05
mar
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Benjamin AUGE, chronique parue dans Le Monde

Au Nigeria, le mariage entre élites est un acte politique et économique

Les unions entre grandes familles relèvent souvent d'une stratégie d'alliance pour accroître le pouvoir des deux clans. L’amour, oui, peut-être, mais pas uniquement. Au Nigeria, pour la classe politique et les milieux économiques à succès, mieux vaut choisir avec soin son conjoint pour sécuriser son avenir et faire fructifier la richesse de sa famille.

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La pratique n’a rien d’exceptionnel mais les élites locales disposent d’un art maîtrisé pour imaginer des unions « relevant » entre leurs enfants.

Difficile à traduire dans sa globalité, cette expression exprime la capacité d’une personne à être « utile » ou « pertinente ». C’est-à-dire, en clair dans l’écosystème nigérian : être capable d’apporter des contrats juteux, ainsi que garantir suffisamment de soutiens humains et financiers pour accéder à des postes politiques pour soi-même ou pour ses proches, qui sauront rendre la pareille. Le mariage est ainsi, au sein du pays le plus peuplé d’Afrique, une institution capitale pour sanctuariser sa « relevance ».

Alliances de clans

Le dernier exemple de ces unions de grandes familles nigérianes s’est tenu le samedi 3 mars à Kano. Tout ce que le Nigeria compte de têtes d’affiche politiques s’étaient données rendez-vous dans la deuxième ville du pays pour la célébration du mariage entre la fille du gouverneur de Kano, Abdullahi Umar Ganduje, et le fils du gouverneur d’Oyo (sud-est), Abiola Ajimobi. Le président Muhammadu Buhari, le président du sénat Bukola Saraki, une vingtaine de gouverneurs et d’innombrables sénateurs et députés, avaient fait le déplacement pour célébrer l’événement.

L’émir de Kano, Sanusi II, l’une des plus hautes autorités de l’islam au Nigeria et ancien gouverneur de la Banque centrale du pays, dirigeait la prière pour l’assistance, composée quasi exclusivement des puissants nigérians. Si les heureux mariés, Idris Abiola Ajimobi et Fatima Umar Ganduje, étaient bien au cœur des festivités de la journée, ce genre de mariage entre deux grandes familles d’hommes politiques, particulièrement courant au Nigeria, permet surtout d’accroître le pouvoir économique et politique des deux clans en scellant leur alliance. Si les hommes politiques ont ce type de réflexe, il en est de même pour les hommes d’affaires – la frontière entre les deux activités est particulièrement ténue au Nigeria. La stratégie matrimoniale comme moyen de souder deux puissantes familles n’est évidemment pas propre au Nigeria, mais elle y est devenue une science particulièrement éprouvée et efficace.

Muhammadu Indimi, roi du réseautage par le mariage

Les hommes d’affaires nigérians avisés ne s’y trompent pas : il faut faire grandir par tous les moyens leurs réseaux politiques et religieux au plus haut sommet de l’Etat. Pour cela, quoi de mieux que de marier ses enfants à des sommités politiques, religieuses et économiques venant des quatre coins du pays ? L’un des meilleurs spécialistes de ces équilibres est sans conteste le milliardaire Muhammadu Indimi, fondateur et président de la société pétrolière Oriental Energy Resources (OER), l’une des firmes locales les plus profitables du secteur grâce aux gisements offshore d’Ebok et Okwok.

M. Indimi, originaire de l’Etat de Borno au nord-est, a mis en place un véritable maillage géopolitique du pays grâce aux mariages de ses enfants. Le plus beau succès d’Indimi est probablement le mariage en décembre 2016 de son fils Ahmed avec la fille de Muhammadu Buhari, Zahra. Bien avant ce mariage en grande pompe, organisé à la mosquée d’Abuja, Muhammadu Indimi avait travaillé, tel un mécano, à l’union de ses autres enfants avec les progénitures d’autres grandes familles nigérianes. Mustafa Indimi a par exemple épousé, en janvier 2017, Hadiza Sheriff, la fille de l’ex gouverneur de l’Etat de Borno qui a aussi été le président de l’une des factions du principal parti d’opposition au Nigeria (People’s Democratic Party), Ali Modou Sheriff. Ce dernier est un grand ami du président tchadien Idriss Déby. Le Tchad lui a notamment octroyé nombre de blocs pétroliers d’exploration. M. Sheriff est donc un intermédiaire de choix pour les nigérians souhaitant investir au Tchad. Un des autres fils de Muhammadu Indimi, Ibrahim, s’est marié avec la fille de Sani Dangote, vice-président du groupe fondé par son frère, l’homme d’affaires le plus riche d’Afrique, Aliko Dangote.

Muhammadu Indimi a fait de même avec ses filles. Yakolo Indimi, l’administratrice de la société pétrolière de son père, est mariée depuis plusieurs années à Muhammed, l’un des fils de l’ancien président nigérian Ibrahim Babangida (1985-1993). Amina Indimi a quant à elle épousé un membre de la famille Fodio de l’Emir de Sokoto, la plus haute autorité de l’islam au Nigeria. Enfin, le petit dernier, Jibrilla Indimi, s’est uni avec Hadiza Giwa, la fille adoptive du puissant émir de Zaria, Alhaji Shehu Idris.

 

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