"Iran. L'idée même d'un futur meilleur semble s'être évanouie"
L'Iran n'affronte plus la seule crise nucléaire : il en subit plusieurs à la fois. Politique, économique, sécuritaire, sociale: cette multiplication des tensions forme une véritable polycrise, dont sa société peine à voir l'issue.

La République islamique se referme davantage chaque jour dans une fuite en avant sécuritaire et une surenchère idéologique La surveillance numérique s'étend, les arrestations arbitraires se multiplient et toute contestation est criminalisée Résultat : un peuple désabusé, persuadé que l'avenir se résume à une suite de restrictions, d'humiliations. Autrefois nourrie par les promesses de réforme ou le rêve d'un changement politique profond, l'idée même d'un futur meilleur semble s'être évanouie.
L'économie est en chute libre. L'inflation dévore les salaires, le rial s'effondre, la pauvreté s'étend et la corruption gangrène tous les échelons du pouvoir. Les infrastructures vieillissantes ne suivent plus la croissance urbaine : transports et réseaux électriques défaillants, hôpitaux sous-financés, crise de l'eau. Etranglé par l'instabilité juridique et la mainmise des conglomérats liés aux gardiens de la révolution, l'investissement privé est en berne. L'Iran dispose pourtant de tout pour réussir: hydrocarbures, richesses minières, jeunesse éduquée et capital humain. Ces ressources sont mal utilisées, détournées au profit de cercles restreints, tandis que la majorité se débat dans un quotidien marqué par les privations et le déclassement.
A cela s'ajoute la montée des tensions sécuritaires. L'été 2025 a été marqué par une série d'explosions attribuées à des sabotages d'installations sensibles, signe d'une infiltration accrue des services étrangers, notamment du Mossad.
La jeunesse rêve d'émigration
Sur le front extérieur, l'escalade militaire avec Israël a franchi un seuil inédit en juin 2025 : plus de 550 missiles et 1000 drones iraniens ont frappé Israël, tuant 28 personnes et en blessant 3000 autres. Les frappes israéliennes ont fait 5800 blessés et 1062 morts dont 800 militaires, selon les sources officielles iraniennes qui présentent ces attaques comme une démonstration de puissance balistique et une victoire politique - des médias conservateurs affirmant même que Washington aurait proposé un cessez le feu par crainte de nouvelles frappes sur ses bases militaires régionales. Mais ce discours masque une réalité crue: ces affrontements épuisent l'économie, traumatisent la société et accentuent l'isolement international. Ces crises ont un coût humain élevé. Des milliers d'Iraniens qualifiés quittent le pays, incapables de s'y projeter. Eduquée, la jeunesse connectée rêve d'émigration plutôt que d'innovation. La confiance dans l'Etat et ses institutions se délite. La cohésion sociale se fragilise, minée par les inégalités et un sentiment croissant d'injustice. L'Iran aurait pu suivre un autre chemin. Une économie réformée, une politique étrangère alignée sur les besoins de sa population, une gestion durable de l'environnement : prospère et stable. Mais le régime persiste à confier son destin à des cercles idéologiques conservateurs, souvent issus des franges les plus défavorisées, sans expérience de gestion moderne, mais bardés de certitudes révolutionnaires. Plutôt que d'assumer ses échecs, il exige des Iraniens qu'ils accentuent la pauvreté comme une vocation patriotique, la pénurie comme une vertu.
Cette posture de résignation, souvent présentée comme une nécessité historique, est le produit d'un mode de gouvernance centré sur la préservation d'un régime plutôt que sur la satisfaction des besoins de la population. Sa persistance enferme le pays dans un cycle cumulatif de pauvreté, de défiance à l'égard des institutions et d'isolement international. Une large partie de la société évolue dans une incertitude structurelle qui inhibe la capacité de projection collective. Alors sur les tensions militaires avec Israël apparaissent récurrentes, la République islamique continue de sacrifier les intérêts nationaux pour assurer sa survie en investissant dans la promotion de son idéologie et en prenant des décisions sécuritaires au détriment de la défense du bien-être de la majorité de sa population.
Tribune parue dans le magazine : « L’Iran devant les mollahs », Historia, octobre 2025, p. 68.
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