Les « kargo » d’Istanbul, l’autre facette de la Turquie-Afrique
Reportage · Les Turcs éliront leurs maires ce 31 mars. À Istanbul, où la campagne électorale se joue sur le terrain du nationalisme, les Africains venus faire du business sont malmenés. Ces dernières années, nombre d’entre eux s’y sont installés, et se sont fait une place dans le commerce à la valise et dans les sociétés de transport de marchandises appelées « kargo ».
À quelques encablures de l’esplanade des mosquées de Sultanahmet et du Grand Bazar d’Istanbul, où se pressent les touristes des quatre coins du monde, le capitalisme mondialisé bat son plein. Tentaculaire, la capitale économique de la Turquie s’est développée de part et d’autre du Bosphore, le détroit le plus urbanisé de la planète. Un balai mensuel de 3 000 porte-conteneurs en moyenne traverse cette étroite gorge (Boğaz, nom donné au Bosphore en turc) reliant la mer Noire à la mer de Marmara, sous les yeux de plus de 16 millions d’habitants.
En marge de ces échanges, de nombreuses personnes exilées ont réussi à se faire une place dans un commerce plus informel : il s’agit du commerce à la valise, dit « bavul ticareti », qui désigne l’achat de marchandises à Istanbul par des étrangers qui les revendent ensuite au détail ou en semi-gros dans leurs pays d’origine. Le quartier de Laleli-Yenikapı est le cœur battant de cette activité. Là, des camions de livraison klaxonnent des hommes à pied qui tirent de grands diables. Des marchandises emballées s’empilent plus haut que leurs têtes. Ces travailleurs transportent des colis depuis les boutiques jusqu’aux dépôts de sociétés de transport spécialisées, qui les achemineront via des porte-conteneurs dans le monde entier. Ces dernières sont appelées « kargo ».
Pratiqué par des Maghrébins dans les années 1970, puis par des Russes et des Européens de l’Est à partir des années 1990, le commerce à la valise a trouvé dernièrement de nouvelles adresses d’expédition en Afrique subsaharienne, où manquent les industries manufacturières. Les kargo africaines ont fait leur trou dans ce paysage commercial animé et bruyant de la Corne d’Or. Des drapeaux sénégalais, gambiens, kényans ou encore éthiopiens habillent les devantures des bureaux d’exportation, intercalés entre les semi-grossistes, les auberges pour « touristes-acheteurs » et les restaurants de börek. Au cœur de ces réseaux commerciaux transnationaux, des Africains jouent le rôle d’intermédiaires entre acheteurs compatriotes et vendeurs turcs. Par leur existence et leurs activités commerciales, ils participent concrètement et quotidiennement aux circulations transrégionales humaines, matérielles et de savoirs entre la Turquie et les pays africains.
> L'article est à retrouver en intégralité sur Afrique XXI
Elisa Domingues dos Santos est chercheuse associée aux programmes Turquie et Moyen Orient et au centre Afrique subsaharienne de l'Ifri depuis mai 2023. Elle réalise un doctorat en sciences politiques à l'Université catholique de Lille et est rattachée aux laboratoires C3RD et ETHICS. Elle est également chercheuse associée à l'Institut Français des Etudes Anatoliennes (Ifea) à Istanbul. Ses recherches portent principalement sur les relations entre la Turquie et l'Afrique subsaharienne.
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