Le messager du président russe, Vladimir Poutine, auprès de l’administration américaine, Kirill Dmitriev, a un don pour les opérations de communication. Coauteur, avec l’émissaire diplomatique de Donald Trump au Moyen-Orient et en Russie, Steve Witkoff, de l’accord en 28 points présenté désormais comme l’architecture du nouveau « plan de paix » américain pour l’Ukraine, ce financier madré ne manque pas d’audace. C’est lui qui a fait fuiter le texte de l’accord par voie de presse, comme l’a révélé un tweet malencontreux de M. Witkoff, prestement effacé par la suite.

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A l’aise aux Etats-Unis

Qui, sinon lui, pouvait plaider la cause de Vladimir Poutine à Washington ? Il est son homme de confiance, placé depuis 2011 à la direction du Fonds russe pour les investissements étrangers directs, une structure décrite par le Trésor américain comme l’une des « caisses noires » du président russe. Né à Kiev, éduqué à Stanford et à la Harvard Business School, le banquier se sent comme chez lui aux Etats-Unis – où il a su tisser des liens dans les milieux universitaires, ceux des affaires, de la politique et des médias – et aussi dans l’entourage de Donald Trump, dont il connaît le gendre, Jared Kushner.

Le 22 novembre, deux jours après la publication du plan, le vice-président américain, J. D. Vance, poste un tweet à propos de l’Ukraine sur son compte X. « Il y a un fantasme selon lequel si nous donnions plus d’argent, plus d’armes, plus de sanctions, la victoire serait à portée de main. La paix ne sera pas instaurée par des diplomates ratés ou des politiciens vivant dans un pays imaginaire. Elle pourrait être l’œuvre de personnes intelligentes vivant dans le monde réel. » Kirill Dmitriev jubile. Il lui répond sur X : « C’est très vrai. Les solutions fantastiques basées sur les faux récits de [Joe] Biden n’ont fait que prolonger la guerre et ses souffrances. Nombreux sont les va-t-en-guerre européens et britanniques qui veulent le combat jusqu’au dernier Ukrainien. Or le plan américain peut stopper le conflit en Ukraine et restaurer la sécurité globale. Bénis soient les faiseurs de paix. »

Son réseau a fait de Kirill Dmitriev l’homme lige de Poutine aux Etats-Unis. Quand les sanctions sur le pétrole russe sont annoncées, il est missionné à Washington pour tenter de renouer le dialogue. 

« Comme le canal diplomatique représenté par Sergueï Lavrov [le ministre russe des affaires étrangères] était bloqué, Kirill Dmitriev a pris la main sur les négociations, a priori au grand dam de Lavrov », qui s’est retrouvé hors jeu, explique la directrice du Centre Russie-Eurasie de l’IFRI, Tatiana Kastouéva-Jean.

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« Le même langage que Trump »

En revanche, ses séances de travail à Miami avec Steve Witkoff, son alter ego, n’ont pas été médiatisées. Pourtant, entre le 25 et le 28 octobre, les deux hommes auraient travaillé en toute discrétion à l’élaboration du plan en 28 points. 

« Steve Witkoff et Kirill Dmitriev ne sont pas des diplomates professionnels, mais des hommes d’affaires qui pensent en termes de bénéfices, de contrats à signer. En cela, ils sont alignés sur Donald Trump, ils parlent le même langage que lui », souligne Tatiana Kastouéva-Jean.

Les deux hommes se voient régulièrement depuis le 11 février. C’est à cette date qu’ils se sont rencontrés dans le cadre d’un échange de prisonniers : l’enseignant américain Marc Fogel, incarcéré en Russie depuis 2021 pour possession de cannabis médical, contre le Russe Alexander Vinnik, condamné par la justice américaine pour blanchiment d’argent. Kirill Dmitriev avait alors tapé dans l’œil de Steve Witkoff, venu tout spécialement à Moscou pour l’occasion. « Il y a un homme en Russie, qui s’appelle Kirill, et dont le rôle a été important dans cette affaire. Il est devenu un médiateur de poids », dira-t-il à son propos.

Pour qu’il puisse se déplacer sans problème, l’administration américaine a levé les sanctions qui le visaient depuis l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, le 24 février 2022. L’émissaire du Kremlin fréquente les Etats-Unis depuis 1989, date de son premier séjour en tant qu’étudiant. Lors du premier mandat de Donald Trump, il excelle à ouvrir des canaux de communication informels. Le 11 janvier 2017, il est vu aux Seychelles, en conversation avec le fondateur de l’entreprise militaire privée Blackwater, Erik Prince, par ailleurs l’un des donateurs du Parti républicain. Lors du second mandat, son action diplomatique reprend de plus belle. Le 18 février, il apparaît aux pourparlers menés à Riyad avec des émissaires américains. Sa présence n’est pas du goût de Sergueï Lavrov, qui le prive de chaise à la table des négociations.

Mais, en fin de compte, que le canal de communication soit celui de Dmitriev ou celui de Lavrov, « les objectifs de la Russie restent les mêmes », rappelle Tatiana Kastouéva-Jean. « La direction russe n’entend pas renoncer à ses objectifs militaires. Adopter le plan permettrait de limiter les futurs dégâts, c’est ce qu’elle laisse entendre », explique la chercheuse.

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