24
sep
2018
Espace Média L'Ifri dans les médias
Benjamin AUGE, chronique parue dans Le Monde

Nigéria. La méfiance du président Buhari a réduit le gouvernement comme peau de chagrin

A l’approche des élections de février 2019, où il briguera un second mandat, le chef de l’Etat nigérian Muhammadu Buhari est fragilisé par des démissions en série, pointe Benjamin Augé.

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Rien ne va plus dans le gouvernement nigérian. La démission fracassante de la ministre des finances, Adeosun Kemi, vendredi 14 septembre, constitue le énième départ d’un gouvernement désormais réduit comme peau de chagrin. Mois après mois, ce cénacle se dépouille un peu plus de ses poids lourds, alors que l’économie est en pleine convalescence et qu’une crise institutionnelle risque de bloquer le Sénat jusqu’aux élections générales du 16 février 2019.
Adeosun Kemi, 51 ans, s’en est donc allée après deux mois de scandale au sujet de l’authenticité du certificat qui lui aurait permis d’échapper au service civique nigérian dans les années 1990. Elle sera remplacée par la secrétaire d’Etat au budget, Zainab Ahmed, dont le fauteuil restera vraisemblablement vide.
En mai, l’ancien gouverneur de l’Etat d’Ekiti John Kayode Fayemi, autre figure majeure, avait déjà laissé son siège de ministre des mines, préférant redevenir gouverneur de son fief. Le président Muhammadu Buhari lui avait confié ce portefeuille dans le but de diversifier une économie trop dépendante du pétrole et du gaz. Docteur en « War Studies » du King’s College de Londres, John Kayode Fayemi avait été chargé du programme du All Progressives Congress (APC) pour l’élection de 2015, puis de l’organisation des primaires au cours desquelles M. Buhari avait été désigné candidat, en décembre 2014. Son remplacement par son secrétaire d’Etat devrait conduire à une mise en veille du secteur minier.
Vacance problématique
Si la crise devient lisible depuis quelques mois, l’opinion aurait déjà dû être alertée par le choix de la ministre de l’environnement Amina Mohammed. Dès février 2017, l’ex-conseillère de Ban Ki-moon pour le développement avait préféré rejoindre son ancienne maison, les Nations unies, comme secrétaire générale adjointe d’Antonio Guterres. Là encore, son secrétaire d’Etat, Ibrahim Usman Jibril, ex-professeur de géographie, a été nommé à sa place. Depuis, les dossiers politiquement chauds, comme le nettoyage de la région du delta du Niger, ravagée par les pollutions d’hydrocarbures, restent en déshérence faute d’une personnalité politique forte pour les porter.
Si le schéma désormais rodé veut que des secrétaires d’Etat gravissent un échelon, le processus de nomination prend parfois de long mois, créant un vide problématique. C’est ce qui s’est produit après le décès de James Ocholi dans un accident de voiture, en mars 2016 : il a fallu quatorze mois pour pourvoir son poste de secrétaire d’Etat chargé du travail et de l’emploi. Dans un pays où la règle veut que chacun des trente-six Etats soit représenté au gouvernement, cette vacance n’est pas passée inaperçue, en particulier dans l’Etat de Kogi, où était né Ocholi.
Derrière cet enchaînement de faits pointe une réalité simple. En tant qu’ancien chef d’Etat militaire (1983-1985), Buhari se méfie des ministres. Il avait déjà traîné des pieds durant six mois pour composer son premier gouvernement, en 2015, et préfère travailler avec ses conseillers, son chef de cabinet et des personnes clés qu’il a lui-même nommées. Il n’a jamais montré une grande appétence pour les réunions du conseil des ministres, où il se fait très régulièrement remplacer par son vice-président, Yemi Osinbajo.
Les institutions grippées
Comme si la situation ne suffisait pas, le torchon brûle entre le chef de l’Etat et le président du Sénat, Bukola Saraki, qui bloque depuis plusieurs mois toute nomination ministérielle. Entre eux, les contentieux sont nombreux. Muhammadu Buhari avait lancé dès 2015 une enquête sur des comptes bancaires présumés liés au président du Sénat, qui s’est finalement achevée par une relaxe. Plus récemment, il n’a pas tenu compte de plusieurs décisions de la haute assemblée, comme le veto opposé à deux reprises à la nomination d’Ibrahim Magu à la tête de l’agence anticorruption. L’homme a conservé ce poste, qu’il occupe depuis trois ans en tant qu’intérimaire. De quoi susciter la colère des sénateurs, qui vivent son maintien comme un affront.
Le problème est d’autant plus politique que Bukola Saraki est l’un des candidats à la primaire du People’s Democratic Party (PDP, opposition), dont le gagnant sera opposé au chef de l’Etat sortant en février 2019. Aussi souhaite-t-il désormais montrer que Muhammadu Buhari a lui-même grippé le fonctionnement des institutions en manifestant un trop grand mépris pour le Sénat.
A cinq mois d’une échéance électorale à risques pour le président Buhari, chacun compte ses points. Reste que les luttes politiques ne doivent pas faire oublier que l’économie nigériane est encore affaiblie par la récession de 2016 et fragilisée par des combats très meurtriers entre éleveurs et agriculteurs dans les Etats septentrionaux (plus de mille morts depuis le début de l’année) et la menace toujours présente de Boko Haram.
 

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Mots-clés
Gouvernance Muhammadu Buhari Afrique de l'Ouest Nigeria