d’emporter une charge nucléaire et d’un missile de croisière à propulsion nucléaire ne pouvaient pas « être considérés comme un essai nucléaire », tandis que le président russe Vladimir Poutine revendiquait le contraire un peu plus tôt… Face à cette annonce qui n’a pas été étayée, l’interrogation demeure.
Jean-Louis Lozier, ancien officier de marine, ex-chef de la division « forces nucléaires » de l'état-major des armées (2012-2014) et désormais conseiller du Centre des Etudes de Sécurité de l'Institut français des Relations internationales, spécialisé dans la dissuasion nucléaire, revient sur cette séquence pour « le Nouvel Obs ».
Comment interpréter l'annonce de Donald Trump de vouloir relancer les essais nucléaires ?
La première question est de savoir ce que Donald Trump veut vraiment dire. Quand il évoque la reprise des essais nucléaires sur une base égale avec d'autres puissances, autrement dit la Chine et la Russie, faut-il comprendre qu'il souhaite relancer les essais des vecteurs nucléaires, comme en réponse aux tests russes de Poséidon [drone sous-marin à capacité nucléaire] et Bourevestnik [missile de croisière à propulsion nucléaire] ? Les Etats-Unis font régulièrement des essais de leurs vecteurs nucléaires sans que Trump n'en fasse un enjeu politique. Ça peut être une interprétation, mais ça ne me paraît pas la plus judicieuse, parce que le président américain n'est jamais rentré dans ce dialogue avec Vladimir Poutine.
L'autre interprétation serait la reprise d'essais d'armes nucléaires [ce qui constituerait une première aux Etats-Unis depuis 1992]. Washington soupçonne Moscou et Pékin de réaliser depuis quelques années des essais de faible puissance. Un flou existe dans l'interprétation du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires [TICEN, ouvert à la signature en 1996 mais pas ratifié par un nombre suffisant d'Etats]. Les Russes et les Chinois semblent voir ça comme une possibilité de faire des essais de faible puissance, là où les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni les considèrent interdits dès qu'il y a une fission critique.
Où en est vraiment la « prolifération nucléaire » ?
SI les Etats-Unis adoptent la même façon que la Russie et la Chine, ce serait là une violation à leur lecture du TICEN [que Washington a signé mais pas ratifié]. Avec plus de mille essais nucléaires et un programme scientifique performant, ils n'ont pas besoin de ces essais. On peut donc penser que Trump cherche à rentrer dans un dialogue stratégique avec la Russie et la Chine. Une situation qui risque de relancer la course aux essais nucléaires chez d'autres pays, comme la Chine, la Corée du Nord ou l'Inde, qui ont tout intérêt à reprendre les essais nucléaires. Et la Russie aussi. Mais, avant de hurler au feu, il faut attendre de comprendre ce qu'il voulait dire. Pourquoi le fait-il maintenant ? Trump voit bien que, finalement, dans son dialogue avec le Kremlin, il n'a pas réussi à amener la Russie à respecter un cessez-le-feu en Ukraine et que Moscou, au contraire, semble le narguer avec ses essais. Concernant la Chine, il voit qu'il reste dans un bras de fer. Pour l'instant, Pékin ne cède sur rien. On voit la pression qu'il essaie d'exercer avec les droits de douane, la Chine ne plie pas. Donc, ça peut être un moyen d'essayer de faire pression pour ramener les deux sur la table des négociations.
Est-ce que l'annonce de Donald Trump s'inscrit dans sa stratégie de « président de la paix » ?
Ça peut faire partie du dialogue stratégique qu'il veut avoir avec les présidents russe et chinois. On voit qu'il est dans un rapport de force, donc ça peut s'inscrire dans cette idée. Mais je crains sincèrement que ça n'impressionne pas le président russe, qui va uniquement vouloir y répondre en reprenant lui aussi les essais. D'autant plus que l'on sait depuis longtemps que la dissuasion nucléaire russe est capable d'atteindre les Etats-Unis. Et le président russe pourra dire que ce n'est pas la Russie qui a rompu les accords, mais les Etats-Unis. Ce qui peut donner le beau rôle à Moscou. Peut-on être inquiet de la situation ? Si on va vers un détricotage des traités, qui ont permis une meilleure stabilité mondiale pendant une vingtaine d'années, on peut être inquiet. Le président russe s'est précipité d'en tricoter certains [Vladimir Poutine a acté la sortie de la Russie du TICEN en novembre 2023]. Et là, on voit que ça pourrait être les Etats-Unis qui prendraient l'initiative d'aller plus loin encore dans le détricotage.
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> Lire l'entretien dans son intégralité sur le site du Nouvel Obs.
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