08
fév
2010
Éditoriaux de l'Ifri Lettre du Centre Asie
Gilles BOQUERAT

Vers la création de nouveaux Etats en Inde ? Lettre du Centre Asie, n° 49, février 2010

En annonçant le 9 décembre 2009 le lancement du processus de création de l'Etat du Telengana, situé dans la partie occidentale de l'actuel Andhra Pradesh, le ministre de l'Intérieur indien, P. Chidambram, a relancé le débat sur l'opportunité de créer de nouveaux Etats au sein de l'Union Indienne. L'Andhra Pradesh (le pays des Andhras) est le quatrième Etat indien par la superficie et le cinquième en termes démographiques.

Vers la création de nouveaux Etats en Inde ?

Cette annonce gouvernementale était la réponse, presque inespérée, à la grève de la faim menée par K. Chandrasekhar Rao, le président du Telengana Rashtra Samithi (Association nationale du Telengana). Un parti qu'il avait fondé en 2001 après avoir quitté le Telugu Desam Party, le parti régional dominant. Si le jeûne est une méthode d'action politique assez régulièrement pratiquée en Inde, le cas présent fut l'occasion de se remémorer celui mené en 1952 par Potti Sriramulu pour la création d'un Andhra Pradesh constitué des régions de langue telugu de la Présidence de Madras. Le décès de Potti Sriramulu, au bout de 58 jours de grève de la faim, ne fut pas vain puisque sous la pression populaire, l'Andhra Pradesh fut créé en 1953 avec Kurnool pour capitale.

En 1956, le processus national de réorganisation des Etats conduisit à l'adjonction de la région enclavée du Telengana à l'Andhra Pradesh. Le facteur linguistique fut l'élément dominant dans ce processus et conduisit en 1960 à la création du Gujarat et du Maharashtra par une division de l'Etat de Bombay, puis de l'Haryana et du Pendjab en 1966, de l'Himachal Pradesh en 1971, ainsi que de Goa en 1987. Des revendications ethno-linguistiques donnèrent aussi naissance à divers Etats dans la région du nord-est de l'Inde entre 1960 et 1980. Un modèle politico-économique centralisateur devait absorber les tendances centrifuges au sein de la fédération. La primauté accordée au facteur linguistique ne pouvait suffire à refléter la diversité des communautés et un " gentleman's agreement " devait assurer que les retards de développement du Telengana par rapport à la région côtière soient pris en compte. Hyderabad, située au centre du Telengana, devint la nouvelle capitale de l'Andhra Pradesh. C'était le lieu de résidence de l'ancien Nizam qui avait refusé l'intégration à l'Union indienne au lendemain de la partition de l'Empire des Indes avant que l'Etat princier, géographiquement enclavé, y soit contraint militairement en septembre 1948.

Au cours des dernières années, Hyderabad s'est fait connaître à l'international comme un des pôles indiens des technologies de l'information. Microsoft y a notamment établi un important centre de développement. La sixième plus grande ville du pays a attiré une multitude de migrants, à commencer par des hommes d'affaires venus de l'Andhra côtier et s'appuyant sur des solidarités de castes et les liens de parenté pour faciliter leur implantation. Cet apport exogène alimenta au Telengana une contestation mue par le sentiment d'être socio-économiquement dépossédé des ressources qui auraient dû logiquement leur revenir et d'être politiquement marginalisé (la plupart des premiers ministres de l'Andhra Pradesh sont originaires de l'Andhra côtier). La perception d'un clivage entre la langueur d'un Telengana faisant valoir un particularisme culturel cosmopolite et aristocratique et le caractère entreprenant et affairiste des personnes venues de l'Andhra côtier n'a pas disparu. Ce sentiment de spoliation a d'ailleurs périodiquement réamorcé des mouvements de contestation demandant la création d'un Etat propre au Telengana.

Si Hyderabad s'est développé rapidement, avec une explosion du secteur de l'immobilier, il en va différemment de l'hinterland, un plateau semi-aride, dont l'agriculture dépend des eaux de pluie ou des ressources phréatiques. Les deux-tiers des suicides de paysans en Andhra Pradesh entre 1998 et 2006 ont été enregistrés au Telengana. Au lendemain de l'indépendance, la région avait connu un mouvement communiste paysan et il y existe toujours un activisme maoïste dans les zones tribales contiguës des districts du Chhattisgarh et du Maharashtra qui appartiennent au " corridor rouge ".

En cédant sur la question d'un Etat du Telengana (conditionnel toutefois à une résolution de l'assemblée provinciale allant dans le même sens), le gouvernement a réveillé de multiples aspirations similaires. On parle ainsi de la création d'un Etat du Vidarbha dans la partie orientale du Maharashtra, d'un Etat du Bundelkhand associant des districts du Madhya Pradesh et de l'Uttar Pradesh, d'un Etat Saurashtra à l'ouest du Gujarat. L'actuelle Premier ministre de L'Uttar Pradesh, Mayawati, par ailleurs porte-drapeau des " Intouchables ", milite en faveur d'une division de l'Etat qu'elle dirige afin de donner naissance à l'ouest à un Etat de l'Harit Pradesh et au sud à un Etat du Bundelkhand. Dans la partie orientale de l'Uttar Pradesh, un Etat du Poorvanchal est également évoqué. La justification apportée à ces revendications qui concernent des régions avec des retards de croissance est la promesse de jours meilleurs si elles disposent d'une plus grande marge de manoeuvre administrative.

Si la revendication ethno-linguistique a cédé le pas à des motivations de rattrapage socio-économique, elle n'a pas totalement disparu. L'agitation pour la création d'un Etat du Gorkhaland au nord du Bengale Occidental (régions de Darjeeling et des Dooars), qui s'était surtout manifestée au milieu des années quatre-vingt et avait abouti à la création d'un Darjeeling Gorkha Hill Council qui ne répond plus aux attentes de ces populations d'origine népalaises. Les Bodos, une ethnie localisée sur la rive septentrionale du Brahmapoutre en Assam, qui avaient transigé en 2003 pour un Bodoland Territorial Council, pourraient également être tentés de revendiquer un Etat.

Les trois derniers Etats créés au sein de l'Union Indienne l'avaient été en 2000 par le gouvernement dominé par le Bharatiya Janata Party (BJP). Il s'agissait du Chhattisgarh (la partie orientale du Madhya Pradesh), le Jharkhand (la partie méridionale du Bihar) et l'Uttarakhand (la partie himalayenne de l'Uttar Pradesh). Il existe de vastes disparités démographiques et territoriales parmi les 28 Etats indiens : des 197 millions d'habitants de l'Uttar Pradesh au 650.000 résidents du Sikkim (est. 2010), des 342.000 km² du Rajasthan au 3700 km² de l'Etat de Goa. Les chiffres semblent donner raison à ceux qui pensent que des Etats dotés d'un large territoire et d'une forte population sont un obstacle à leur développement. Le Chhattisgarh, le Jharkhand et l'Uttarakhand ont affiché depuis leur création des chiffres de croissance supérieurs à la moyenne nationale et à ceux affichés par les Etats dont ils sont issus (voir India Today, State of the States, 26 septembre 2009). D'autres, au contraire, relativisent les bienfaits de la création de nouveaux Etats, en soulignant que plus d'Etats signifient aussi plus de conflits entre ceux-ci, notamment pour le partage des ressources hydrauliques. Sans compter les coûts liés à l'existence de nouvelles structures politico-administratives et la corruption qui les accompagnent (les milliards de roupies détournés par le Premier ministre du Jharkhand entre 2006 et 2008 restent à l'esprit). Le BJP est le seul parti national à s'être clairement exprimé en faveur de la formation de nouveaux Etats, plus petits, au nom de la bonne gouvernance et du développement. Ce parti avait signé, avant les élections législatives de 2009, un accord avec le Gorkha Janamukti Morcha (Mouvement de libération populaire Gorkha) en faveur de la création du Gorkhaland. Cela permit notamment à Jaswant Singh, un ancien ministre des Affaires étrangères, de l'Economie et de la Défense du gouvernement de Atal Bihari Vajpayee (1998-2004), de se faire élire dans la circonscription de Darjeeling. Jaswant Singh a également pris position en faveur de la création d'un Maru Pradesh composé de la partie désertique du Rajasthan. Le parti du Congrès est resté plus circonspect en énonçant que, si un développement plus équitable à l'intérieur des grands Etats est indispensable, cela passe par des solutions pragmatiques et au cas par cas. Le risque est d'engendrer une multiplication des demandes de partitions, sources de tensions sociales.

L'émergence, d'une part, de gouvernement de coalition au niveau national et, d'autre part, d'une régionalisation de la vie politique a permis à des mouvements autonomistes de se faire mieux entendre. Le Telengana Rashtra Samithi avait apporté son soutien au gouvernement de coalition conduit par le parti du Congrès à l'issue des élections législatives de 2004 en échange de l'inscription de la création d'un Etat du Telengana dans le programme minimum commun de gouvernement. Un soutien ensuite retiré face à l'absence d'avancée en ce sens. Tous les partis qui comptent en Andhra Pradesh soutenaient, à la veille des élections de 2009, le principe de la création d'un Etat du Telengana. Maintenant que cette perspective n'est plus seulement théorique, plusieurs politiciens locaux, notamment au sein du parti du Congrès, défendent la cause d'un Andhra Pradesh unifié et ont fait connaître leur mécontentement en remettant symboliquement leur démission au parlement provincial. L'enjeu n'est pas négligeable au niveau national puisque c'est en Andhra Pradesh que le parti du Congrès a réalisé son meilleur score lors des élections de 2009. Il obtint 39 % des suffrages exprimés et envoya 33 députés à la Lok Sabha (sur 42 sièges en jeu), la chambre basse du parlement indien. Cela explique la volonté aujourd'hui du gouvernement de rechercher un consensus sur la création du Telengana qui n'est pas prévue, de toutes les façons, avant 2012.

Il est paradoxal, au moment où se pose pour la fédération la question de divisions politico-administratives supplémentaires, qu'une nouvelle étape doive bientôt être franchie dans l'intégration économique de l'Union Indienne avec l'adoption d'une taxe sur les biens et les services (goods and services tax = GST) appliquée uniformément à travers le pays. Cette taxe devrait se substituer à un faisceau de taxes actuellement perçues par les Etats (taxe sur la valeur ajoutée introduite en 2005, taxe d'entrée, taxe sur les produits de luxe, taxe sur les jeux, etc.) et qui représentent en moyenne un peu plus de la moitié des revenus fiscaux propres aux Etats. L'adoption de la GST participe de l'idée qu'une harmonisation des revenus fiscaux aide à la formation d'un marché commun intérieur.

 

Mots-clés
politique intérieure Inde