10
avr
2009
Publications Éditoriaux de l'Ifri
Raoul DAVENAC, Laurence NARDON

Les deux Corées et l'Espace Actuelles de l'Ifri, avril 2009

Les deux Corées et l'Espace

La Corée du Nord a réalisé le 5 avril 2009 un nouveau tir de fusée à longue portée, annoncé comme un lancement de satellite. Ceci ravive les craintes de prolifération balistique en Corée du Nord et dans les pays vers lesquels elle a exporté des missiles dans le passé. Pendant ce temps, la Corée du Sud a développé un programme spatial à visée civile et commercial, engageant de multiples coopérations internationales.

Annoncé depuis quelques semaines comme un lancement spatial, le tir d"une nouvelle fusée à longue portée par la Corée du Nord est finalement intervenu le 5 avril. Cet événement est perçu par les Occidentaux comme une recrudescence du risque balistique dans la région et le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, le déclare contraire aux résolutions du Conseil de sécurité. L"ambassadeur Stephen Bosworth, chargé par l'administration Obama des négociations avec la Corée du Nord rappelle néanmoins que " le problème à court terme [du tir] ne doit pas faire perdre de vue l'intérêt à long terme de toutes les parties concernées, qui est la reprise des négociations avec Pyongyang ". (1)

De son côté, la Corée du Sud mène un programme spatial relativement avancé. Il est vrai que sa situation économique et internationale est bien différente de celle de sa voisine du nord. Elle dispose de moyens financiers et humains tout à fait considérables ; elle bénéficie par ailleurs d"un certain nombre de transferts de technologie et de matériel et participe à plusieurs programmes de coopération internationale.
Cette note vise à faire un point sur les activités spatiales des deux Corée et à montrer l"influence des quatre puissances impliquées dans le règlement de la question coréenne : Chine, Russie, Japon et Etats-Unis.

 

Le programme spatial de la Corée du Sud

La Corée du Sud a développé depuis quelques années un programme spatial riche et diversifié, avec un projet de lanceur, des missions scientifiques et des programmes de satellites d"application commerciaux. Créé en 1989, le KARI (Korea Aerospace Research Institute) met en œuvre la politique spatiale coréenne décidée par le Ministère de l"Education, de la Science et de la Technologie (MEST). En plus d"une compétence en aéronautique, le KARI est responsable du développement des futurs lanceurs KSLV (Korea Space Launch Vehicle) et de leur base de lancement, ainsi que des programmes Kompsat et COMS (2).

Le développement du premier lanceur coréen, KSLV-1, a commencé en 2002. Il s"agit d"une fusée de 140t et de 33m à deux étages, qui permet de mettre en orbite basse des satellites de 100 kg. Le premier étage est fabriqué en Russie d"après les lanceurs Angara, tandis que le second étage, le système de navigation inertiel, l'électronique et le moteur d'injection ont été développés par des ingénieurs sud-coréens. Le premier lancement, retardé, est maintenant annoncé pour juillet 2009 depuis la base de Naro, sur la côte sud de la péninsule coréenne (3). Une seconde version, le KSLV-2, devrait être capable d"emporter les satellites Kompsat de 1,5t en orbite basse en 2015 et pourrait à terme lancer une sonde d"exploration lunaire (4).

Les satellites d"observation de la Terre en orbite basse Kompsat sont développés depuis les années 1990. Kompsat-1, réalisé par TRW et lancé en 1999, a permis de prendre plus de 470 000 photos de la péninsule coréenne (5). Cette mission est désormais assurée par Kompsat-2, développé par EADS Astrium et lancé en juillet 2006, qui offre une résolution de 1m en panchromatique et de 4m en multispectral. Comme il peut observer la Corée du Nord, cette dernière l"a qualifié de satellite espion (6), tandis que le KARI exploite régulièrement l"image de Pyongyang dans ses communications. La suite du programme prévoit le lancement de Kompsat-5 en 2010 et de Kompsat-3 en 2011, développés par Thales Alenia Space. Kompsat-3A et Kompsat 7 devraient être commandés pour des lancements respectifs en 2013 et 2015 (7).

Le KARI et le KAIST (Korea Advanced Institute of Science and Technology) développent également une série de micro-satellites scientifiques en orbite basse STsat (" Science & Technology Satellite "). STsat-1 a été lancé en 2003 pour des travaux en astrophysique et Stsat-2 doit être mis en orbite lors du premier vol de KSLV-1 pour tester de nouvelles technologies et observer le Soleil (8).

Les satellites COMS sont quant à eux des satellites multifonction en orbite géostationnaire. Ils sont développés par le KARI pour des applications d"océanographie, de météorologie et de communications. Le premier exemplaire, COMS-1, est développé avec EADS Astrium. Il assurera à partir de 2009 la cartographie et la surveillance de l"environnement marin, le suivi de la météorologie et des communications à usage civil en bande Ka. Un second satellite COMS-2 pourrait être lancé en 2014 (9).
Des acteurs commerciaux sont également à l"œuvre. L"opérateur KT est responsable de la série de satellites de télécommunications Koreasat. Les trois premiers (1995, 1996, 1999), ont été développés par Lockheed Martin. Koreasat 5, développé par Thales Alenia Space et lancé en 2006, répond à des missions civiles (Ku et Ka) et militaires (SHF). Koreasat 6 sera construit par Thales Alenia Space et Orbital Sciences Corporation. En 2004, l"opérateur coréen TU-Media, contrôlé par SK Telecom, a de plus démarré l"exploitation du satellite MBSat pour diffuser de la vidéo et de l"audio numérique sur des mobiles (10).

L'essentiel des coopérations internationales engagées par la Corée sont des coopérations industrielles à visée commerciale. Il existe néanmoins deux accords intergouvernementaux : avec les Etats-Unis (accord MEST-NASA, octobre 2008) et la Russie (accords Corée-Russie, septembre 2004 et octobre 2006). Les accords avec la Russie ont permis en particulier d"encadrer la contribution russe au KSLV-1 et le vol d"une cosmonaute coréenne à bord du Soyouz et de l"ISS en 2008. Par ailleurs, le KARI a signé des MoU avec les agences spatiales française en 2007 et allemande en 2003. C"est cependant au niveau régional que le KARI se positionne le plus. La signature d"un MoU avec l"agence spatiale japonaise en 2006, a été suivi par une participation au programme sur les catastrophes naturelles Sentinel Asia en 2007 et une déclaration d"intention en vue d"une participation au projet de satellite APRSAT en 2008. Des MoU ont été également signés avec la Mongolie et la Thaïlande, principalement sur l"utilisation des images satellite d"observation de la Terre (11).

 

La prétention spatiale de la Corée du Nord

La situation de la Corée du Nord est bien différente : société fermée et isolée sur la scène internationale, elle dispose de peu de moyens pour développer un vrai programme spatial. Ses motivations sont avant tout politiques. Comme pour beaucoup de puissances spatiales, le développement de moyens spatiaux en Corée du Nord résulte de l"acquisition de technologies balistiques.

 

Le développement de missiles balistiques

en Corée du Nord a débuté dans les années 1960 grâce au soutien de l"Union Soviétique, puis dans les années 1970, grâce à la Chine. Il semblerait que les premières acquisitions de la technologie soviétique Scud remontent à 1980 via l"Egypte et que ses développements par rétro-ingéniérie aient aboutis à de premiers tests en 1984 et de premiers exports en 1987, en particulier vers l"Iran. Par la suite, la Corée du Nord a entamé son programme Nodong de missile balistique à portée intermédiaire, dont les premiers prototypes sont construits autour de 1990. La Corée du Nord aurait exporté des missiles Nodong vers la Libye, l"Iran et vraisemblablement vers la Syrie et le Pakistan. En complément de ce programme débute le développement du Taepodong-1 ou Paektusan-1, missile à deux étages dont le premier étage est un Nodong et le second étage dérive de la technologie Scud (12).

Le premier test du Taepodong-1 a eu lieu le 31 août 1998, lors du 50e anniversaire de la Corée du Nord. Il est annoncé officiellement par la KCNA (Korea Central News Agency) comme ayant permis de lancer le satellite expérimental de télécommunications Kwangmyongsong-1 (" petite étoile brillante "), un simple émetteur en orbite basse, depuis la base de Musudan-ri. Devant l"absence de détection du satellite par la NORAD (North American Aerospace Defense Command) et les radioamateurs, la KCNA a annoncé que le satellite était retombé dans l"atmosphère après une centaine d"orbites. Néanmoins, de nombreux spécialistes pensent que ce lancement aurait été un échec suite à une défaillance (13).

Au milieu des années 1990 débute le développement du missile à longue portée Taepodong-2 ou Paektusan-2, avec un premier étage nouveau et un second étage Nodong (14). En juillet 2006, la Corée du Nord dénonce le moratoire de 1999 sur ses tests de missiles et effectue un premier test du Taepodong-2, qui échoue après 40 secondes de vol. Le Conseil de Sécurité de l"ONU condamne ce test immédiatement (résolution 1695) et appelle la Corée du Nord à " s'abstenir de tout nouvel essai nucléaire ou tir de missile balistique " (résolution 1718)(15).
Le second test du missile Taepodong-2, annoncé depuis février 2009 par le gouvernement nord-coréen comme le lancement du satellite expérimental de télécommunications Kwangmyongsong-2 (16), a été réalisé le 5 avril dernier. Alors que les gouvernements occidentaux condamnent ce test comme contraire aux résolutions 1695 et 1718 et que les Etats-Unis en particulier envisagent " une réponse forte ", la Chine et la Russie suivies de la Libye et du Vietnam défendent le droit de tout pays à un programme spatial pacifique. Pour sa part, le gouvernement nord-coréen déclare que " le progrès spatial est un droit souverain de la DPRK " (17). Au-delà de ce lancement et alors que " aucun objet n'est entré en orbite " d"après la NORAD (18), la Corée du Nord annonce pour l"avenir des vols habités, des sondes lunaires et des satellites de recherche scientifique, voire des lancements commerciaux pour des opérateurs occidentaux à des coûts compétitifs (19).

Pour Baek Seung-Joo de l'Institut d'Analyses sur la Défense de Corée du Sud, la Corée du Nord ne dispose d'aucun programme spatial mais prétend en développer un pour plusieurs raisons : " éviter un conflit avec la nouvelle administration américaine, améliorer sa technologie dans le secteur des missiles et renforcer l'unité nationale " (20). Kim Myong-Chol, de l"Académie des Sciences Sociales de la DPRK, qui se considère comme une voix non-officielle de Kim Jong-Il et de la Corée du Nord, déclare quant à lui que le lancement répond à 5 objectifs : faire partie de l"élite qui dispose de forces spatiales et nucléaires, rejoindre le groupe des pays les plus développés économiquement grâce à une industrie de pointe, renforcer l"image du leader Kim Jong-Il, lutter contre l"hostilité des Etats-Unis et enfin, préparer une éventuelle réunification dans laquelle la Corée du Nord apporte la continuité avec l"ancien royaume de Koguryo [37 av JC - 668] (21).

 

Du rôle des puissances extérieures

LE Lancement récent doit être analysé dans le contexte du risque de prolifération que représente la Corée du Nord et par rapport à l"attitude des quatre puissances qui participent avec les deux Corée aux " pourparlers à six " : Russie, Chine, Etats-Unis, Japon. Chacune de ces puissances a bâti dans l"histoire des relations particulières avec la péninsule coréenne. Si le Japon colonise sans partage la Corée à partir de 1894 et en est exclu en 1945, il reprend rapidement une influence régionale (22). Alors que la guerre de Corée (1950-1953) permet aux Etats-Unis de prendre conscience du rôle stratégique de la Corée pour limiter l"avance soviétique en Asie, elle fait retrouver à la Chine, avec son soutien à la Corée du Nord, son rôle traditionnel de chef de famille par rapport aux pays frontaliers (23). L"équilibre entre les deux Corée, sous influence au nord de la Chine, au sud des Etats-Unis et du Japon -la Russie jouant un rôle aujourd"hui plus changeant-, reste aujourd"hui instable. " Aucune [des quatre puissances] n"est prête à accepter des modifications qui apparaîtraient comme un recul " comme l"écrivait déjà en 1990 un ancien ambassadeur à Séoul(24).

De nombreux observateurs pensent même que la division de la péninsule profite à certains intérêts des quatre puissances (25). Ainsi, l"existence de deux Corée offre à la Chine et à la Russie une possibilité d"alternance diplomatique entre l"Est et l"Ouest. La Russie, par exemple, défend le droit de la Corée du Nord à développer un programme spatial, tout en coopérant avec la Corée du Sud dans ce même domaine. Pour le Japon, le risque d"une agression par la Corée du Nord renforce les arguments en faveur de la remilitarisation, au travers par exemple du programme de développement commun avec les Etats-Unis d"un nouveau missile antimissile, voire l"accès à un programme militaire nucléaire. Les Etats-Unis, protecteur naturel de la Corée du Sud, cherchent quant à eux à maintenir le rôle de Pékin dans la région comme contrepoids aux puissances japonaise et russe (26).

Le développement de moyens balistiques et spatiaux par la Corée du Nord tient donc moins de la course affichée après son frère capitaliste qu"aux choix géopolitiques de ses grands voisins. Le maintien de la dictature nord-coréenne permet en effet la poursuite de ces programmes potentiellement dangereux. Or, le risque que représente la Corée du Nord tient tout autant à ses propres activités qu"à ses exportations de missiles depuis plusieurs décennies. Ces exportations influent sur la stabilité d"autres régions au premier rang desquelles l"Afrique et le Moyen-Orient. Le traitement de la question nord-coréenne relève donc d"une large démarche internationale.

 


[1] " Pas d"accord au Conseil de Sécurité à propos de la Corée du Nord ", Le Monde, 6 avril 2009.
[2] " Space develoment policy and international cooperation " Ministry of science and technology of the Republic of Korea, 14e conférence APRSAF, novembre 2007.
[3] " La Corée du Sud poursuit des tests de fiabilité sur le KSLV-1 ", Bulletin Economique (BE) 43, 10 juin 2008.
[4] " Retards prévus pour le Korea Space Launch Vehicle 2 ", BE 45, 6 février 2009.
[5] " 1st satellite to be officially retired ", Korea Times, 11 janvier 2008.
[6] http://www.kcna.co.jp/item/2006/200608/news08/02.htm
[7] " Introduction to Space Activities of Korea ", KARI, 15e conférence APRSAF, décembre 2008.
[8] Ibid.
[9] Suh Ae-Sook, “KMA"s Geastationary Meteorological satellite”, 5th GOES-R Users conference, Janvier 2008.
[10] " L"industrie spatiale coréenne ", fiche de synthèse UBIFrance, juillet 2008.
[11] " Introduction to Space Activities of Korea ", op. cit.
[12] http://www.nti.org/e_research/profiles/NK/Missile/index.html
[13] Wallonie Espace Infos n°36, janvier-février 2008.
[14] Jonathan Space Report, n°607, 2 mars 2009.
[15] " La Corée du Nord condamnée par deux fois par l"ONU ", LeMonde.fr avec AFP, 5 avril 2009.
[16] Peter Brown, " North Korea Aims High ", Asia Times, 4 mars 2009.
[17]Jun Kwanwoo, " La Corée du Nord fête Kim et promet de poursuivre ses essais de miissiles ", AFP, Séoul 16 février 2009
[18] " Après le tir, maintenir le dialogue avec PyongYang ", Lemonde.fr avec AFP et Reuters. 5 avril 2009.
[19] http://www.fpif.org/fpifoped/3351 et Kim Myong Chol, “High five: Messages from North Korea”, Asia Times, 19 Mars 2009.
[20] " Pyongyang : un test de missile entre dans le cadre d"un programme spatial (KCNA) ", AFP, Séoul, 16 février 2009.
[21] Kim Myong Chol, op.cit.
[22] André Fabre, Histoire de la Corée, Langues du Monde, L"Asiathèque, 2000.
[23] Rémi Teissier du Cros, Les Coréens, frères séparés, L"Harmattan, 1990.
[24] Teissier Ducros, ibid.
[25] Valérie Niquet, Centre Asie Ifri, Avril 2009.
[26] François Thual, La nouvelle crise coréenne, Repères géopolitiques, La documentation française, 1995