Reconnaissance de la Palestine : le très politique revirement d’Emmanuel Macron
Face à l’opinion publique et au génocide en cours à Gaza, le président se résout à prendre cette décision symbolique. À rebours de ses propres positions et de celles de ses ministres successifs.

Mais quelle mouche a bien pu piquer Emmanuel Macron ? Reconnaître l’État de Palestine, le président s’y est longtemps refusé. Une ligne infranchissable. En 2017, le candidat Macron ne voulait même pas utiliser le mot de « reconnaissance ». « La sécurité d’Israël est pour nous un principe intangible, de même que la légitimité de l’État palestinien. Nous devrons rechercher les conditions d’une paix juste et durable, qui permette aux deux États de coexister en sécurité », était-il écrit dans son programme pour la présidentielle de 2017.
En janvier 2020, le président Macron, en déplacement à Israël, n’hésitait pas non plus à afficher sa proximité avec Reuven Rivlin, président d’Israël, et avec l’État hébreu. « L’antisionisme, lorsqu’il est négation de l’existence d’Israël comme État, est un antisémitisme », lance-t-il.
Pas un mot sur la Palestine.
Mais le calendrier politique s’accélère parfois. La famine à Gaza, les attaques destructrices visant les terres palestiniennes… Emmanuel Macron se résout, début avril, à reconnaître la Palestine lors d’une conférence que la France aurait dû présider avec l’Arabie saoudite aux Nations unies en juin. L’événement est finalement reporté à cause des frappes israéliennes visant l’Iran. La conférence est ajournée, mais l’ambition du chef de l’État n’est pas remise à plus tard.
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Pendant longtemps, Emmanuel Macron et les siens défendent donc le statu quo. Pas question de changer de braquet. Reconnaître la Palestine ? En temps voulu, plus tard, uniquement dans le cadre d’un processus de paix comme le Quai d’Orsay l’a toujours défendu.
Sur place, la situation humanitaire s’aggrave considérablement. Il est impossible de ne pas réagir devant les massacres et la tragédie humanitaire depuis le 7 octobre 2023. L’urgence est là. En février 2024, Emmanuel Macron fait un grand pas diplomatique. « La reconnaissance d’un État palestinien n’est pas un tabou pour la France, lâche le président, le 16 février 2024, après avoir reçu à l’Élysée le roi Abdallah II de Jordanie. Nous le devons aux Palestiniens, dont les aspirations ont été trop longtemps piétinées. » Les mots sont clairs.
« Utile mais un peu tard »
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En Macronie, on insiste sur l’influence de Jean-Noël Barrot. À la table du conseil des ministres, c’est lui qui n’aurait pas hésité à monter au créneau. Le ministre Modem de l’Europe et des affaires étrangères nommé en septembre 2024 aurait plaidé pour la reconnaissance auprès du président. « Ça n’a pas été simple pour convaincre l’Élysée. Il fallait être habile pour renverser la situation », raconte un proche du ministre. Le 28 juillet devant l’ONU, le centriste lance : « Nous ne pouvons plus attendre. Cette solution est la seule susceptible d’assurer la paix, la sécurité des Israéliens, des Palestiniens, de la région, et donc au-delà de la Méditerranée et du monde, en quelque sorte, elle nécessite d’être relancée. »
Le chef de l’État vient peut-être de trouver la décision qui laissera une trace dans l’histoire. Attaché à son héritage politique, le président peut désormais se targuer d’avoir fait ce qu’ont promis ses prédécesseurs sans jamais passer à l’acte.
« Pendant longtemps, la France a été très active sur la question palestinienne. Valéry Giscard d’Estaing a parlé de l’idée d’un droit du peuple palestinien à l’autodétermination. François Mitterrand a évoqué le droit à un État palestinien devant la Knesset. Jacques Chirac a obtenu des Européens la déclaration de Berlin de 1999 où il est question d’un État palestinien. 25 ans après, la reconnaissance de l’État de Palestine est utile mais c’est un peu tard », considère Denis Bauchard, ancien ambassadeur en Jordanie, ex-directeur de l’Afrique du nord et du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères et actuel conseiller pour le Moyen-Orient à l’Institut français de relations internationales (Ifri).
L’ancien diplomate estime que cette mesure doit absolument s’accompagner de mesures concrètes, comme la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et Israël, l’interdiction d’entrée dans le territoire français pour Benyamin Netanyahou et tous les responsables civils et militaires responsables des exactions en Israël ou la suspension de tout envoi de matériels de guerre à Israël. 35 anciens ambassadeurs ont publié, en août, une tribune dans Le Monde en ce sens.
Tactiquement, le président sort de la mêlée. Alors que le bloc central est divisé et que la droite comme l’extrême droite fustigent cette décision, le chef de l’État se dégage un espace politique loin des négociations étriquées au sein de son propre camp, à distance des jeux partisans qui engluent l’Assemblée. Politiquement, cette décision permet au chef de l’État de s’extirper d’un deux poids, deux mesures difficile à tenir sur le plan international. Si Emmanuel Macron est si investi par la cause ukrainienne, pourquoi ne fait-il rien pour la Palestine ?
Impopularité grandissante
En France, les manifestations pro Gaza sont impossibles à ignorer. L’opinion publique s’empare de la question palestinienne. Et dans la rue, Emmanuel Macron est ciblé. Ce président hyperactif à l’international à l’impopularité grandissante se retrouve accusé d’être impuissant face à ce drame, mutique devant un génocide.
« S’il a choisi ce moment, c’est qu’il y a dans l’opinion publique en France mais aussi dans beaucoup de pays étrangers, une émotion voire une indignation à l’égard de ce qui se passe à Gaza », observe Denis Bauchard.
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L’enjeu est posé : passer du symbolique au politique.
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