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L'élection de Kemi Badenoch au Royaume-Uni. Fin de la "trumpisation" chez les Tories ?

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Edito L'élection de Kemi Badenoch
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De même que la domination des idées du candidat républicain dans la campagne présidentielle aux États-Unis a conduit à diagnostiquer une « trumpisation de la politique américaine », les observateurs déplorent au Royaume-Uni, depuis l’exercice du pouvoir par Boris Johnson, une tendance à la « trumpisation du parti conservateur ».

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Urne et drapeau britannique
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Le 2 novembre, l’élection de Kemi Badenoch à la tête des Tories a été analysée, jusque dans l’Hexagone, comme une confirmation de la droitisation du parti, qui a subi en juillet dernier l’une de ses plus importantes déroutes électorales. Elle n’en démontre pas moins que la vie politique britannique est devenue, dans le fond comme dans la forme, moins perméable au trumpisme qu’elle ne l’a été depuis le milieu des années 2010.

Certes, le parti de William Pitt et de Robert Peel a connu son « moment Trump » à l’arrivée de Boris Johnson à Downing Street. Liz Truss, qui lui a succédé après Theresa May et avant Rishi Sunak, a d’ailleurs continué à cultiver la rhétorique et les réseaux du trumpisme au-delà de son exercice du pouvoir. LesTories pourraient cependant commencer à s’émanciper de la tentation trumpienne sous la direction de Kemi Badenoch.

Une perméabilité aux idées du trumpisme

Sa victoire signe d’abord la défaite de son principal rival, Robert Jenrick. Cet ancien avocat ne cache pas sa sympathie pour l’ancien président républicain et sa proximité avec Elbridge Colby, ancien cadre de la première administration Trump, pressenti pour diriger le Conseil de sécurité nationale dans le cadre d’une seconde administration Trump. Convaincu de la nécessité de neutraliser la menace constituée par le parti populiste de Nigel Farage, Reform UK, il a ainsi déclaré que les électeurs britanniques ne considéraient pas le parti Tory comme suffisamment conservateur. Héraut d’une politique migratoire radicalement restrictive, il est favorable à la sortie du Royaume-Uni de la Convention européenne des droits de l’homme.

Si Kemi Badenoch a refusé de s’engager sur ce sujet, totem de la droite du parti conservateur, elle n’en partage pas moins beaucoup des idées de son ancien rival, comme elle l’a rappelé dans son discours de victoire. Elle rejoint son diagnostic de l’affaiblissement idéologique d’un parti qui, selon ses propres mots, « parle à droite mais gouverne à gauche  » depuis la révolution du New Labour de Tony Blair. Dans son premier discours aux Communes, elle a accueilli le Brexit comme « le meilleur vote de confiance en faveur du projet de Royaume-Uni ».

Ancienne titulaire des portefeuilles de l’Enfance et la Famille, puis des Femmes et des Égalités, elle défend sur les sujets sociétaux des positions fermes qui créent régulièrement la polémique. Celle que l’ensemble de la classe politique britannique a saluée comme la première femme noire à la tête du parti conservateur a un regard très décomplexé sur l’histoire coloniale britannique, dont elle appelle à mettre en avant les acquis positifs aussi bien que négatifs. Autoproclamée « féministe critique de la théorie du genre », elle s’est opposée en tant que ministre à un projet visant à permettre l’identification en tant que tels des employés transsexuels et à l’installation de toilettes non genrées dans les lieux publics.

Aux avant-postes de la guerre contre le wokisme, elle a récemment affirmé dans la presse que « toutes les cultures ne sont pas égales » et défend sur les questions migratoires des positions tranchées, refusant d’accueillir au Royaume-Uni des personnes en quête de dortoir et d’argent sans partager ses valeurs et contribuer à sa société. Un mois avant son élection à la tête des Tories, elle a créé la polémique jusque dans son propre camp en déclarant que l’allocation versée au titre du congé maternité était excessive  et que 10 % des fonctionnaires britanniques étaient si nuisibles qu’ils devraient finir en prison. Sur les questions internationales, elle met en garde avec des accents trumpiens sur la consolidation d’un axe d’États autoritaires – l’Iran, la Chine, mais aussi la Russie – désireux d’affaiblir l’Occident, face auxquels elle recommande de s’engager sérieusement .

Un retour aux fondamentaux du conservatisme ?

Si cette habitude à cultiver le clivage est régulièrement critiquée par ses détracteurs, les moments « Kemi-kaze » passent pour d’autres comme savamment orchestrés pour mobiliser l’espace médiatique. Pourtant, comme chez l’ancien président républicain, les discours disruptifs cohabitent avec des comportements controversés. Plusieurs députés conservateurs se sont émus de ses tendances à la vulgarité abrasive, considérées comme un risque pour le parti qu’elle prétend diriger. Des anciens collaborateurs l’ont accusée d’avoir créé une atmosphère d’intimidation, jugée toxique, lors de sa présence au département des Affaires et du Commerce. Elle passe enfin pour ses anciens collègues à l’hebdomadaire Spectator, où elle fut chargée du numérique avant d’entrer en politique, comme une « reine du dysfonctionnement », qui listait les problèmes sans y apporter de solutions véritables.

La nouvelle cheffe du parti conservateur entend pourtant se démarquer de la trumpisation latente qui a touché les Tories depuis les années Johnson. Appelée par le Times à choisir entre Donald Trump et Kamala Harris, elle a préféré s’abstenir, déclarant apprécier les deux mais préférer George Bush. Elle assure déplorer les platitudes et la rhétorique vide qui accompagnent la polarisation, le protectionnisme et le populisme, amplifiés par les réseaux sociaux. Elle rejette l’hypertrophie d’un gouvernement qui, par un excès de taxes, de règles et de régulations, promet trop et veut résoudre trop de problèmes, faisant le jeu de la déception et de la désillusion des électeurs. Rejetant la « culture misogyne » de son Nigeria natal, où une fille ne pouvait sans susciter la consternation étudier les mathématiques, elle a tôt revendiqué l’exemple de force et de puissance de Margaret Thatcher. Elle partage d’ailleurs avec son directeur de campagne, Lee Rowley, une admiration pour les idées de Keith Joseph, à l’origine de la refondation du parti conservateur dans les années 1970, et pour le modèle d’État minimal et de société indépendante promu par Ronald Reagan dans la décennie 1980.

Malgré des outrances de forme et de fond, qui auront sans doute contribué à son ascension fulgurante, l’élection de Kemi Badenoch présage ainsi davantage d’une purification du parti conservateur. Après une longue période d’instabilité politique qui n’a pas permis de répondre à la trumpisation à l’œuvre depuis les années Johnson, la nouvelle direction entend réinventer un conservatisme émancipé de l’héritage du blairisme que David Cameron avait fini par assimiler. Face à un gouvernement Starmer et des travaillistes défaits des controverses des années Corbyn, la réinvention du Torysme exigera cependant la méthode et la matière dont Kemi Badenoch a d’autant pu faire l’économie qu’elle n’en dispose pas encore.
 

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979-10-373-0937-2

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