09
mar
2022
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marc JULIENNE, interrogé par Xavier Frère pour L'Est Républicain

"Il est vain de penser que la Chine puisse jouer un rôle constructif dans cette guerre"

Pendant que l'invasion russe se poursuit en Ukraine, Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI), fait le point sur les relations entre Vladimir Poutine et Xi Jinping.

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Quel est l’état de la relation entre la Chine et la Russie ?

La Chine et la Russie entretiennent des relations étroites, particulièrement, d’ailleurs, depuis la crise de la Crimée en 2014. Dès lors, la relation n’a cessé de s’approfondir dans de nombreux domaines, au point que Xi Jinping et Vladimir Poutine parlent désormais « d’amitié sans limite », depuis leur sommet du 4 février, quelques heures avant la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin. Le ministre chinois des Affaires étrangères a renchéri lundi en qualifiant la relation bilatérale « d’amitié solide comme un roc ». Toutefois, il ne faut pas être dupe de cette relation. La confiance est loin d’être parfaite entre les deux dirigeants, mais ils ont au moins un intérêt stratégique en commun : l’opposition aux États-Unis, à l’Otan, ainsi qu’au nouveau partenariat de sécurité en Indo-Pacifique (AUKUS, entre États-Unis, Australie et Royaume-Uni). C’est pourquoi Xi Jinping soutient à peine tacitement Vladimir Poutine en Ukraine, par opposition à l’Occident. Bien qu’il se cache derrière une posture diplomatique soi-disant neutre, Pékin refuse de reconnaître « l’invasion » russe, parle « d’opération miliaire spéciale » comme le Kremlin et soutient économiquement la Russie.

Pékin entretenait-il des liens avec l’Ukraine ?

II est vrai que la Chine reconnaît l’Ukraine comme un État souverain et entretient des relations avec elle dans de nombreux domaines : développement des infrastructures, commerce, ventes d’armes. Mais il ne faut pas surestimer l’importance de cette relation pour Pékin. Non seulement l’Ukraine n’est pas un partenaire économique déterminant pour la Chine, mais les dirigeants chinois traiteraient d’autant plus volontiers avec un régime pro-russe, qu’avec l’actuel gouvernement candidat à l’entrée dans l’UE et dans l’Otan.

L’Europe et la France ont appelé la Chine à jouer un rôle dans les négociations avec Moscou, est-ce crédible ?

La Chine maintient à dessein une position ambiguë. Xi Jinping a d’un côté loué les efforts de médiation de la France et de l’Allemagne, mais de l’autre il condamne les sanctions économiques contre la Russie. II appelle à des négociations de paix et souhaite prévenir un désastre humanitaire, mais il n’avance aucune proposition concrète dans ce sens. C’est pourquoi je crois qu’il est vain de penser que la Chine puisse jouer un rôle constructif dans cette guerre. D’abord parce qu’elle n’a montré aucune volonté de jouer un tel rôle depuis deux semaines (contrairement à la France, l’Allemagne, Israël ou la Turquie par exemple). Ensuite parce que son soutien à Moscou ne s’est pas démenti jusqu’à aujourd’hui et qu’on la voit mal adopter une position médiane, prenant en considération les intérêts des Ukrainiens.

La Chine pourrait-elle profiter de la crise actuelle en Ukraine et prendre l’exemple de la Russie pour attaquer Taïwan ?

La Chine observe évidemment avec intérêt les développements de la guerre en Ukraine avec en tête ses propres velléités irrédentistes envers Taiwan. Toutefois, les leçons qu’elle peut tirer jusque-là sont que la réponse intemationale a été massive et unifiée dans le sens d’une opposition politique et de sanctions économiques vis-à-vis de Moscou. On peut raisonnablement penser qu’il en irait de même en cas d’invasion de Taïwan par la Chine, avec, en plus, l’hypothèse tout à fait crédible d’une intervention militaire des États-Unis et de leurs alliés.

 

>> Entretien à retrouver sur le site de L'Est Républicain.

 

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