Face aux provocations russes, « nous démontrons par l'absurde l'inanité du système de défense européen »
Les drones russes continuent de tester la défense de l'Otan sur les flancs orientaux de l'Alliance et pourraient bientôt menacer la mer Noire. Entretien avec Thomas Gomart, directeur de l'Ifri, sur les objectifs russes et les réponses à trouver côté occidental.

Après l'incursion d'une vingtaine de drones russes en Pologne, dans la nuit du 9 au 10 septembre, un drone a pénétré dans l'espace aérien roumain samedi, aussitôt pourchassé par des avions militaires F-16 de l'aviation roumaine, avant de rejoindre l'Ukraine. Ces nouvelles provocations - l'engagement avec du matériel russe est une première pour l'Otan, qui a abattu 4 drones en Pologne - ont rehaussé un peu plus le niveau d'alerte sur le flanc est de l'Alliance. La Roumanie a jugé que cela posait aussi un « nouveau défi » pour la sécurité en mer Noire. Et Kaja Kallas, la chef de la diplomatie européenne, a jugé cette nouvelle violation « inacceptable ».
L'état-major de l'Organisation transatlantique a annoncé la mise en place dans quelques jours d'une opération « sentinelle orientale », destinée à mieux protéger les frontières est de l'Otan. La Pologne a renforcé la sécurité dans son espace aérien, en déployant ses avions et ceux de ses alliés, et fermé temporairement l'aéroport de Lublin, dans l'est du pays.
« Faire de Kiev le fauteur de guerre »
« Ces incidents sont tout sauf un hasard, estime Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Ils traduisent le paradoxe de Poutine, qui connaît des succès diplomatiques mais qui est dans une impasse militaire. » Car l'Ukraine tient toujours la ligne de front, en dépit du soutien de moins en moins solide des Etats-Unis et des hésitations européennes à faire davantage.
« Nous démontrons par l'absurde l'inanité du système de défense européen. Nous investissons 250 milliards d'euros chaque année, nous avons un réservoir de 1,2 million d'hommes, et nous envoyons trois Rafale et deux F-16 après l'incursion en Pologne », souligne d'ailleurs l'expert.
Dans une tribune au « Monde », publiée ce week-end, un collectif d'experts militaires et de représentants de la société civile milite pour la mise en place du projet européen Skyshield. Il faudrait 120 appareils pour constituer une « zone de protection aérienne intégrée », afin de neutraliser missiles et drones russes au-dessus du territoire ukrainien occidental, et par-delà garantir la protection du continent européen.
Déporter le conflit
Bloqué en Ukraine, « Poutine déporte le conflit vers d'autres pays européens, toujours dans une logique de maximiser la guerre avec Kiev, pour rompre le lien transatlantique en exploitant le cadeau stratégique inespéré que lui fait Donald Trump : faire de Kiev le fauteur de guerre. Il continue à frapper l'Est ukrainien et menace l'extrémité orientale de l'Otan, avec des opérations qui le maintiennent sous le seuil de la guerre », explique Thomas Gomart.
Le Kremlin teste ainsi la réaction politique et militaire de l'Alliance. Force est de constater que la réponse est mal proportionnée, car l'aviation de chasse est peu adaptée pour bloquer des drones et elle coûte cher.
« Les Russes montrent aussi par là qu'ils peuvent user à leur avantage de la guerre low cost, car ils ont une énorme tolérance pour les pertes, qu'il s'agisse de matériel ou d'hommes. Parce qu'ils ont beaucoup poussé la production de drones, ils peuvent faire un usage massif de ces engins, en sachant pertinemment que les pays de l'Otan ne sauront pas gérer leur volume. »
Or, pour pouvoir répondre à ce défi, « il faudrait pousser l'appareil de défense européen dans un soutien à long terme qui ne passe pas que par de la haute technologie militaire, mais aussi par de la défense 'low-tech', en augmentant nos productions de drones par exemple », estime l'expert. Danois et Allemands, notamment, ont misé sur une coopération plus étroite par le biais de joint-venture dans l'industrie de défense en Ukraine.
Donald Trump plaide, lui, pour une pression économique renforcée sur la Russie. Le président américain veut que les pays de l'Otan cessent d'acheter du pétrole à la Russie, et qu'ils imposent à la Chine des droits de douane de 50 % à 100 %. Il veut également demander aux pays du G7 de mettre des tarifs douaniers de 100 % sur l'Inde et la Chine pour qu'ils fassent pression sur la Russie.
« L'administration américaine met là les Européens face à leurs contradictions et à leurs dissensions. Trump a là un point facile sur l'achat de pétrole russe. Et il ne fait pas de cadeau à des gouvernements, pourtant proches, qui voulaient bénéficier d'une exemption pour continuer à le faire, comme la Hongrie et Slovaquie », observe le directeur de l'Ifri.
[...]
Lire le reste de l'interview sur le site des Echos.
Média

Journaliste(s):
Format
Partager