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sep
2021
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Berlin, Allemagne - Siège de la CDU

L’après-Merkel : les enjeux géopolitiques pour l’Allemagne Diplomatie, n° 111, septembre-octobre 2021

Avec le départ d’Angela Merkel, un cycle de 16 ans s’achève. Ferme et digne face aux crises multiples et parallèles, la chancelière lègue pourtant un héritage controversé. Dans un contexte mondial de plus en plus violent et incertain, le nouveau chancelier devra concilier continuité et renouveau, puis parvenir à s’imposer, comme aura su le faire sa prédécesseure.
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Le départ d’Angela Merkel représente une césure importante pour Berlin et aussi pour l’Europe. Encouragée par Barack Obama à accepter un quatrième mandat en 2017, la chancelière a été littéralement promue « leader du monde libre » face à Donald Trump. Pour une femme, dirigeante d’un pays qui, dans son histoire, fut à l’origine de deux guerres mondiales, c’est une consécration considérable à l’aune de laquelle son successeur à la chancellerie devra pouvoir se mesurer. Si elle a marqué son époque comme sans doute nul autre chef d’État ou de gouvernement de son temps, elle n’a pourtant pas été à l’origine de transformations profondes comme certains de ses prédécesseurs. Konrad Adenauer, aux commandes entre 1949 et 1963 avait arrimé et intégré la République fédérale à l’Ouest. Willy Brandt, en cinq ans seulement (1969-1974), avait reconnu les frontières de son pays fixées par les alliés lors de la conférence de Potsdam de 1945 et lancé le processus de réconciliation avec les pays communistes d’Europe de l’Est, victimes de la barbarie nazie —tout en normalisant les relations entre les deux parties de Berlin, ainsi qu’entre la République fédérale d'Allemagne (RFA) et la République démocratique d'Allemagne (RDA). S’appuyant sur ces succès, Helmut Kohl, chancelier entre 1982 et 1998, réunifié l’Allemagne en menant à bien les négociations « 2 + 4 ».

 
16 ans de Merkel, 16 ans de gestion de polycrise
 
Rien de tout cela ne marque le bilan de la chancelière qui avait d’autres défis à affronter, et les historiens nous diront si elle a su y faire face ; la « polycrise », comme disait à l’époque le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. En 2005, la nouvelle chancelière était confrontée à une dégradation sans précédent des relations germano-américaines, consécutive à l’opposition de son prédécesseur, Gerhard Schröder, à la guerre en Irak. Il s’agissait pour elle de renouer les liens avec la Maison-Blanche après quatre ans de dialogue rompu et de retrouver la confiance du président George W. Bush. Toujours en 2005, trois mois avant sa première victoire électorale, l’Union européenne (UE) plongeait dans la crise institutionnelle la plus profonde de son histoire, à la suite de l’échec en France et aux Pays-Bas des référendums portant sur la ratification du traité constitutionnel européen. Ce sera à la chancelière de proposer en 2007 un nouveau texte, sous la présidence allemande du Conseil européen, le futur traité de Lisbonne qui entrera en vigueur en 2009. Durant la difficile négociation de ce dernier, en 2007 et 2008, éclatait une nouvelle crise, celle dite « des subprimes » qui, par effet de contagion interbancaire, s’est muée en crise financière puis économique mondiale en 2008. [...]
 
En 2021, un cycle de 16 ans de crises multiples s’achève pour Angela Merkel, la dernière en date étant celle des inondations monstres qui ont frappé son pays en été de la même année. Son successeur devra prendre la relève, conscient que « l’âge des crises » n’est pas terminé, bien au contraire.
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En misant sur le partenariat technologique et commercial avec la Chine, vers laquelle elle exporte presque autant que tous les autres États membres de l’UE réunis, elle contribue à l’émergence de la puissance chinoise, que les États-Unis s’efforcent sinon d’empêcher, au moins de retarder.
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L’héritage de la diplomatie merkelienne, un défi de taille
 
Prendre la suite d’Angela Merkel et s’imposer comme elle a su le faire sur la scène internationale constitue un défi redoutable. D’autant que l’héritage de la chancelière n’est pas non plus entièrement positif. Elle laisse derrière elle une Bundeswehr structurellement sous financée, mal équipée, peu adaptée aux opérations extérieures « robustes » et finalement mal aimée par une population très peu favorable à l’intervention de l’armée allemande dans des zones de guerre extérieures à l’Europe. Lors du sommet de l’OTAN de Newport, au Pays de Galles, en 2014, l’Allemagne, à l’instar des autres pays membres, s’était engagée à consacrer 2% de son PIB à la défense avant 2024. Fin 2019, la République fédérale a décidé de décaler cet objectif à 2031. L’aurait-elle renvoyé aux calendes grecques ? Actuellement, les dépenses militaires se situent au-dessous de 1,5%… Autre critique formulée à l’étranger, l’Allemagne privilégie très nettement ses intérêts commerciaux par rapport à ses intérêts stratégiques (et ceux de ses partenaires). En misant sur le partenariat technologique et commercial avec la Chine, vers laquelle elle exporte presque autant que tous les autres États membres de l’UE réunis, elle contribue à l’émergence de la puissance chinoise, que les États-Unis s’eff orcent sinon d’empêcher, au moins de retarder. En accumulant par ailleurs depuis 2012 plus de 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux —excédents qui fragilisent le système économique mondial et surtout l’eurozone —, l’Allemagne poursuit une politique que l’on peut qualifier, sans exagérer, de « néo-mercantiliste ».
 
Voilà l’autre face du bilan de 16 ans de politique étrangère d’Angela Merkel. Il est très peu probable — pour ne pas dire quasi inconcevable — que ces orientations changent sous le prochain gouvernement. Le successeur désigné, Armin Laschet, président de la CDU et ministre-président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, s’est déjà à maintes reprises prononcé en faveur d’une politique étrangère certes proeuropéenne et profrançaise, mais aussi compréhensive à l’égard de la Russie et soucieuse de maintenir les parts de marché des entreprises allemandes en Chine.
 
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Hans Stark est professeur de civilisation allemande contemporaine à Sorbonne Université et conseiller pour les relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales(Ifri).
 
Cet article est paru dans la revue Diplomatie, n° 111, septembre - octobre 2021, pages 12 à 15 (téléchargez le pdf de l'article ci-dessous).
 
 
 
L’après-Merkel : les enjeux géopolitiques pour l’Allemagne
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