Après le vote des conservateurs avec l’extrême droite allemande, « le grand gagnant aujourd’hui, c’est l’AfD »
En Allemagne, droite et extrême droite ont adopté ensemble un texte anti-immigration mercredi, mettant en péril le cordon sanitaire en place outre-Rhin depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour le « Nouvel Obs », Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes analyse la situation.

L’Allemagne a franchi, mercredi 29 janvier, un cap politique majeur. Pour la première fois, les conservateurs de la CDU/CSU ont voté un texte aux côtés de l’AfD, parti d’extrême droite. Cette alliance inédite a permis l’adoption, de justesse, d’une motion visant à durcir la politique migratoire du pays. Bien que ce texte ne soit pas contraignant juridiquement, il revêt une forte portée symbolique.
Le vote, qui a recueilli 348 voix pour et 345 contre, marque une rupture avec le « cordon sanitaire » traditionnellement maintenu en Allemagne par les partis modérés, interdisant toute coopération avec l’extrême droite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette décision a suscité de vives réactions, notamment de la part du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, qui y voit une « césure historique » et de l’ex-chancelière Angela Merkel qui a estimé qu’il était « erroné » de « permettre, les yeux fermés, une majorité avec les voix de l’AfD pour la première fois lors d’un vote au Bundestag allemand ». A quelques semaines des élections législatives, les conservateurs devraient aller plus loin ce vendredi 31 janvier en soumettant au vote une proposition de loi visant à limiter l’immigration et à renforcer les pouvoirs de police. Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes analyse la situation.
Bien que le texte adopté ne soit pas juridiquement contraignant, ce vote commun a une valeur symbolique et a provoqué de nombreuses réactions, notamment celle d’Angela Merkel. Peut-on parler d’un tournant ?
Paul Maurice Il y a effectivement un tournant, parce que c’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale que des voix de l’extrême droite se sont jointes à celles d’un autre parti démocratique pour le vote d’un texte. Jusque-là, les partis démocratiques refusaient catégoriquement, quelles que soient les conditions, quel que soit le niveau du texte, d’associer leurs voix à celles de l’extrême droite. C’était vraiment un principe qui allait, par exemple, jusqu’à bloquer l’élection d’un vice-président du Bundestag issu des rangs de l’extrême droite. En Thuringe en février 2020, lors de l’élection du ministre-président, Angela Merkel avait dû intervenir pour que la CDU se divise et que cette élection soit finalement annulée. Donc oui, on a vraiment un tournant, mais paradoxalement Friedrich Merz [potentiel futur chancelier conservateur, NDLR] a toujours considéré qu’il ne fallait pas d’alliance avec l’extrême droite et il passe son temps à le répéter, c’est une conviction sincère de sa part. Il ne fera pas d’alliance avec l’extrême droite.
L’historique « cordon sanitaire » allemand est-il aujourd’hui menacé ?
Oui, dans le sens où pour la première fois on accepte ce vote. Mais cela ne veut pas dire que Friedrich Merz va gouverner avec l’extrême droite, il ne le fera pas. Par contre ce qu’on peut dire c’est que le grand gagnant aujourd’hui, c’est le parti d’extrême droite, l’AfD, parce que ce sont eux qui ont affirmé que le cordon sanitaire n’existait plus. Ce sont eux qui sortent vainqueurs, qui applaudissent, et qui ont fêté le vote mercredi après-midi.
La CDU/CSU a toujours refusé toute coopération avec l’AfD au niveau national. Qu’est-ce qui a changé ?
Il y a une évolution, une trajectoire européenne et mondiale, de perméabilité entre les partis de droite et d’extrême droite mais en Allemagne c’est beaucoup plus compliqué étant donné l’Histoire du pays et de sa responsabilité. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une revanche de Friedrich Merz sur Angela Merkel, non pas personnellement, mais sur ce qu’elle a fait de la CDU, c’est-à-dire une CDU plus à gauche qu’elle n’était avant et après elle. Friedrich Merz reproche à Angela Merkel d’avoir abandonné les sujets traditionnels de la CDU comme l’immigration, la sécurité et il lui reproche d’avoir fait monter l’AfD en étant ouverte à l’accueil des migrants en 2015. C’est une manière aussi de revenir sur l’héritage d’Angela Merkel, à la fois pour le ressentiment qu’il y a puisqu’elle l’avait mis à l’écart au début des années 2000 mais aussi pour la ligne politique de la CDU.
A quelques semaines des élections législatives, quel peut être l’impact politique de ce rapprochement ?
[...]
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