Sommet de La Haye 2025 : quo vadis NATO ?
Le sommet de La Haye, qui s’est tenu au mois de juin 2025, ne devait pas être un moment de grandes décisions pour l’Alliance. Aucune révision du concept stratégique ni décision d’élargissement n’était à l’ordre du jour. Cette absence d’enjeux majeurs lors de certains sommets est liée à leur très grande fréquence. Ainsi, pendant les 40 années de la guerre froide, il n’y eut que 10 réunions au sommet. Le rythme s’accroît régulièrement à partir des années 1990, jusqu’à l’époque actuelle où les sommets sont annuels. Une accélération notable s’est produite lors de la première présidence Trump : la fréquence des sommets servait alors à démontrer aux États-Unis que l’Alliance restait active.

Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, ces pratiques sont restées en vigueur. Cependant, une plus grande fréquence des sommets a pour conséquence des délais plus courts pour négocier et travailler les textes, ainsi qu’une plus grande charge de travail pour les petites délégations, qui n’ont pas les effectifs pour absorber ce rythme plus soutenu.
Ainsi, l’importance de ce sommet n’est pas liée aux décisions qui devaient y être prises, mais au fait qu’il s’agit du premier pour le nouveau secrétaire général Mark Rutte, ainsi que pour Donald Trump depuis sa réélection à la présidence américaine. Son importance est aussi liée aux tensions entre alliés sur un très grand nombre de sujets, comme la Russie, l’Ukraine, le partage du fardeau et la présence américaine en Europe.
Cet article analyse ainsi les principales décisions prises lors du sommet de La Haye, ainsi que les sujets passés sous silence tout en s’interrogeant, dans ce contexte troublé, sur la possibilité d’une plus grande européanisation de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).
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Entre brièveté et silences : le communiqué officiel
Entre brièveté et silences : le communiqué officiel
Le communiqué officiel du sommet, négocié entre les États membres, est d’une rare brièveté, puisqu’il ne compte que cinq paragraphes, dont un dédié à des remerciements. À titre de comparaison, le communiqué officiel du sommet de Washington en 2024 comptait 38 paragraphes et celui de Vilnius en 2023, particulièrement long, en comportait 90.
Cette brièveté témoigne de l’incapacité des alliés à élaborer un consensus sur un grand nombre de thématiques et a une conséquence importante : elle conduit à passer sous silence de multiples sujets qui sont pourtant d’intérêt majeur pour l’OTAN, comme le nucléaire, le cyber ou le Moyen-Orient. Ainsi, la simple mention selon laquelle l’OTAN reste une alliance nucléaire ne figure pas dans le texte, alors qu’il s’agissait d’un passage obligé ; la doctrine de l’Alliance figurait à ce titre dans tous les communiqués, comme celui de Vilnius en 2023 :
« L’objectif fondamental de la capacité nucléaire de l’OTAN est de préserver la paix, de prévenir les actions coercitives et de décourager toute agression. Les armes nucléaires sont des armes à part. Aussi longtemps qu’il y en aura, l’OTAN restera une alliance nucléaire. L’OTAN aspire à un monde plus sûr pour tous ; nous nous attachons à créer l’environnement de sécurité qui permettra de faire advenir un monde sans armes nucléaires. »
Le texte fait aussi l’impasse sur des thèmes récemment mis à l’agenda par l’OTAN, comme l’espace, le changement climatique ou l’agenda « Femmes, paix et sécurité ». Enfin, le communiqué ne mentionne aucun partenaire de l’OTAN, ni ceux de la zone Pacifique ni du Dialogue méditerranéen, ni même l’Union européenne.
De fait, le texte préserve l’essentiel sur deux points uniquement : la mention de l’article 5 et le rappel que la Russie reste une menace à long terme pour la sécurité transatlantique.
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L’Ukraine : la grande perdante du sommet ?
L’Ukraine : la grande perdante du sommet ?
L’Ukraine est mentionnée a minima dans le communiqué, au titre de l’aide apportée par les alliés :
« Conscients que la sécurité de l’Ukraine contribue à leur propre sécurité, les alliés réaffirment qu’ils soutiendront ce pays dans la durée, ainsi qu’ils s’y sont engagés souverainement. »
Alors qu’il n’était pas certain que les États membres parviennent à un consensus sur l’Ukraine, notamment en raison de craintes liées à la fin de l’aide militaire américaine, cette mention peut déjà être considérée comme un succès.
Néanmoins, les termes employés marquent une régression par rapport aux sommets précédents. À Washington, les alliés avaient affirmé que l’Ukraine était engagée sur « une voie irréversible » vers l’adhésion, tandis qu’à Vilnius, celle-ci était envisagée « dès que les conditions seraient réunies ». Il est vrai que la perspective d’adhésion de l’Ukraine a été mentionnée par le secrétaire général, Mark Rutte. Cependant, les positions de ce dernier, en sa qualité de secrétaire général, n’engagent en rien l’Alliance et ses États membres. Le silence sur la perspective d’adhésion du communiqué témoigne donc du dissensus persistant entre alliés sur cette question, puisque de nombreux États membres, dont les États-Unis, n’y sont pas favorables, tandis que d’autres imposent des conditions. Par exemple, en Pologne, le parti nationaliste conservateur Droit et justice (PiS), soutien du nouveau président Karol Nawrocki élu en juin 2025, conditionne l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN à la résolution de différends mémoriels bilatéraux, notamment les massacres de Volhynie. Ceux-ci désignent une opération de purification ethnique menée par l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale, qui aurait causé environ 100 000 morts civiles selon les historiens. En 2016, le parlement polonais a qualifié ces événements de génocide. Cependant, le gouvernement actuel, mené par Donald Tusk, ne conditionne pas l’adhésion de l’Ukraine à la résolution de ce différend mémoriel.
Enfin, le sommet de juin 2025 n’a pas donné lieu à une réunion du Conseil OTAN-Ukraine (COU). Instance de concertation entre les deux parties pour toute question de sécurité d’intérêt commun créée en 1997 sous le nom de Commission OTAN-Ukraine, elle a été transformée en Conseil en 2023 pour témoigner du rapprochement entre les deux parties. En effet, alors qu’au sein de la Commission, l’Ukraine était invitée en tant que partenaire, elle siège au Conseil sur un pied d’égalité avec les États membres. Il y a certes eu une rencontre entre les présidents Trump et Zelensky, mais cela témoigne d’une certaine marginalisation de l’OTAN et d’un affaiblissement, typique du président Trump, des mécanismes multilatéraux au profit du bilatéralisme.
Titre Edito
Les questions financières : le cœur du sommet
Les questions financières : le cœur du sommet
La décision majeure de ce sommet, attendue de longue date, porte sur l’effort consenti par les alliés de consacrer 5 % du produit intérieur brut (PIB) à leur budget de défense (dont 1,5 % pour des investissements connexes, tels que la résilience et les infrastructures). Si aucun allié n’atteint actuellement cet objectif, la Pologne en étant la plus proche avec plus de 4 % du PIB et les États-Unis à seulement 3%, les alliés ont déterminé que cet objectif devrait être atteint en 2035 et que chaque gouvernement devra présenter une trajectoire crédible pour y parvenir.
Cette augmentation substantielle était demandée par l’administration américaine depuis le retour au pouvoir de Donald Trump et s’inscrit dans les débats sur le partage du fardeau. Ces discussions forment une question lancinante au sein de l’OTAN, les administrations américaines, tant démocrates que républicaines, réclamant une plus grande participation des Européens afin de parvenir à ce qu’ils considéraient être un juste partage du fardeau entre alliés. Néanmoins, ce qui distingue Donald Trump, c’est le recours à une rhétorique agressive, conflictuelle et menaçante ainsi qu’une tendance à traiter l’Union européenne (UE) comme une concurrente ; autant de pratiques qui rompent avec les usages en vigueur au sein d’une communauté de sécurité.
Lors de sa première mandature, le président Trump avait insisté sur la nécessité de consacrer a minima 2 % du PIB à la défense, engagement que les alliés avaient pris en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie. Si moins de 10 États avaient atteint cette cible avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, celle-ci a été un électrochoc pour les États membres qui sont désormais plus d’une vingtaine à avoir atteint ce niveau. De fait, un nouveau plafond a été défini à 5 % du PIB par l’administration américaine.
L’engagement pris au sommet de juin 2025 ne doit pas masquer les difficultés pour atteindre ce niveau de dépenses ni la fragilité du consensus. Ainsi, pour les États convaincus de la nécessité d’investir dans la défense et ayant les ressources financières pour le faire, comme la Pologne portée par une croissance de plus de 3 % et un consensus large au sein de la classe politique, cet objectif semble atteignable, même s’il s’accompagne d’un déficit croissant (6,6 % du PIB). Toutefois, pour ceux rencontrant des difficultés économiques, comme la France ou le Royaume-Uni, cet engagement pose la question des moyens et des arbitrages complexes à effectuer entre défense et autres domaines de politique publique (augmentation de la fiscalité, révision des prestations sociales, etc.). La question de l’acceptation par la majorité des citoyens de cette évolution, surtout si elle est au prix de l’État providence, nécessitera de parvenir à un consensus politique qui n’existe pas au sein de chaque État membre. Surtout, certains gouvernements, comme celui de l’Espagne, ont indiqué qu’ils considéraient ce nouvel objectif de 5 % du PIB comme déraisonnable et contre-productif et ont obtenu un opt-out, qui peut être une incitation pour d’autres à ne pas respecter cette décision.
Néanmoins, l’Alliance en tant qu’institution ne dispose d’aucun moyen pour forcer les membres à respecter leur engagement et investir dans la défense. Enfin, cet objectif, brandi comme un fétiche par l’administration américaine et repris par l’OTAN, n’est pas fondamentalement fondé sur une évaluation des capacités réelles de financement des États. Cependant, cette décision pourrait inciter les alliés à poursuivre leur aide à l’Ukraine, puisque celle-ci pourra être comptabilisée dans les dépenses.
Titre Edito
Les valeurs et les normes : le hiatus entre les discours et la pratique
Les valeurs et les normes : le hiatus entre les discours et la pratique
Le communiqué de La Haye insiste, dès le premier paragraphe, sur la solidité de l’Alliance et sur son rôle central pour la préservation de la paix et de la démocratie. Il y a là un certain paradoxe, étant donné que les pratiques de plusieurs États membres sont en complète contradiction avec les principes énoncés dans le communiqué, mais également ceux du traité de Washington, texte fondateur de l’Alliance, dont le préambule affirme :
« Déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit. »
Ainsi, les prises de position du président Trump à l’encontre du Canada, menacé de devenir le 51e État des États-Unis, ou envisageant l’annexion du Groenland, constituent des atteintes répétées à l’encontre du droit international et des principes majeurs, comme la souveraineté, l’intangibilité des frontières et l’intégrité territoriale. Ce sont également des positions contraires aux normes d’une communauté de sécurité telle que l’OTAN.
Le rôle du secrétaire général suscite également des interrogations. Celui-ci doit être un médiateur et un conciliateur entre alliés, avec l’objectif de faciliter la construction du consensus. Or, Mark Rutte est notoirement silencieux sur les atteintes répétées aux valeurs de l’Alliance perpétrées par Donald Trump. De plus, la publicisation par le président américain de leurs échanges démontre aussi une sémantique partiale et conflictuelle de sa fonction en opposant deux groupes, l’Europe et les États-Unis. Il est d’ailleurs à noter que Mark Rutte, en tant que premier ministre des Pays-Bas de 2010 à 2024, appartenait au camp des frugaux, réticents à atteindre l’objectif des 2 % du PIB pour la défense, malgré la dégradation progressive de l’environnement de sécurité européen.
De fait, l’Alliance atlantique, en tant que communauté de valeurs, se trouve dans un moment de fragilité inédit. Des États membres ont déjà été en porte-à-faux avec ces valeurs, comme le Portugal de Salazar, pourtant membre fondateur, la Grèce des colonels, la Turquie ou la Hongrie, condamnée par l’UE. Cependant, c’est la première fois que l’allié le plus puissant politiquement et militairement les enfreint ouvertement. Si l’OTAN n’a pas de compétences pour sanctionner un État déviant, ce qui témoigne de sa faiblesse en tant qu’organisation intergouvernementale, ces pratiques entrainent un double déficit de légitimité : face aux pays candidats qui doivent, pour pouvoir prétendre à l’adhésion, respecter des principes bafoués par certains États membres et face aux adversaires et ennemis de l’Alliance qui pourraient invoquer les pratiques néo-impérialistes et autoritaires des États membres pour décrédibiliser le modèle normatif de l’OTAN.
Certes, l’attractivité de l’Alliance est confirmée par les adhésions récentes de deux pays, la Finlande et la Suède, et ses politiques de dissuasion, telle que la présence avancée sur le flanc est (composée de huit groupements tactiques, initialement au format bataillon et, depuis le sommet de Madrid en juin 2022, également au format brigade, comme en Lituanie et en Lettonie), considérées comme indispensables et nécessaires par les États membres. Cependant, l’Alliance doit poursuivre une réflexion en profondeur sur ses objectifs, discours, pratiques et leurs conséquences afin d’assurer sa pérennité et sa légitimité.
Titre Edito
Penser l’européanisation de l’OTAN ?
Penser l’européanisation de l’OTAN ?
Même si la validité de l’article 5 est rappelée dans le communiqué de La Haye à l’issue du sommet de juin 2025 et que les États-Unis ne remettent pas en cause leur politique de dissuasion nucléaire, la position américaine doit conduire les Européens à s’interroger sur le sens et l’évolution de l’Alliance atlantique. Cette interrogation est d’autant plus nécessaire que l’UE est l’une des grandes absentes du communiqué.
En effet, il y a un certain paradoxe américain consistant à demander plus d’efforts aux Européens, efforts en partie atteints puisque la cible de 2 % du PIB dans la défense est devenue la norme, sans remettre en cause le partage des responsabilités au sein de l’OTAN. L’inégalité de ce partage est pourtant criante, en particulier pour les plus hautes fonctions militaires, qui sont majoritairement détenues par les Américains. Des négociations ont déjà eu lieu sur ce sujet. Elles se sont soldées par un échec au milieu des années 1990 avec la demande de la France du président Jacques Chirac de revenir dans le commandement militaire intégré en échange du commandement de Naples, détenu par les Américains. En 2009, l’européanisation souhaitée par le président Nicolas Sarkozy n’a été que partielle : en réintégrant le commandement intégré de l’OTAN, la France obtenait cependant le poste de SACT (Supreme Allied Commander Transformation) jusqu’alors détenu par les Américains.
Pourtant, deux éléments justifient d’inscrire cette question à l’ordre du jour : le hiatus entre les positions de l’administration américaine de Donald Trump et les valeurs de l’OTAN, ainsi qu’un possible désengagement des troupes américaines d’Europe, qui pourrait être effectif à l’horizon de 2030. Par ailleurs, une plus grande européanisation de l’OTAN, qui semble plausible avec 23 États membres de l’UE et 7 autres États situés en Europe sur 32 États membres, aurait deux bénéfices majeurs. D’une part, elle permettrait d’accroître la représentativité politique et géographique, alors qu’actuellement l’écrasante majorité des plus hautes fonctions civiles et militaires sont occupées par des Américains et des Européens de l’Ouest. D’autre part, elle refléterait la montée en puissance de certains États européens, comme la Pologne, tout en reconnaissant les différences de potentiel militaire.
> Lire l'article sur le site du Rubicon.
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