Accord RDC-Rwanda à Washington : l’Amérique peut-elle réconcilier Kigali et Kinshasa ?
La République démocratique du Congo et le Rwanda ont signé vendredi à Washington un accord de paix visant à mettre fin au conflit qui endeuille l'est de la RDC depuis la fin des années 1990. Cette tentative américaine peut-elle réussir là où toutes les précédentes ont échoué ? Analyse de Thierry Vircoulon, chercheur associé au sein du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri.

Phénomène rare en 2025 : un espoir de paix semble enfin renaître grâce à la diplomatie. Vendredi 27 juin, à Washington, deux “frères ennemis”, la République démocratique du Congo (RD Congo) et le Rwanda, ont signé un accord de paix. En ce jour, le texte n'est toutefois approuvé que par les deux ministres des Affaires étrangères.
L’enjeu : mettre fin au conflit qui sévit en RD Congo depuis la fin des années 1990. Des millions de personnes - des civils en grande partie- y ont perdu la vie. Plusieurs tentatives de médiation, qatarie ou angolaise notamment, ont été entreprises. En vain.
Le projet américain prévoit notamment une cessation des hostilités entre les deux armées nationales, rwandaise et congolaises. Mais celles-ci sont loin d’être les seules actrices. Une kyrielle de groupes armés alimentent le conflit rwando-congolais.
Parmi eux, le M23. Soutenu par le voisin rwandais, il s’est finalement emparé de la capitale de la région congolaise du Nord-Kivu, Goma, le 26 janvier. Plus au sud, en février, Bukavu est tombée à son tour sous le contrôle de la milice.
Toile de fond stratégique, la présence de minerais critiques. Cobalt, cuivre, lithium… L’Est congolais regorge de ces matériaux, clef de notre avenir technologique, composants de nos milliards de smartphones. Le contrôle et l’exploitation de ces ressources - convoitées par Kigali - constituent une source majeure de tension entre la RD Congo et le Rwanda.
La diplomatie américaine peut-elle vraiment mettre un terme à un tel conflit ? France 24 fait le point avec Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
France 24 - Une demi-douzaine de cessez-le-feu ont été violés depuis 2021. Qu'est-ce qui peut laisser croire que cette fois-ci, c'est la bonne ?
Ce qui change fondamentalement, aujourd’hui, c'est l'implication de Washington, qui n'était pas là avant, et qui a pris en charge ces négociations avec un certain pouvoir sur les deux capitales.
C'est un des rares pays qui a ce qu'on appelle un "convening power", c'est-à-dire la capacité de mettre autour d'une table Kigali et Kinshasa.
Washington a ce pouvoir du fait de relations historiques avec le Rwanda, ainsi qu’avec le Congo, quoique moins anciennes.
C'est d’ailleurs le gouvernement congolais qui a sollicité la médiation américaine, après que Donald Trump a exprimé son intérêt pour l’accès aux minerais critiques en Ukraine. Cette séquence a donné l’idée à Kinshasa de proposer ce deal à Washington.
La question de la coopération économique entre le Rwanda et la RD Congo est depuis longtemps au cœur du conflit entre ces deux pays, et donc l'approche américaine, qui consiste à mettre l'accent là-dessus, est la bonne.
Quel rôle jouent ces précieux minerais dans l’approche américaine ? Celle-ci n’est-elle pas surtout motivée par des intérêts économiques ?
Jusqu'à présent, Washington ne pensait pas à la RD Congo - l’origine de l’accord est vraiment un appel du pied du gouvernement congolais. Mais désormais, les Américains s'intéressent effectivement à ce secteur minier congolais, qui est dominé à 70 % par des intérêts chinois.
Ils veulent pouvoir bousculer un peu les intérêts de Pékin, et mettre la main sur un certain nombre d'actifs miniers qui se trouvent en RD Congo. Un certain nombre d'entre eux ont d’ailleurs déjà été ciblés.
La grande zone minière qui est convoitée et qui est sous le contrôle du M23, c'est la zone de Rubaya, non loin de la frontière rwandaise. C’est une importante zone de production de minerais, à partir desquels on fabrique de l'étain.
Cette région sera à mon avis au cœur des négociations : depuis mars de l'année dernière, elle est tenue par le M23, qui fait passer toute la production en contrebande au Rwanda, et cela rapporte beaucoup d'argent.
In fine, l'accord formaliserait le système de prédation minière qui existe au Nord-Kivu, mais par le biais d'entreprises américaines. Cela légaliserait la chaîne commerciale qui va du Nord-Kivu jusqu'aux marchés internationaux, en passant par le Rwanda.
Concrètement, l'accord avec les Américains prévoit que chacun soit bénéficiaire : Washington formalise grosso modo la filière minière de l'Est congolais et fait en sorte que si l'on extrait du minerai au Congo, il soit probablement raffiné au Rwanda, avec évidemment les entreprises américaines impliquées.
Cet accord lie la RD Congo, au Rwanda, mais quid du M23 ? Pourquoi accepterait-il des concessions, alors qu’il est au faîte de sa puissance, après la prise de Goma et Bukavu ?
Cette question est en effet une des grandes faiblesses de l'accord, et on évoque d’ailleurs la nécessité d’un accord complémentaire, signé cette fois entre Kinshasa et le M23. Supposons que Kigali insiste en ce sens. Mais là, on ne voit pas trop pourquoi les deux parties le signeraient, et sur quoi ils pourraient s’entendre, Kinshasa et le M23 étant très opposés.
On n’imagine guère plus le M23 réintégrer l'armée congolaise : l'état-major congolais ne le souhaite pas et le M23 non plus, à mon avis.
Mais il y a une autre hypothèse : celle où Kigali lâche totalement le M23. Celui-ci serait alors en grande difficulté, puisqu'environ 4 000 soldats rwandais combattaient à ses côtés. Sans ces soldats, la force du M23 commence à être bien moindre.
Viols, tortures, massacres… Le M23 est coupable de crimes contre des civils, selon l’ONU. Ce projet de paix “par le négoce” typiquement “Trumpien” n’occulte-t-il pas la question de la justice ?
Un des problèmes du M23, c'est qu'ils ont en effet commis plusieurs massacres. Le plus important est celui de Kishishe, qui a été documenté - la Cour pénale internationale a envoyé des enquêteurs.
Évidemment, comme toujours avec les accords de paix, le but est de cacher ce type de faits sous le tapis.
Plus récemment dans le cadre de la prise de Goma, les Nations unies estiment qu'il y a eu à peu près 3 000 morts, sans trop distinguer les civils et les militaires.
L’avenir du M23 est un sérieux point d’incertitude. Et il y en a un second problème : quelle est la crédibilité de la parole de Kinshasa et Kigali ? Ce sont deux gouvernements qui ont l'habitude de signer des accords de mauvaise foi, puis de ne pas les mettre en œuvre.
Texte citation
La question de la coopération économique entre le Rwanda et la RD Congo est depuis longtemps au cœur du conflit entre ces deux pays, et donc l'approche américaine, qui consiste à mettre l'accent là-dessus, est la bonne.

Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri
> Lire l'article dans son intégralité sur le site de France 24.
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