Le Moyen-Orient en 2029
Les guerres qui ravagent aujourd’hui le Moyen-Orient n’ont pas vocation à se poursuivre éternellement et la région n’est pas vouée à être dirigée par des autocrates. Une transition vers un ordre plus juste pour les populations est possible mais elle prendra du temps. Il est peu probable qu’elle advienne d’ici 2029. Les progrès viendront graduellement, poussés par la société civile. De nouvelles révolutions sont possibles mais il n’est pas sûr qu’elles produisent davantage de démocratie.
Ces dix dernières années, le Moyen-Orient a subi une transformation historique qui a irrémédiablement bouleversé le statu quo. Un conflit aux multiples facettes se déploie dans le Grand Moyen-Orient, en particulier dans le monde arabe, sur l’avenir de l’État-nation, le rôle du religieux dans le politique et la relation entre dirigeants et citoyens. Ce conflit n’est pas seulement territorial, il est aussi idéologique et institutionnel. Il s’agit d’une lutte existentielle entre de multiples acteurs – conservateurs, progressistes, islamistes, nationalistes… Une guerre froide régionale opposant trois acteurs clés – Iran, Arabie Saoudite et Turquie – est au cœur de ce conflit, qui a des implications bien au-delà de la région. Son issue déterminera la nature et l’identité des États-nations, ainsi que leurs relations avec le reste du monde.
La division criante du monde arabe entre une identité nationale et des identités tribales, religieuses et sectaires se manifeste par de violents affrontements. Ces identités secondaires ont émergé dans le vide laissé par des institutions étatiques défaillantes et des élites dirigeantes en mal de légitimité ; elles menacent aujourd’hui de détruire le système étatique tout entier. Redessiner les cartes ne résoudra pas la crise. L’exemple récent du Sud-Soudan témoigne des effets négatifs qui peuvent résulter de telles tentatives.
Le système étatique du Moyen-Orient est en pleine transition. Dans toute la région, des visions divergentes de l’État-nation et du contrat liant pouvoirs et populations s’affrontent. Les tentatives de réformer les États-nations du Moyen-Orient reflètent les expériences longues et souvent sanglantes d’autres régions du monde en matière de nation building. Elles mettent aussi en lumière l’une des dynamiques évolutives de la lutte actuelle : l’héritage du colonialisme et son impact sur l’émergence de l’organisation locale.
La donne politique du Moyen-Orient – des États-nations bâtis par des puissances coloniales – sera certainement toujours d’actualité en 2029 et au-delà, en dépit d’efforts conséquents d’acteurs non étatiques souhaitant les remplacer par d’autres modèles. Si les puissances coloniales européennes ont construit ces États-nations selon des frontières arbitraires, le développement historique de la région montre que ces identités nationales sont profondément enracinées. Ces frontières sont aujourd’hui largement admises par les communautés locales. […]
PLAN DE L’ARTICLE
- De la politique du passé à la politique de l’avenir
- Le Moyen-Orient dans le contexte mondial
- Un système étatique durable
- Le constitutionnalisme
- La réinvention du populisme autoritaire au Moyen-Orient
- Concevoir le changement par la base
Fawaz A. Gerges est professeur de relations internationales à la London School of Economics. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Making the Arab World, Princeton, Princeton University Press, 2018 et ISIS: A History, Princeton, Princeton University Press, 2016.
Le texte est traduit de l'anglais par Cécile Tarpinian.
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Les fonds souverains du Golfe, acteurs majeurs de la finance mondiale
La mission principale d'un fonds souverain est de constituer une épargne nationale à long terme destinée aux générations futures, en diversifiant ses investissements sur les plans sectoriel et géographique. Dans cette logique, les pays du Golfe ont alimenté pendant de nombreuses années leurs fonds souverains grâce aux gigantesques rentes pétrolières, notamment lorsque les cours du brut étaient au plus haut, atteignant un record historique de 143 dollars le baril en 2008.
Lors de la crise financière de 2007-2008, leur intervention a été déterminante dans le sauvetage du système financier, avec l'injection de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans le capital des institutions financières. Depuis, ils n'ont cessé de gagner en crédibilité, en sophistication et en technicité. Ainsi sont-ils à la pointe en matière d'investissement dans l'Intelligence artificielle (IA) et la transition énergétique. De nouvelles orientations dans leurs stratégies d'investissement peuvent avoir des répercussions majeures sur l'écosystème financier mondial.
Aujourd'hui, les fonds souverains du Golfe sont devenus de véritables titans de la finance. Leur influence grandissante reflète un poids financier colossal et une montée en puissance aussi fulgurante que structurée. Voici dix ans, ils contrôlaient collectivement environ 2 000 milliards de dollars d'actifs sous gestion (assets under management, AUM). En 2025, ce montant a plus que doublé pour atteindre plus de 5 350 milliards de dollars, soit près de 40 % des AUM des fonds souverains dans le monde, estimés à 13 000 milliards de dollars. Le golfe Arabo-Persique est ainsi devenu le centre de gravité mondial des fonds souverains.
François-Aïssa Touazi est senior managing director chez Ardian, leader européen du capital-investissement, en charge des relations investisseurs et des affaires publiques. Il est aussi vice-président des conseils France-pays du Golfe au Medef International et préside la task force sur les fonds souverains.
Article publié dans Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025.
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