20
avr
2024
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Rencontre du président Joe Biden avec le Président chinois Xi Jinping en Californie - 15 novembre 2023
Mathilde VELLIET, invitée de Quentin Lafay dans "Les Matins" sur France Culture

Chine-Etats-Unis : au cœur des bouleversements mondiaux

La rivalité sino-américaine façonne le monde de demain. La comprendre n'est pas une mince affaire, et pour cela, il faut se saisir de contradictions et de paradoxes apparents.

France Culture

C'est une histoire étonnante : celle d'une solution commune entre capitalistes américains et communistes chinois, conclue dans les années 1970, pour répondre à des systèmes en crise. Cette solution ? L'intégration de la Chine au commerce mondialisé. Mais depuis, les entreprises et l'État états-uniens s'inquiètent d'une montée en puissance d'une économie chinoise qui depuis la mondialisation même, en conteste les règles du jeu.

Comprendre les tensions entre les États-Unis et la Chine impose de mêler politique et économie, et même questions militaires. Et sur le chemin, on rencontre de nombreux paradoxes et de contradictions.

Invités :

Mathilde Velliet, Doctorante à l’Université Paris Cité et Aix-Marseille et chercheuse au Centre Géopolitique des technologies de l’Institut français des relations internationales (IFRI)

Benjamin Bürbaumer, Économiste et auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (Ed. La Découverte, 2024)

 

Hégémonie et militarisation chinoise

L'hégémonie chinoise, c'est d'abord, prétendre à la satisfaction des besoins des pays périphériques et là en l'occurrence des besoins des pays en développement. Mais il faut aussi un imaginaire de la paix. "Un des héritages de la pensée d'Antonio Gramsci, c'est le concept d'hégémonie. Telle que Gramsci l'a définie, l'hégémonie c'est un mélange savamment orchestré entre le consentement et la force. Et effectivement, la Chine crée dans beaucoup de pays du Sud l'impression d'être garante d'un ordre mondial désirable. Donc là, il y a la dimension du consentement. Une série de données, d'enquêtes notamment, sur la perception des grandes puissances dans le reste du monde montre que le consentement à l'ordre hégémonique américain s'érode très très fortement depuis un certain nombre d'années. Nous, nous voyons que la Chine est une menace pour Taïwan, et dans l'Indo-pacifique plus généralement. Mais ce que voient beaucoup de pays dans le Sud, c'est que la Chine se pose en intermédiaire de négociations en Ukraine, à Gaza. Donc la Chine pour eux est considérée comme un faiseur de paix."

Pékin a acquis une réputation internationale pour son rôle dans les opérations de maintien de la paix de l'organisation des Nations Unies. "Sa population nombreuse, lui permet de fournir beaucoup de soldats pour ces opérations. Elle a très fortement augmenté sa contribution financière à ce budget de l'ONU, tandis que les États-Unis ont baissé le leur. Ça fait partie effectivement des choses par lesquelles la Chine se présente, comme un hégémon bienveillant. Il y a plein d'autres exemples, on pourrait même curieusement parler aussi de la diplomatie des vaccins."

Mais la Chine connaît aussi une croissance extrêmement forte aussi de ses dépenses militaires. "Aujourd'hui, elle dépense à peu près 300 milliards de dollars par an pour son armée. Les États-Unis, c'est 800. Mais l'écart entre les deux s'est réduit du fait de la plus forte croissance chinoise. C'est un fait assez important et qui se manifeste concrètement par des capacités d'intervention plus importantes. Aujourd'hui, 60% des forces armées américaines situées à l'étranger sont dans l'Indo-pacifique. Et en même temps, la Chine, elle aussi, investit militairement cet espace-là, de sorte à ce qu'on se retrouve dans des situations de frottement entre les deux."

Semi-conducteurs et tensions à Taïwan

La compétition entre les deux superpuissances, se concentre précisément sur les semi-conducteurs. On dit parfois de ces derniers qu'ils sont le pétrole des nouvelles technologies, c'est-à-dire cette matière invisible mais nécessaire partout.

Mathilde Velliet explique :
 

"Les semi-conducteurs font partie des technologies jugées critiques qui sont nombreuses et qui constituent de tels démultiplicateurs de force dans l'industrie de manière générale pour la puissance commerciale américaine et pour sa puissance militaire. Les semi-conducteurs sont un point de concentration parce qu'ils sont présents partout, par définition, dans les produits d'électroménager, les voitures pour les puces moins avancées, ou permettant des capacités de calcul extrêmement puissantes pour, par exemple, développer des modèles d'intelligence artificielle. Les États-Unis doivent garder leur leadership sur ces technologies."

Les technologies de l'information et de la communication sont centrales dans la concurrence sino-américaine. En économie, on considère qu'il y a à un moment donné un type de technologie qui irrigue le reste du fonctionnement d'une économie. Pendant longtemps, dans la deuxième moitié du XXe siècle, c'était le pétrole et l'automobile. Aujourd'hui, ce sont les technologies de l'information et de la communication. Et tout de suite, la Chine bénéficie d'une fenêtre de tir assez unique parce que normalement, le processus d'innovation est un processus cumulatif où les retardataires courent toujours derrière les précurseurs sans pouvoir les atteindre. Quand on passe d'un paradigme à un autre, on remet en quelque sorte les comptes à zéro et la montée en puissance de la Chine arrive pile à ce moment-là et permet à la Chine de faire un rattrapage.

 

> Ecouter le podcast sur le site de France Culture.

 

Mots-clés
Mondialisation nouvelles technologies semi-conducteur Chine Etats-Unis