28
sep
2021
Espace Média L'Ifri dans les médias
Marie KRPATA , citée par Sophie Cayuela et Jeanne Guarato dans Natura-Sciences

Angela Merkel, un bilan environnemental en demi-teinte

Surnommée “Klima-Kanzlerin”, soit la chancelière du climat, Angela Merkel laisse derrière elle une politique environnementale marquée par la sortie du nucléaire, la hausse du prix de l’électricité et la croissance de l’énergie verte. Malgré toute son ambition témoignée aux différents sommets européens, la dirigeante allemande s’est lancée dans une course ardue contre le réchauffement climatique. Focus sur le bilan de sa politique environnementale.

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L’heure des comptes est arrivée. Après seize années au pouvoir, Angela Merkel quitte la scène politique alors que l’environnement est la deuxième préoccupation des Allemands, juste derrière le Covid-19. L’enjeu est de taille lorsqu’elle prête serment devant le Bundestag en 2005. Pourtant déterminée à relever le défi climatique, la chancelière laisse derrière elle une politique environnementale parsemée d’embûches. Un héritage que l’Allemagne devra remanier si elle veut atteindre ses objectifs. 

Pays le plus pollueur d’Europe, l’Allemagne produisait, au début de mandat d’Angela Merkel, son électricité à base d’énergies fossiles à 60%, grandes consommatrices de CO₂. Le charbon étant la principale matière première pour produire de l’électricité. Alors, lorsqu’elle prend la tête du pays, et au cours de chacun de ses mandats, la chancelière n’a cessé d’alerter sur l’urgence climatique. “Le changement climatique va déterminer le destin du monde” déclarait-elle en 2017 lors de la COP23.  

Ambitionner le climat à l’échelle internationale 

“Merkel était l’une des rares chefs d’État à avoir compris l’ampleur de la crise climatique” relève Andree Boehling, conseiller politique de l’équipe Climat et énergie de Greenpeace Allemagne. Angela Merkel s’implique rapidement dans les questions environnementales, jusqu’à pousser la protection du climat sur la scène internationale. “Son plus grand succès reste d’avoir incité les pays du G7 et du G20 à adopter une politique climatique plus ambitieuse”, précise Andree Boehling. 

  • En dehors des discours, Angela Merkel s’affiche aussi en images, marquant les Européens. “Il y a cette photo d’elle en manteau rouge derrière un glacier pour alerter sur le réchauffement climatique”, rappelle Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa).

Pour faire face aux défis climatiques du pays, les projets sont nombreux pour le parti politique d’Angela Merkel, l’Union chrétienne démocrate. Les priorités de l’agenda : favoriser les énergies renouvelables et réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’Allemagne compte alors remplacer progressivement sa consommation de charbon. “Le gouvernement a l’intention de porter la part actuelle des énergies renouvelables à au moins 65 ou 70% d’ici 2030”, précise le conseiller politique. 

Le prix de l’électricité s’enflamme

  • Et les progrès sont bel et bien visibles. “En 15 ans, elle a amené la part des énergies renouvelables de 11% à 50%, détaille Marie Krpata. Elle a réussi à diminuer les émissions de gaz à effet de serre par habitant de 19%.” Cependant, ces 19% restent encore bien en dessous des progrès des pays voisins. À titre comparatif, la France, l’Italie et l’Espagne dépassent les 25%. Entre temps, la lutte contre le réchauffement climatique impose un coût de vie supplémentaire aux Allemands. Les mandats d’Angela Merkel imposent petit à petit une hausse du prix de l’électricité. 

Cette hausse de prix n’est pas passée inaperçue. Sur Twitter, en réponse à un thread sur le bilan économique d’Angela Merkel, un internaute répond : “la gravité du sabotage qu’elle a commis dans l’énergie, qui se traduit par les prix d’électricité les plus hauts du monde (avec le Danemark), est tragique. Et ça frappe les pauvres et les modestes.”

  • “L’électricité est plus chère qu’ailleurs. En Allemagne, il y a même une redevance qui permet de financer le passage aux énergies renouvelables”, confirme Marie Krpata. S’ajoute également une taxe carbone pour le chauffage et le carbone mis en place en 2021. “Le gouvernement espère récolter 40 milliards d’euros d’ici 2024 pour les réinvestir dans les énergies renouvelables” continue l’experte. 

L’abandon du nucléaire, au profit de l’énergie verte

Mais le grand changement de la mandature Merkel s’opère en 2011. Cette même année, le 11 mars, la ville de Fukushima est frappée par une catastrophe nucléaire. La chancelière, d’abord favorable à la prolongation des centrales nucléaires jusqu’en 2036, annonce finalement leur fermeture d’ici 2022. “Nous voulons que l’énergie du futur soit plus sûre” a-t-elle déclaré le 30 mai 2011. Promesse tenue, puisque les 17 centrales du pays cesseront définitivement de fonctionner dès le 31 décembre 2022. 

“La sortie du nucléaire a été le moteur de l’introduction des énergies renouvelables à un stade précoce. Mais avant Fukushima, Angela Merkel avait l’intention de modifier la décision de sortie du nucléaire prise par l’ancien gouvernement, dirigé par les sociaux-démocrates et le parti des Verts. Elle n’a donc fait que corriger une fausse décision”, explique Andree Boehling. Toutefois, lors de cette annonce emblématique, la problématique de remplacement du nucléaire s’ajoute aux défis énergétiques du pays.

Favoriser l’énergie verte requiert un redoublement d’effort puisque l’Allemagne souhaite en même temps en finir avec le charbon d’ici 2038, et ainsi atteindre la neutralité carbone d’ici 2045. Pour cela, le gouvernement prévoyait initialement l’installation de nouvelles structures électriques, notamment des éoliennes, majoritairement situées au nord du pays pour ses conditions météorologiques. 

Des objectifs ambitieux 

Mais le coût de ces équipements et le temps exigé pour les travaux deviennent vite une contrainte. “Ces dernières années, nous avons été confrontés à une baisse des nouvelles installations. Mais avec la réforme de la loi sur l’action climatique et les proclamations de tous les partis, il semble plus probable que l’Allemagne puisse atteindre ces objectifs”, témoigne Andree Boehling. 

Ces décisions politiques visent à accélérer ces nouvelles installations en énergies renouvelables. Ce serait “le plus grand défi de l’Allemagne en termes de transition énergétique”, affirme le conseiller de Greenpeace Allemagne. Selon ce dernier, les experts sont catégoriques : la neutralité carbone serait possible d’ici 2045, “même si cela reste ambitieux en termes de changements nécessaires dans l’industrie, la mobilité, l’agriculture.” Des “changements radicaux” sont alors attendus, notamment dans les modes de consommation ainsi que dans les structures de coûts des biens. “La tarification du CO₂ doit être mieux expliquée et défendue contre les lobbyistes et les préoccupations du public”, raisonne l’expert. 

L’économie avant tout

Au cours des seize dernières années, l’Allemagne a connu “la plus forte croissance économique des pays du G7 en termes de PIB par habitant”, rappelle Marie Krpata. 24% de son PIB provient de l’industrie. “Il faut mettre dans la balance la réalité économique et sociale d’une part et les ambitions environnementales d’autres part” selon la chercheuse. Et elle l’affirme, la chancelière a “surtout soutenu son économie avant le climat.” Un constat que partage Andree Boehling. “Son parti est resté le plus grand frein à une politique ambitieuse de protection du climat. Merkel elle-même admet que sa politique climatique n’était pas assez bonne”, soutient l’expert. 

  • Interrogée elle aussi sur la transition écologique du pays, Marie Krpata explique que le modèle énergétique est en mutation. Cependant, la chercheuse estime que la transition est freinée par de multiples facteurs dans plusieurs domaines. En ce qui concerne le charbon, la possible date de sortie divise déjà. Initialement fixée à 2038, les Verts aimeraient l’avancer à 2030. Mais Marie Krpata le rappelle, “le coût de cette sortie implique le contribuable”. 

Une “industrie très énergivore”

Pour Andree Boehling, Angela Merkel “a défendu une loi bien trop tardive sur l’élimination progressive du charbon.” En plus d’être une “industrie très énergivore”, l’Allemagne a toujours une “part très élevée de charbon dans son mix énergétique, de 25 à 30%. Le pays est aussi le plus grand producteur de lignite au monde”, explique l’expert. 

L’Allemagne n’était déjà pas une bonne élève en matière de CO₂. En 2018, le pays émettait pour sa production d’électricité plus de 400 g de CO₂ par KwH, soit cinq fois plus que la France. Au premier semestre 2021, le charbon redevient le principal contributeur au réseau électrique allemand, tandis que, faute de vent, l’énergie éolienne est tombée à son plus bas niveau depuis 2018.

L’Allemagne veut également devenir la grande championne de l’hydrogène. Elle veut développer sa propre technologie, plus précisément sur l’électrolyse de l’eau. Mais cette transition énergétique pose des questions sociales. [...]. 

Tout roule…

  • Côté automobile, l’Allemagne a souhaité “redorer son blason”, mais une passivité subsiste d’après Marie Krpata. Pour rappel, ce n’est qu’après le scandale des émissions du Dieselgate de 2015 que Volkswagen et d’autres constructeurs automobiles allemands transitionnent vers les véhicules électriques. 

En cause, un lobbying et des intérêts économiques ténus. S’ajoute à cela les répercussions sociales de la double transition allant du véhicule thermique au véhicule électrique et au véhicule à fort contenu numérique. Sur un total de 800 000 emplois directs dans l’industrie automobile “100 000 emplois seraient supprimés d’ici 2030 dans le cadre de la double transformation. Une perte non compensée car la création de nouveaux emplois qui s’élèverait à 25 000” expose la chercheuse“Le pays a besoin de garder son leadership automobile. Les constructeurs automobiles sont sceptiques vis-à-vis des infrastructures de recharge et des batteries”, enchérit la chercheuse. Et Andree Boehling l’affirme, la chancelière “a trop longtemps protégé les intérêts de l’industrie automobile allemande, par exemple contre la politique climatique de l’UE.”

Pourtant, l’environnement est “un thème qui est de plus en plus pris au sérieux. Notamment suite aux catastrophes naturelles qui ont éveillé la population”, estime Marie Krpata. La chercheuse voit différentes stratégies politiques en matière environnementale. Le SPD, parti social-démocrate, cherche à “inciter plutôt qu’interdire, alors que les Verts portent une ambition qui demande une rupture et les conservateurs et les libéraux placent l’économie avant l’écologie”, explique la chercheuse. Le risque étant d’engendrer beaucoup de dépenses publiques. En effet, “l’Allemagne poursuit une rigueur budgétaire qui limite son endettement, ce qui pose donc une question de compatibilité de cette disposition constitutionnelle avec une transition énergétique ambitieuse qui s’impose au vu de l’urgence climatique”, développe Marie Krpata.  

Forte d’ambitions et d’un bilan économique puissant, Angela Merkel a réussi à pousser la question du climat. Mais ses ambitions politiques en matière d’environnement n’ont pas toujours été à la hauteur de ses actions. L’Allemagne se retrouve avec un “héritage ambivalent. À savoir une chancelière qui a poussé la protection du climat sur la scène internationale mais qui n’a pas réussi à la mettre en œuvre chez elle”, conclut Andree Boehling. 

 

 

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