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Turquie 2050 : textile turc ; démographie ; Erdoğan-Meloni

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Repères sur la Turquie
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Turquie 2050 : textile turc ; démographie ; Erdoğan-Meloni
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Repères sur la Turquie n°30 - Le programme « Turquie 2050 » développe une analyse prospective sur les thèmes de la diplomatie, de la politique intérieure et de l’économie turques afin d’y anticiper les dynamiques des trente prochaines années.

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Mosquée de Suleymaniye - Istanbul, Turquie
Mosquée de Suleymaniye - Istanbul, Turquie
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ÉCONOMIE


Le secteur textile en plein détricotage

En 2024, le secteur du textile et de l’habillement a perdu 65 000 emplois en Turquie, passant sous la barre du million de travailleurs, tandis que le nombre d’entreprises y opérant est passé de 61 352 à 59 101[i]. La dégradation de l’économie turque a eu un impact considérable sur cette activité, qui a perdu d’importantes parts de marché à l’exportation, en raison de la baisse de la demande en Europe (où se dirigent 60 % des exportations), de l’instabilité des taux de change et de l’augmentation du coût des intrants ainsi que de la main-d’œuvre (notamment avec la hausse du salaire minimum).

Or le secteur textile est un pilier de l’industrie turque, reconnu mondialement à travers des marques comme LC Waikiki et Mavi Jeans, mais aussi en tant que sous-traitant pour de nombreuses marques internationales telles que H&M, Zara, Mango, C&A ou Primark. Il représente un peu plus de 6 % du produit intérieur brut et près de 20 % des exportations, plaçant la Turquie parmi les dix premiers exportateurs mondiaux.

En décembre 2023, le gouvernement turc a relevé de 30 à 100 % les droits de douane sur de nombreux produits textiles afin de favoriser la fabrication locale de fils et de tissus, fortement concurrencée par les producteurs asiatiques. Cette mesure a contribué à alourdir les coûts de production dans les secteurs de l’habillement et du prêt-à-porter, déjà sous tension dans un contexte d’hyperinflation. Les professionnels du secteur s’inquiètent désormais également des départs probables de travailleurs syriens, qui représentent une part importante de la main-d’œuvre, notamment à Istanbul et Gaziantep, deux des principaux bassins de production. Par ailleurs, le tremblement de terre survenu le 6 février 2023 à Kahramanmaraş a durablement fragilisé les entités de production dans les régions de Gaziantep, Malatya, Kahramanmaraş et Adıyaman, qui assurent à elles seules 40 % des exportations du secteur textile et de l’habillement[ii].

Dans ce contexte, certaines entreprises choisissent de délocaliser leur production, notamment vers l’Égypte, à la recherche d’une main-d’œuvre bon marché[iii]. D’autres se spécialisent dans la mode durable, le textile technique ou encore l’e-commerce textile, en misant sur une main-d’œuvre plus qualifiée. Toutefois, ces évolutions supposent d’investir dans la modernisation technologique, alors que le secteur est encore largement dominé par de petites entreprises sous-capitalisées, dans des zones de production insuffisamment robotisées et numérisées.

POLITIQUE INTÉRIEURE


Démographie : la Sublime Porte a vieilli

Depuis son arrivée à la tête du pays, le président turc Recep Tayyip Erdoğan s’est régulièrement emparé de la question de la planification familiale. Il s’exprime sur la maternité sous couvert de défendre la famille, appelant les femmes turques à avoir « au moins trois enfants » au cours de leur vie, s’intéressant même aux méthodes d’accouchement, comme la césarienne – largement pratiquée en Turquie – accusée de contribuer au ralentissement démographique du pays.

Depuis 2015, le nombre de naissances n’a effectivement cessé de diminuer, faisant chuter le taux de fécondité (nombre d’enfants qu’une femme a en moyenne au cours de sa vie) à 1,48 en 2024 (TÜİK), soit bien en dessous du seuil de remplacement démographique fixé à 2,1. Les personnes de 65 ans et plus représentent désormais 10 % de la population du pays. Selon les projections de l’Institut statistique de Turquie, la population turque globale entamera son déclin à partir de 2050 et la pyramide des âges pourrait être presque inversée en 2075.

Ce déclin démographique est attribué par le pouvoir de l’AKP à l’individualisme, au consumérisme ainsi qu’aux mouvements féministes et LGBT+. La réponse politique adoptée se veut essentiellement conservatrice, prônant un retour aux « valeurs familiales » en réaffirmant les rôles genrés, dans le cadre d’une campagne de planification familiale lancée en janvier 2025, proclamée « Année de la famille » (Aile Yılı). Ce plan prévoit un soutien financier aux familles turques – en Turquie et à l’étranger – de 5 000 livres turques (TL) pour un premier enfant, puis un versement mensuel de 1 500 TL pour le deuxième enfant et de 5 000 TL pour chaque enfant supplémentaire.

L’accès à la contraception et à l’avortement a par ailleurs été restreint[iv] sous l’AKP, au nom d’une politique nataliste peu efficace qui cherche donc aussi, désormais, à limiter le recours à la césarienne[v]. L’explosion du taux de naissances par césarienne en Turquie est pourtant un effet direct de la réforme du système de santé engagée en 2003, qui a conduit à la fermeture de nombreuses maternités ainsi que de services d’obstétrique et de gynécologie dans les hôpitaux publics – essentiels à la préparation et à la programmation d’accouchements par voie basse.

L’accélération de l’urbanisation (77,5 % de la population) et la dégradation des conditions économiques des ménages demeurent cependant les principaux facteurs du recul de la fécondité en Turquie, qui s’inscrit dans la tendance générale en Europe (taux moyen de 1,38). Les régions de l’est, en particulier les territoires kurdes, restent encore relativement épargnées par ce déclin ; la province de Şanlıurfa enregistre un taux de fécondité supérieur à 3 et l’âge médian y est le plus bas, à 21,4 ans, contre 34,4 ans à l’échelle nationale.

DIPLOMATIE


Erdoğan-Meloni : la dolce défense

Le sommet du 29 avril 2025 entre Recep Tayyip Erdoğan et Giorgia Meloni marque un tournant stratégique dans les relations entre la Turquie et l’Italie. À première vue, beaucoup aurait pu séparer les deux dirigeants : l’un est le président islamo-conservateur d’un régime dont la dérive autoritaire met les Européens mal à l’aise, tandis que l’autre incarne, dans un des pays fondateurs de l’Union européenne, la progression d’un courant de droite nationaliste et identitaire souvent critique à l’égard de l’islam. Pourtant, une coopération pragmatique s’installe, qui reflète la logique de deux diplomaties très centrées sur leurs intérêts.

Cette entente repose aussi sur une forte personnalisation du pouvoir ; Meloni et Erdoğan préfèrent l’approche directe et privilégient les rapports de force bilatéraux sur les cadres multilatéraux. Leur proximité avec Donald Trump, qu’ils considèrent tous deux comme un interlocuteur plus prévisible que les institutions européennes, illustre une vision du monde fondée sur le leadership individuel et les alliances transactionnelles.

Historiquement, la Turquie perçoit l’Italie comme une puissance ambivalente : ni alliée fidèle, ni adversaire déclaré, mais toujours présente lorsqu’il s’agit de préserver ses priorités. Cette perception trouve ses racines dans un ancien partenariat commercial, noué dès le Moyen Âge avec les cités marchandes comme Venise et Gênes, proches de l’Empire ottoman. Ce lien économique contraste avec l’attitude expansionniste de l’Italie unifiée au début du xxᵉ siècle : conquête de la Libye ottomane en 1911, occupation du Dodécanèse, puis intervention militaire en Anatolie après la Première Guerre mondiale. Ces épisodes nourrissent à Ankara une mémoire marquée par la méfiance : les Italiens y sont perçus comme des acteurs familiers mais peu fiables, prompts à défendre leurs intérêts au détriment de toute loyauté durable.

Aujourd’hui, la relation Erdoğan-Meloni repose sur des convergences de court terme. Après une phase de tension sous Mario Draghi – qui avait qualifié Erdoğan de « dictateur » –, Meloni a privilégié une diplomatie d’opportunité. Bien que leurs visions du monde divergent fortement – sur la religion, l’immigration ou même les normes démocratiques –, les deux leaders ont trouvé un terrain d’entente dans les domaines de la sécurité et de l’industrie. L’accord signé en mars 2025 entre les entreprises Baykar (fabricant turc de drones) et Leonardo (groupe italien d’aéronautique et de défense) symbolise cette coopération. Tandis que l’Italie cherche à renforcer son autonomie stratégique hors du cadre européen, la Turquie ambitionne de s’insérer plus activement dans les chaînes de production occidentales. L’économie de l’énergie, avec en toile de fond le gazoduc TAP, complète ce rapprochement, sans en être le moteur principal.

Certains clivages demeurent malgré tout. Rome reste alignée avec Bruxelles sur plusieurs questions sensibles : en Syrie, elle soutient une levée progressive des sanctions, tandis qu’Ankara adopte une posture plus offensive. L’Italie a également manifesté un soutien plus marqué à Israël dans le conflit à Gaza. L’entente entre les deux dirigeants, certes fonctionnelle, reste donc fondée sur des équilibres précaires en fonction de convergences d’intérêts provisoires. L’un des effets les plus intéressants de ce rapprochement, pour l’un comme pour l’autre des protagonistes, est peut-être l’agacement qu’il peut produire ailleurs en Europe – c’est le syndrome de l’alliance de revers, pratiquée en leur temps par François 1er et Soliman.
 

[i]. Y. Karadeniz, « Tekstil ve giyim 2024’te 65 bin istihdam kaybetti », Ekonomim, 11 mars 2025, disponible sur : https://www.ekonomim.com.

[ii]. S. Salah, « Can Türkiye’s Textile Industry Bounce Back? », Vogue Business, 1er avril 2024, disponible sur : https://www.voguebusiness.com.

[iii]. « Turkish Textile Companies Moving to Egypt: A Strategic Shift or a Dangerous Gamble? », Kohan Textile Journal, Middle East and Africa Textile Portal, 27 mars 2025, disponible sur : https://kohantextilejournal.com.

[iv]. A. Andlauer, « En Turquie, malgré l’autorisation légale, les femmes ne peuvent quasiment plus avorter gratuitement », France Info, 7 novembre 2022, disponible sur : https://www.franceinfo.fr.

[v]. G. Tarihi, « Erdoğan’dan “kürtaj ve sezaryen” yorumu », CNN Turk, 19 juin 2013, disponible sur : https://www.cnnturk.com.

 

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Turquie 2050 : textile turc ; démographie ; Erdoğan-Meloni

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Programme Turquie/Moyen-Orient
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Le programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri fournit une expertise sur l’évolution des systèmes politiques, des sociétés et des économies de la région. Il se focalise d’une part sur les évolutions en Turquie et au Levant (influences turque et iranienne, risque de morcellement des États de la région, recompositions diplomatiques), et également au Maghreb (insertion du Maghreb dans les circuits mondiaux, relations politiques et économiques avec l’Europe et avec l’Afrique sub-saharienne…).

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Turquie
Programme Turquie 2050
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Le Programme Turquie 2050 développe une analyse prospective sur le pays afin d’y anticiper les dynamiques des 30 prochaines années. La réflexion se structure autour de trois thématiques : 
•    la politique intérieure, afin d’évaluer la solidité du régime AKP et les perspectives d’alternance ;
•    l’économie, pour comprendre la capacité de rebond de la Turquie, l’évolution de son modèle productif et ses perspectives d’intégration régionale ; 
•    la politique étrangère, pour suivre la montée en puissance de la diplomatie et de l’outil militaire, et cartographier les nouvelles zones d’influence de la Turquie.

Cette recherche, financée par des entreprises et des institutions actives en Turquie, s’appuie sur des missions de terrain qui tentent d’éclairer les points aveugles et les espaces méconnus du périmètre turc. Les partenaires du programme bénéficient d’un suivi personnalisé des indicateurs pertinents pour prendre leurs décisions, grâce à une veille stratégique mensuelle, des notes sectorielles, et la mise à disposition d’un réseau d'experts turcs et français. L’ensemble des échanges autour du programme visent à cerner in fine la notion de  « risque turc » au sens large, afin d’y adapter nos méthodes de travail. 

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par l’équipe du programme Turquie/Moyen-Orient
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