Le problème de la gouvernance et l’avenir du système international. Perspectives à l'automne 2023
Discours prononcé à l’Académie des sciences morales et politiques, le 20 novembre 2023
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Jean-Claude Trichet m’a proposé d’intervenir sur le thème qu’il a choisi pour son année de présidence. Il sait que la question de la gouvernance n’a cessé de retenir mon attention au cours des dernières décennies. Dans la réalité de la politique internationale, derrière les façades, il est beaucoup question d’intérêts particuliers et bien peu de valeurs universelles. En pratique, l’idée de gouvernance, proche des notions de multilatéralisme ou même de droit international, est inséparable de celle de paix.
Malgré ou peut-être à cause de la richesse des communications qui ont précédé la mienne depuis le début de l’année, je crois nécessaire de m’attarder encore un peu sur le mot gouvernance, qui est polysémique et qui, pour moi, ne se confond pas avec le sens courant de « bonnes pratiques ». De mon point de vue, il ne se prête pas à un jugement d’ensemble en termes moraux ou éthiques. Si, pour simplifier dans un premier temps, on pense les relations internationales comme un système dynamique – ce qui du point de vue logique a un sens très précis, mais fortement réducteur – la notion de gouvernance s’identifie à celle du « contrôle » de la « trajectoire » dudit système.
Les objectifs peuvent être généraux comme le règlement pacifique des conflits, ou spécifiques comme pour la lutte contre le réchauffement climatique ou pour la prévention des pandémies. Le premier exemple est très important, car il signifie en principe une volonté partagée – réelle et non pas formelle comme dans la Charte des Nations unies – des principaux acteurs du « système international » d’exclure la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Ce qui suppose que les déviants potentiels (les « révolutionnaires ») soient effectivement dissuadés par l’ensemble des autres de recourir à ce moyen.
Le problème étant ainsi posé, il s’agit donc pour une communauté ou une société – large ou restreinte – d’États-nations d’élaborer des formes d’organisation appropriées à ses objectifs. Ainsi, dans le cadre de l’Organisation mondiale de commerce (OMC), l’Organe de règlement des différends a-t-il longtemps fonctionné de façon satisfaisante. À un niveau plus visible, le Fonds monétaire international (FMI) s’est plutôt bien acquitté jusqu’ici de sa responsabilité, essentielle : assurer la stabilité structurelle du Système monétaire international.
Par stabilité structurelle, il faut entendre le maintien du système au voisinage d’un équilibre non pas fixe, mais qui se déplace continûment sous l’effet de la déformation naturelle de sa structure (structures économiques et sociales de certains pays membres par exemple) ou de chocs d’ampleur limitée comme, en général, l’alternance des gouvernants dans les États démocratiques. Beaucoup plus difficiles à traiter sont les conséquences des chocs de grande ampleur, comme la pandémie de Covid-19, la guerre d’Ukraine ou l’attaque terroriste du Hamas en Israël pour prendre des exemples récents. De tels chocs peuvent provoquer des bifurcations dans des directions parfois explosives. En tant qu’objectif essentiel de la gouvernance, la stabilité structurelle vise précisément à éviter ce type de catastrophe.
L’idéal de stabilité structurelle est un repère mental essentiel même si, dans la complexité de la réalité, il est impossible de se mettre totalement à l’abri des bifurcations et des sauts dans l’inconnu. Sa pertinence procède du principe de sagesse selon lequel en règle générale mieux vaut une évolution approximativement maîtrisée que des révolutions ou des guerres aux conséquences radicalement imprévisibles et quasiment toujours terriblement injustes.
Dans un ordre différent des exemples précédents, on peut citer dans le sens de la stabilité structurelle les mécanismes de l’arms control (on traduit par maîtrise des armements) progressivement mis en place entre les États-Unis et l’Union soviétique après la crise des missiles de Cuba de 1962, laquelle aurait pu déboucher sur une guerre nucléaire malgré la disparité des arsenaux en présence à l’époque. Soulignons que la maîtrise des armements a conduit les deux « superpuissances » à échanger des informations toujours plus protégées. Ce processus a remarquablement contribué à assurer la stabilité structurelle du « système bipolaire » de la guerre froide. En pratique, la compétition entre les deux superpuissances s’est déplacée vers ce qu’on appelait alors le « tiers-monde ».
Il n’est pas moins intéressant d’observer que le problème de la prévention des crises financières se pose dans des termes semblables. Qu’il s’agisse de la crise de 1997 partie de Thaïlande ou de la crise grecque au sein de la zone euro dans les années 2010, le cours de l’histoire aurait été différent si les autorités de régulation avaient eu accès ex-ante aux données pertinentes des États concernés avec la capacité d’agir préventivement. Dans le même sens, on peut mentionner la question des origines du Covid-19. La Chine continue de s’opposer à ce qu’elle considère comme des intrusions inacceptables. Aussi le risque d’une nouvelle pandémie reste-t-il très élevé.
J’aurais pu choisir de consacrer cette communication à une énumération commentée d’organisations vouées à tel ou tel segment de ce que je n’ai pas encore nommé la gouvernance mondiale, à supposer qu’elle existe vraiment. Quelques-unes sont hautement spécialisées, dans des domaines comme les télécommunications ou le transport aérien. Parmi celles dont le spectre fonctionnel est plus large – comme la Banque mondiale – certaines ont considérablement évolué au cours du temps. Je pense à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), issue de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) créée dans le cadre du plan Marshall. Actuellement, l’OCDE traite de questions comme la fraude fiscale ou la taxation des grandes entreprises multinationales. [....]
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