Rechercher sur Ifri.org

Recherches fréquentes

Suggestions

« Le Moyen-Orient redoute surtout que le chaos s'installe en Iran »

Interventions médiatiques |

interviewé par Julien PEYRON dans "

  Le Point 

"

 
Accroche

ENTRETIEN. Comment les rivaux de l'Iran perçoivent-ils l'affaiblissement du régime des mollahs ? Les réponses de Denis Bauchard, conseiller au Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri et ancien ambassadeur en Jordanie.

Image principale médiatique
Moyen-Orient sur la carte du monde.
Moyen-Orient sur la carte du monde
Rokas Tenys/Shutterstock.com
Table des matières
Table des matières
body

Le régime des mollahs iraniens est ébranlé comme jamais depuis sa naissance en 1979. Tandis que Téhéran tente d'afficher sa résilience après les frappes israéliennes et américaines, son programme nucléaire est à l'arrêt et la plupart de ses cadres ont été décimés. Entre craintes de chaos généralisé, risques de fermeture du détroit d'Ormuz et bouleversements économiques, le Moyen-Orient retient son souffle. Comment les alliés et les rivaux régionaux de l'Iran perçoivent-ils la situation ? Denis Bauchard, conseiller au programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri et ancien ambassadeur de France en Jordanie, décrypte les réactions, les non-dits et les enjeux d'une crise qui pourrait redessiner l'équilibre du Moyen-Orient.

Le Point : Quel est le sentiment général au Moyen-Orient après les attaques israélo-américaines contre l'Iran ?

Denis Bauchard : Il existe une forme de satisfaction chez certains pays producteurs de pétrole, qui ont intérêt à voir les prix augmenter, ainsi que chez ceux qui perçoivent l'Iran comme une menace. Mais, dans l'ensemble, c'est l'inquiétude qui domine. Le Moyen-Orient redoute surtout que le chaos s'installe en Iran. Cela tient à plusieurs facteurs : la crainte de perturbations dans la production pétrolière, que ce soit par des attaques sur des installations ou des problèmes de passage par le détroit d'Ormuz ; et, plus largement, la crainte de fortes perturbations économiques dans tout le Moyen-Orient.

Par ailleurs, plusieurs pays entretiennent de bonnes relations avec l'Iran, comme Oman ou le Qatar, qui partage un immense gisement gazier avec l'Iran. L'Égypte s'inquiète également des perturbations économiques, car son économie est déjà en difficulté, notamment à cause de la baisse du trafic dans le canal de Suez. Quant à la Jordanie, elle dépend du gaz israélien, et la situation actuelle fait peser un risque sur cet approvisionnement.

L'Arabie saoudite ne se réjouit-elle pas de voir son rival iranien affaibli ?

Riyad a opté pour une relation plus apaisée avec l'Iran ces dernières années, même si le programme nucléaire iranien continue d'être une source d'inquiétude. On n'est plus dans la configuration d'il y a vingt ans, où le roi Abdallah incitait les Américains à « tuer le serpent », pour reprendre l'expression qu'il employait pour désigner l'Iran.

Le Moyen-Orient s'inquiète de voir Israël devenir une superpuissance régionale.

Pourtant, les Saoudiens étaient encore récemment en guerre contre les houthis du Yémen, qui sont soutenus par l'Iran...

Les tensions sont retombées et les houthis ont concentré leurs attaques ces derniers mois contre Israël ou des navires transitant en mer Rouge. L'Arabie saoudite discutait avec l'Iran pour trouver une manière de cohabiter avec les houthis. Elle comptait sur l'influence iranienne pour stabiliser la situation.

La peur du chaos est-elle plus forte que la satisfaction de voir un rival affaibli ?

Il y a une forme de « Schadenfreude », de joie honteuse, dans plusieurs capitales du Moyen-Orient, c'est certain. Mais tous les pays de la région restent très prudents. Ils estiment qu'un effondrement du régime iranien serait synonyme de chaos, ce qui les inquiète beaucoup. Par ailleurs, le Moyen-Orient s'inquiète de voir Israël devenir une superpuissance régionale. On redoute de voir un géant israélien prendre la place de la menace iranienne. Enfin, l'Arabie saoudite et les Émirats, alliés des États-Unis, craignent de nouvelles représailles iraniennes sur leurs installations pétrolières.

L'opposition intérieure en Iran est très faible

Comment les minorités en Iran, notamment kurdes ou baloutches, perçoivent-elles la situation ?

Il y a toujours eu des poussées irrédentistes chez les Kurdes et les Baloutches, parfois encouragées par Israël. Les Kurdes se considèrent comme discriminés, c'est aussi le cas des Baloutches et, dans une moindre mesure, des minorités arabes du sud-ouest du pays. En revanche, les Azéris sont largement intégrés au pouvoir, le guide suprême étant lui-même d'origine azérie.

À mon avis, ces minorités ne sont pas suffisamment puissantes, organisées ou armées pour menacer le régime. L'opposition intérieure en Iran est très faible. Les jeunes ne sont ni armés ni très structurés. Pour l'instant, la population cherche surtout à se protéger ou à fuir, pas à se mobiliser contre le régime.

Qu'en est-il du côté des populations civiles dans les pays où l'Iran s'est beaucoup impliqué, comme le Liban ou la Syrie ? Voir les mollahs affaiblis ne les réjouit-il pas ?

Dans les pays où il y a une forte minorité, voire une majorité chiite, la relation avec l'Iran est ancienne et profonde. Les opinions publiques y sont généralement critiques envers Israël. Par exemple, les chiites sont majoritaires en Irak et constituent la première communauté au Liban. Même dans ces pays, la situation est complexe. Les chrétiens libanais, aujourd'hui minoritaires, peuvent certes se réjouir d'un affaiblissement de l'Iran, mais globalement, même ceux qui pourraient y trouver un motif de satisfaction restent prudents et critiques envers l'offensive israélienne.

Comment le président turc perçoit-il la situation en Iran ? Y voit-il une opportunité pour renforcer son influence dans la région, notamment après la chute de Bachar el-Assad en Syrie ?

Il y a un sentiment général d'inquiétude en Turquie, face au chaos supplémentaire provoqué par Israël. Erdogan a pour habitude de manoeuvrer habilement, mais il craint un afflux de réfugiés iraniens à sa frontière, alors que son pays gère déjà de nombreux réfugiés syriens ayant fui la guerre. Le président turc s'inquiète aussi, et surtout, d'un affaiblissement du régime iranien, qui pourrait ne plus contrôler le Kurdistan iranien, ce qui renforcerait les mouvements kurdes, notamment le PKK, qui dispose de bases côté iranien.

Erdogan est à la manoeuvre, il a eu plusieurs échanges téléphoniques avec Trump.

En Syrie, la Turquie joue un rôle important, mais elle s'est gardée de prendre des positions hostiles envers l'Iran. Les milices financées par l'Iran se sont retirées sans problème particulier du pays. Erdogan est à la manoeuvre, il a eu plusieurs échanges téléphoniques avec Donald Trump.

Qu'en est-il des Palestiniens ?

La question palestinienne est passée au second plan, mais le Moyen-Orient ne retrouvera pas de stabilité tant qu'elle ne sera pas résolue.

>> Lire l'article sur le site du Point.

Decoration

Média

Nom du journal, revue ou émission
Le Point

Journaliste(s):

Journaliste
Julien Peyron

Format

Catégorie journalistique
Article

Partager

Decoration
Auteurs
Photo
les_jeudis_de_lifri_4.png

Denis BAUCHARD

Intitulé du poste

Conseiller, Programme Turquie/Moyen-Orient de l'Ifri

Crédits image de la page
Moyen-Orient sur la carte du monde
Rokas Tenys/Shutterstock.com