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"On reste inaudibles": les partisans du désarmement nucléaire tentent de faire bouger les lignes pour les 80 ans d'Hiroshima

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citée par Florent Bascoul pour

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De nombreuses commémorations sont organisées ce mercredi 6 août pour les 80 ans des bombardements d'Hiroshima. Le mouvement pour l'interdiction des armes nucléaires participe à cet anniversaire mais peine à faire avancer sa cause. En France, les partisans de ce désarmement voient le contexte géopolitique actuel comme un moment décisif.

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"Plus jamais Hiroshima, plus jamais Nagasaki". Le Japon commémore mercredi 6 août et samedi 9 août les 80 ans des largages des bombes atomiques ayant mis fin à la Seconde guerre mondiale. Les déflagrations dévastatrices ont fait plus de 250.000 victimes sur le coup. Plus de 310.000 personnes ont été irradiées.

Parmi les rescapés des bombardements, appelées les hibakusha, certains sont devenus de fervents militants du pacifisme et de farouches opposants à l'arme nucléaire. Le prix Nobel de la Paix 2024 a d'ailleurs été attribué à Nihon Hidankyo, un mouvement fondé en 1956 réunissant de nombreux survivants irradiés promouvant un monde sans menace nucléaire à travers leurs témoignages. Sept ans auparavant, le prix Nobel de la Paix 2017 avait été accordé à l'Ican, un collectif international réunissant 570 organisations non-gouvernementales promouvant le désarmement nucléaire.

Un traité ambitieux mais impuissant

Il existe une branche de l'Ican en France depuis 2009. Elle réunit une cinquantaine d'associations qui organisent de nombreux événements pour cet anniversaire, à Paris, Marseille, en Bretagne, ou en Bourgogne-Franche-Comté. "Nous voulons sensibiliser la société civile aux risques liés aux armes nucléaires et témoigner de notre solidarité envers les victimes des bombardements et des plus de 2.000 essais nucléaires", résume Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire de l’armement et co-porte-parole de l’Ican France.

Il reconnaît que le collectif et ses associations éprouvent des difficultés à faire passer leur message en ce moment. "C’est une période compliquée. Depuis 2014 et l’invasion de la Crimée, puis du reste de l’Ukraine, la Russie utilise une rhétorique de la menace nucléaire pour faire pression sur les pays qui voudraient aider l’Ukraine à se défendre. Ce regain de tension rend le débat sur le désarmement nucléaire très difficile".

Le sénateur écologiste Guy Benarroche, qui a fait de la lutte contre le nucléaire militaire et civil, l'un de ses combats dès les années 70, reconnaît que l'opinion publique est encore peu réceptive. "Les gens nous écoutent parce qu'il y a des conflits armés où l'on parle de menace nucléaire, mais on reste inaudibles. Beaucoup d'élus sont encore favorables à cet armement".

Le collectif cherche un soutien populaire pour pousser la France à s'engager dans le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (Tian). Ce texte approuvé par l'Assemblée générale des Nations unies en juillet 2017 avec le soutien de 122 pays est entré en vigueur en janvier 2021. Actuellement, 73 États l'ont ratifié, dont l'Autriche et l'Irlande. Ce traité interdit notamment à ses membres de "mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires".

Les États membres du Tian se réunissent tous les ans et demi à New-York au siège des Nations unies pour faire évoluer le texte et rendre compte des travaux d'experts sur l'armement nucléaire. Par le passé, l'Allemagne y a assisté en tant qu'observateur mais elle n'y a envoyé aucun représentant en mars dernier lors de la dernière réunion. Guy Benarroche s'y est rendu en son nom. Avec 53 autres députés et sénateurs (communistes, écologistes, insoumis et socialistes), il a signé une tribune réclamant la participation de la France. Une initiative restée vaine.

Critiques contre la stratégie de non-prolifération

En dépit de son entrée en vigueur, les effets de cette convention onusienne sont faibles puisque les puissances détentrices de l'arme nucléaire plébiscitent un autre texte: le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, il est reconnu par la quasi-totalité des États, exceptés l'Inde, Israël, le Pakistan, le Soudan du Sud et la Corée du Nord.

Le TNP impose à ses membres de renoncer à l'acquisition de l'arme nucléaire hormis aux cinq membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU (France, Royaume-Uni, États-Unis, Chine et Russie). Il prône également des négociations pour la réduction des stocks d'armes et facilite l'accès aux programmes de nucléaire civil.

Pour Patrice Bouveret, le TNP fait montre de son inefficacité. "Il y a eu un échec de la non-prolifération puisqu'il n'a pas empêché d'autres États de développer leurs programmes. Par ailleurs, alors que l'article VI prône un désarmement général, on constate depuis les années 2000 que l’ensemble des neuf puissances nucléaires renforcent ou renouvellent leurs arsenaux".

Maîtrise nucléaire menacée

Les États dotés d'armes nucléaires ont pourtant su faire des concessions comme l'explique Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Ifri (Institut français des relations internationales) et responsable du programme de recherche Dissuasion et prolifération.

"Le traité d’interdiction partielle des essais nucléaires en 1963 est le fruit d’un accord entre les États-Unis et l’Union soviétique pour réduire le risque de prolifération. En interdisant les essais atmosphériques et sous-océaniques, ils rendaient plus difficiles les programmes de développements d’arsenaux nucléaires".

Ce traité a été complété à la fin des années 1990 par le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). "La France l’a signé après avoir mené ses derniers essais en 1996 pour récolter des données scientifiques lui ayant permis a posteriori de poursuivre son programme en simulation. La Russie a révoqué sa ratification il y a deux ans. Par ailleurs, le traité New START sur le désarmement nucléaire expire en février 2026", ajoute la chercheuse qui estime que l'on assiste "à un détricotage de la maîtrise nucléaire".

"Incompatible" avec le contexte international

Le ministère des affaires étrangères a profité justement d'une question écrite du sénateur Benarroche pour réaffirmer la position de la diplomatie française par rapport au TNP dans une réponse publiée le 17 juillet.

"L'approche de ses promoteurs n'est pas compatible avec notre approche réaliste et progressive du désarmement nucléaire, qui suppose de tenir compte de l'environnement stratégique. Or celui-ci est marqué depuis plusieurs années par la multiplication des menaces à la sécurité et la stabilité internationales", a expliqué le ministère citant "les crises de prolifération nucléaire" avec les exemples de la Corée du Nord ou de l'Iran. Le Quai d'Orsay a aussi évoqué la Russie.

"Avec le retour de la guerre sur le continent européen, la dissuasion nucléaire demeure la garantie de notre indépendance et de notre souveraineté", a ajouté le ministère des affaires étrangères.

En dépit du refus réitéré de la France de s'engager dans le Tian, l'actualité a remis l'armement nucléaire dans le débat public.

"La parole s’est libérée autour des armes nucléaires à la faveur de la guerre en Ukraine. Pendant plusieurs dizaines d’années, ce n’était plus évoqué dans le débat public alors que dans les années 70, vous pouviez voir à la télévision un reportage d’un quart d’heure sur les missiles nucléaires tactiques français", rappelle Héloïse Fayet.

En conséquence, le sujet est tombé dans l'oubli et la culture stratégique de l'armement nucléaire en a été affaiblie. "Cela se manifeste par les surréactions aux propos des officiels russes mentionnant leur armement, ou les incompréhensions suscitées par les propos d’Emmanuel Macron sur la dissuasion nucléaire européenne", illustre la chercheuse.

Dissuasion, un terme qui a encore du sens?

Les experts mandatés par le Tian s'intéressent à l'aspect dissuasif de la menace nucléaire comme nous l'explique le sénateur Guy Benarroche. "On attend les conclusions de ces travaux mais aujourd'hui, lorsque l'on voit les rapports géopolitiques, les déclarations, on peut considérer que cet armement n'est plus dissuasif mais que des États détenteurs peuvent être tentés de s'en servir", résume-t-il.

Pessimiste, le parlementaire craint le pire. "C'est malheureux mais il faudra peut-être que nous vivions l'utilisation d'armes nucléaires pour s'apercevoir que le Tian est pertinent".

La chercheuse Héloïse Fayet considère que la dissuasion nucléaire "continue de porter ses fruits pour empêcher les conflits de très grande intensité", mais reconnaît des bouleversements.

"Les armes nucléaires existent seulement pour protéger les intérêts vitaux d’un pays, dans le cadre de doctrines défensives. Les armes nucléaires ne sont pas censées être utilisées pour attaquer des États. Or, on observe l’émergence de doctrines coercitives comme avec la Russie depuis trois ans".

La chercheuse poursuit: "La Russie s’est servie de la menace du recours à des armes nucléaires pour limiter l’intervention des États de l'Otan au profit de l’Ukraine, alors que la survie de la Russie n’était pas en jeu. Cette pratique a permis de circonscrire les combats au territoire ukrainien".

Le Quai d'Orsay a conclu sa réponse à la question parlementaire en indiquant que la France "s'efforcera de travailler avec ses partenaires au succès de la conférence d'examen de 2026 [du TNP] et à la promotion d'une approche réaliste et progressive, du désarmement, la seule qui permettra d'avancer vers l'objectif ultime d'un monde sans armes nucléaires".

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Florent Bascoul

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Héloïse FAYET

Héloïse FAYET

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Chercheuse, responsable du programme dissuasion et prolifération, Centre des études de sécurité de l'Ifri