Un pays profondément déstabilisé. Fragmentation politique et polarisation dans l’Allemagne d’aujourd’hui

Les élections régionales qui se sont déroulées le 8 octobre en Bavière et en Hesse ont vu l’Alternative für Deutschland (AfD), parti populiste de droite, progresser de façon spectaculaire. En Allemagne, 54 % de la population est insatisfaite ou très insatisfaite de la démocratie, pourcentage alarmant qui souligne le désenchantement à l’égard de la politique qui gagne le pays.

Cette déception affecte en profondeur le paysage politique allemand. La fragmentation croissante des partis politiques complique la formation de coalitions. Même la grande coalition rassemblant les deux partis traditionnels, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, autrefois dominante, ne parvient plus à rassembler une majorité de sièges.
Le système des partis politiques allemands reflète ces évolutions. À son centre figurent des partis en déclin, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, auxquels s’ajoutent un parti libéral fragilisé, le Parti libéral-démocrate (FDP), qui peine à franchir la barre des 5 %, et les Verts, parti de la nouvelle classe moyenne. De surcroît, les populistes de droite se renforcent et un parti populiste de gauche, dont les jalons ont été posés avec « Bündnis Sahra Wagenknecht » (Alliance Sahra Wagenknecht) devrait être prochainement créé.
Alors que les partis centristes traditionnels ainsi que la vieille garde de la gauche connaissent une tendance à la baisse, le parti populiste de droite AfD a remporté un succès significatif, particulièrement dans les régions aisées du sud de l’Allemagne, telles que la Bavière et le Bade-Wurtemberg, mais aussi en Saxe dans l’est du pays. Cela reste souvent peu remarqué (et encore moins expliqué) dans les débats habituels qui se concentrent sur les disparités entre l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est. La division entre le Nord et le Sud se double d’une disparité économique, remettant en question l’explication fréquemment apportée selon laquelle le populisme émanerait de la protestation des laissés-pour-compte et des exclus de la modernisation. Contrairement à la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis, l’Allemagne ne montre pas de clivage net entre les zones urbaines et rurales dans le soutien aux partis populistes de droite.
Ceci s’explique en partie par le fait que les électeurs de l’AfD sont motivés par des convictions qui vont au-delà des disparités régionales. L’Allemagne a récolté les fruits de la mondialisation depuis 2005, en tirant profit de son modèle économique fortement internationalisé et notamment de ses relations étroites avec la Chine. Cependant, cette dynamique pourrait évoluer à la lumière des changements dans le paysage économique et géopolitique mondial, qui font craindre les effets d’un choc chinois auquel l’Allemagne pourrait se voir confronté. Les anciens bénéficiaires de la mondialisation pourraient désormais devenir des perdants. Dans ce contexte le discours anti-mondialisation gagne du terrain. Les électeurs de l’AfD, qui considèrent que le projet d’intégration européenne est l’un des maux à combattre, sont particulièrement sensibles à ces évolutions.
Le professeur Philip Manow est politologue à l’université de Brême ; il y mène ses travaux au Centre de recherche sur les inégalités et les politiques sociales (SOCIUM).
- Cette publication est disponible en allemand : ,,Ein tief verunsichertes Land – politische Fragmentierung und Polarisierung im Deutschland der Gegenwart“ (PDF).
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