Bombe atomique : « Si les Iraniens avaient encore besoin d'une motivation, les États-Unis viennent de la leur donner »
Les États-Unis ont bombardé, ce dimanche 22 juin, trois sites nucléaires clés en Iran, rejoignant ainsi l'offensive lancée par Israël le 13 juin. Héloïse Fayet, responsable du programme de recherche « dissuasion et prolifération » au Centre d'études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri) analyse ce nouveau tournant dans la guerre.

RFI : Donald Trump s'était donné, jeudi soir, deux semaines pour décider de frapper, ou non, l'Iran. Il a finalement décidé de ne pas attendre. C'est un revirement ou on pouvait s'attendre à un coup de bluff du président ?
Héloïse Fayet : Alors, je ne vois pas vraiment sa décision d'attendre deux semaines comme un réel temps de « patience stratégique ». Il s'agissait plutôt, à mon sens, d'un délai. C'est-à-dire que dans les deux semaines, il allait agir. Mais il se réservait le droit [de le faire], effectivement, beaucoup plus tôt, avant cette deadline - sachant qu'il aime beaucoup ça, ces deadlines stratégiques. On se souvient des soixante jours donnés à l'Iran pour négocier, également qu'il allait régler la guerre entre l'Ukraine et la Russie en 24h...
Mais, en réalité, les manœuvres militaires qui étaient nécessaires pour effectuer les frappes, notamment le déploiement de bombardier B-2 Spirit depuis les États-Unis, avaient été décidées dès hier, et donc, il y avait quand même de fortes chances que l'attaque ait lieu cette nuit.
Jeudi, Donald Trump parlait de chances « substantielles » pour des négociations avec l'Iran. Cela signifie-t-il qu'il a pu cesser d'y croire depuis ?
Je pense que c'était quand même une façon de présenter cette option militaire comme la dernière chose possible. On a vu qu'il avait énormément critiqué, justement, les discussions qui ont eu lieu entre Européens et Iraniens à Genève, vendredi. Qu’il les a considérées improductives et donc, ça lui a permis de paver la voie à cette opération militaire en signalant que, étant donné que la diplomatie avait échoué, la seule chose à faire, c'était effectivement de bombarder les sites nucléaires iraniens.
La presse américaine croit savoir, de son côté, que Donald Trump aurait été en partie convaincu aussi par des infos des renseignements américains qui estimaient qu’Israël n'avait retardé que d'environ six mois le programme nucléaire iranien quand l'État hébreu disait l'avoir retardé de deux à trois ans. Est-ce vraiment possible ? Est-ce que cela a vraiment un sens de faire ce genre d'estimation à distance ?
Alors déjà, on se doute qu'ils ne sont pas forcément à distance. C'est-à-dire que pour avoir une analyse précise de l'avancée du programme nucléaire iranien, il y a nécessairement des personnes en Iran qui transmettent des renseignements aux Israéliens et aux Américains. D'ailleurs, c'est ça qui a permis aussi le ciblage très précis de certaines hautes autorités militaires.
Après, c'est certain que oui, toutes les estimations temporelles autour du programme nucléaire iranien doivent être prises avec prudence. Mais on savait que le site clé du programme, c'était celui de Fordo et qu'il était impossible d'y apporter des dégâts substantiels sans une action américaine.
Justement, ces derniers jours, on ne parlait, en évoquant une éventuelle intervention américaine, que de frappes sur le site de Fordo. Finalement, on voit que les sites de Natanz et Ispahan, déjà ciblés par l'armée israélienne depuis vendredi dernier, ont eux aussi été frappés par les Américains. Est-ce une surprise pour vous ?
Pas nécessairement. Étant donné la quantité de bombardiers et de moyens aériens qui étaient en route vers l'Iran, il était peu probable que ce soit pour une seule frappe. Et puis surtout, il était encore difficile d'évaluer les dégâts effectués par les opérations israéliennes qui, on le sait, ne disposent pas des mêmes bombes pénétrantes que les États-Unis. Donc il est possible que Donald Trump ait voulu « finir le travail », en tout cas avancer dans le travail de bombardement des sites iraniens. Parce qu'à la fois Natanz et Ispahan disposent aussi d'installations enterrées.
Là, les Américains sont un petit peu plus sûrs qu'il y a moins de choses qui pourraient participer au programme nucléaire iranien, même si à nouveau, ce ne sont pas les mêmes moyens qui ont été utilisés pour frapper les sites. Apparemment, ce sont des missiles Tomahawk tirés depuis des sous-marins américains positionnés au large de l'Iran qui auraient avancé la destruction de Natanz et d'Ispahan, tandis que [le site de] Fordo, lui, aurait été détruit par les bombardiers B-2 et la [bombe] GBU-57.
Trump affirme, en tout cas ce matin, que les installations d'enrichissement d'uranium sont complètement détruites. Benyamin Netanyahu dit, de son côté, que la promesse d'anéantir le programme nucléaire iranien est tenue. De fait, il ne peut pas en rester grand-chose ou est-ce trop tôt pour le savoir ?
Ce qu'on sait en tout cas, c'est que les Iraniens se doutaient que l'attaque sur Fordo allait avoir lieu, étant donné qu'ils ont accès aux mêmes informations que nous en termes de sources ouvertes, voire un petit peu plus. Ils affirment, et ça reste encore à prouver, qu’environ 400 kilos d'uranium enrichi à 60% - ce vers quoi ils étaient allés le plus loin dans l'enrichissement de l'uranium - avaient été transportés en dehors de Fordo avant que les premières attaques n'aient lieu.
Là, techniquement, il y a quand même du matériel radioactif enrichi qui sert à la construction d'une arme nucléaire dont il est impossible de trouver la trace, alors qu'avant, il était surveillé par l'Agence internationale de l'énergie atomique.
De plus, il n'est pas possible de tuer absolument tous les scientifiques responsables du programme nucléaire iranien. Et surtout, vous ne pouvez pas tuer l'idée que l'arme nucléaire est désormais nécessaire à l'Iran pour se protéger. Après, c'est certain que là, ils ont beaucoup moins la capacité technique de le faire rapidement qu'avant.
Les renseignements américains disaient en effet cette semaine qu'une frappe américaine pourrait donner à l'Iran la raison ultime pour se doter de l'arme nucléaire… Est-ce en effet un risque que Donald Trump a pris cette nuit ?
Oui, et de toute façon, les Iraniens avaient affirmé depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, que si jamais il y avait des attaques sur leurs sites nucléaires, alors ils se retiraient du Traité de non-prolifération. Et donc dans ce cas, ils ne seraient plus tenus par des obligations juridiques internationales à ne pas développer l'arme nucléaire.
Après, il faut espérer au moins que les Israéliens, qui eux ont une meilleure connaissance de l'Iran que les Américains, avaient pris en compte ce risque lorsqu'ils ont poussé les États-Unis à agir contre le programme nucléaire iranien. Du côté de Trump, on n'est pas certain que l'analyse aille jusque-là.
Mais c'est certain que oui, si les Iraniens avaient encore besoin d'une motivation au niveau politique [...], les États-Unis viennent de la leur donner.
On sait que Trump et son entourage cherchaient depuis quelques jours à procéder à des frappes chirurgicales sans prendre le risque d'entraîner les États-Unis dans une guerre ouverte. C'est ce qu'il dit ce matin, en espérant ne pas devoir aller plus loin, tout en menaçant les Iraniens de continuer de les frapper s'ils n'acceptent pas de mettre fin au conflit. Peut-on vraiment imaginer que l'Iran ne riposte pas ?
Pour l'instant, l'Iran est un peu coincé dans sa capacité à riposter. On a vu effectivement une volée de missiles qui a été tirée vers Israël ce matin. Mais est-ce vraiment une riposte aux frappes américaines ou est-ce que c'est plutôt la continuité de l'échange entre Israël et l'Iran ? Pour l'instant, ce n'est pas extrêmement sûr.
Le souci, c'est que, si l'Iran attaque des bases américaines dans la région, il s'expose tout simplement à de nouvelles attaques américaines sur le sol iranien, étant donné que les Américains ne semblent plus avoir aucun problème à le faire. Là, effectivement, il y a une question à se poser en interne : quelle est la meilleure option pour répondre ?
Et puis évidemment, il y a la question des négociations… « J'ai ramené la paix. Maintenant, il faut que les Iraniens reviennent à la table des négociations », affirme Donald Trump. Là aussi, c'est quelque chose qui me semble assez improbable.
On peut dire en tout cas qu'il y aura un avant et un après au Moyen-Orient...
C'est certain. L'époque entre 1979, date de la Révolution iranienne, et aujourd'hui, qui avait vu l'Iran et les États-Unis s'affronter indirectement - réseau de milices chiites au Moyen-Orient, affrontements parfois un peu plus proches entre Israël et Iran - est maintenant révolu. Et là, effectivement, c'est une nouvelle page qui s'ouvre pour le Moyen-Orient.
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