Le 13 novembre, et après ?

Après les attentats du 13 novembre, quels enseignements, quelle politique de sécurité et de défense, quelle diplomatie pour la France et l’Europe ?

Idéologies et réalités politiques
Les hommes ne savent pas l’histoire qu’ils font. Mus par leurs rancœurs personnelles, ou l’exaltation de références simplistes, les criminels du 13 novembre interprètent une partition qui les dépasse. Au Proche-Orient comme ailleurs, les discours idéologiques ou religieux recouvrent de leur apparente honorabilité de profondes divisions politiques. C’est une région entière qu’on assassine parce qu’elle se défait.
La décomposition du Moyen-Orient, avérée pour certains États décisifs – Irak, Syrie –, menaçante pour d’autres – Jordanie, Liban –, ne laisse sauves que des puissances extérieures – Iran, Turquie –, ou chancelantes – Égypte –, à l’exception d’une Arabie Saoudite qui n’est ni en position géographique, ni en position politique ou économique, de régler seule les problèmes de la région.
Les erreurs répétées d’un Occident qui, depuis 25 ans, a agi dans la région aveuglément et idéologiquement, ont largement aidé à cette décomposition – en Irak, en Syrie –, qui se diffuse à un rythme incontrôlable, avec la mise en place de proto-États mi-guerriers mi-terroristes à l’image de Daech.
Les parures idéologiques sont une illusion – dangereuse mais illusion tout de même. Ce sont bien les structures politiques qui explosent, et qu’il s’agit de reconstruire. Pour cela, les moyens à notre disposition sont limités, et classiques. Moyens militaires d’urgence d’abord : ils permettent de bloquer la progression du pire – c'est-à-dire de Daech –, mais nous savons que ces moyens, pour l’essentiel aériens et extérieurs, ne peuvent être décisifs sans une étroite coopération de tous les intervenants, et à terme sans un élargissement des combats à terre. Moyens diplomatiques ensuite : seule la pression conjuguée de tous les acteurs extérieurs intéressés à résoudre les crises d’Irak et de Syrie permettra d’ébaucher un accord de reconstruction. Ceci suppose bien sûr de parler avec tous les acteurs locaux sans restriction, à l’exception de celui que l’on veut abattre définitivement, Daech – ce à quoi semble se résoudre la diplomatie française –, et aussi de pouvoir s’appuyer sur ce qui survit des institutions politiques, étatiques, sur place. Ces pays, et la région, ont pour l’heure besoin de structures, d’institutions à nouveau gouvernantes, plus que de fastes démocratiques à l’occidentale. Dommage ? Le monde ne se plie pas instantanément à nos rêves.
Les puissances régionales et extérieures peuvent seules aujourd’hui, appuyées sur des pouvoirs locaux en reconstruction, imposer des solutions, même provisoires, susceptibles de faire cesser le massacre. Les solutions imposées ne sont jamais pérennes mais elles peuvent avoir une efficacité passagère. L’urgence est donc à la négociation diplomatique – la « grande et unique coalition » appelée par le président de la République doit, en ce sens, être d’abord diplomatique.
Religieux et politique
Pour les Français laïques, la jonction, dans notre société, d’un discours religieux et d’une pratique terroriste semble un défi incompréhensible. De l’analyse de cette jonction dépendent pourtant les stratégies que peuvent opposer les États démocratiques à la radicalisation. Les terroristes nés dans nos sociétés sont divers, avec des définitions changeantes selon la vague terroriste à laquelle ils se rattachent. On relèvera cependant que l’enracinement de leur discours religieux est toujours médiocre – leurs énoncés étant élémentaires et irrationnels par rapport aux discours traditionnels et majoritaires de leur propre religion. Si les prisons apparaissent comme des lieux d’endoctrinement privilégiés, c’est que la dérive vers le terrorisme a plus à voir avec la marginalité sociale et la délinquance qu’avec une élaboration religieuse – comme viennent de nous le rappeler les personnalités des terroristes du 13 novembre.
D’où quelques enseignements. Le renseignement de base, quotidien, sociétal, est celui qui fait peut-être le plus défaut, dans un système qui, globalement, fonctionne bien. En deçà du suivi des réseaux, c’est lui qui peut informer sur les mouvements et acteurs invisibles : la culture des « renseignements généraux », un peu oubliée, pourrait être utilement révisée et modernisée. Quant aux propositions visant à marquer systématiquement – par exemple avec le port d’un bracelet électronique – un large nombre de personnes non condamnées par la justice, elles ne dénoncent que la frivolité démocratique de leurs auteurs.
Au-delà, est-ce le rôle de l’État que d’aider à l’accouchement d’un « islam raisonnable » ? Comment la République définirait-elle cet islam-là ? Les énoncés de l’islam sont du ressort des musulmans, et de personne d’autre. On pourrait certes espérer, de ce côté, des interventions plus nettes… Les autorités publiques peuvent, par contre, contribuer à assécher le bain communautariste qui donne aux marginaux l’illusion de ne pas être en marge – ce qui signifie : maintenir la politique républicaine « à la française », sans faire croire à quiconque que l’islam pourrait avoir, en France, une place spéciale par rapport aux autres croyances ou à d’autres discours idéologiques. Et elles doivent encore réduire, par des mesures de surveillance et d’expulsion, les provocations des mosquées extrémistes qui survivent.
L’organisation des rapports entre les individus et leur croyance ne relève pas des autorités de la République ; la répression des menées illégales, oui.
Une nouvelle exigence de sécurité ?
De toute évidence, la sécurité d’une démocratie ouverte ne peut être assurée à coup sûr. Les acteurs, les logiques, les causes des actes terroristes actuels sont si divers qu’ils promettent une lutte de longue haleine. D’abord parce que les crises du Moyen-Orient qui leur servent d’oriflamme ne seront pas résolues rapidement ; et parce que, résolues même partiellement, et Daech par hypothèse vaincu, le phénomène terroriste ne s’éteindrait pas pour autant.
Au croisement de phénomènes psychologiques, sociaux, politiques, technologiques, le terrorisme du moment a de l’avenir. La première vertu des sociétés démocratiques doit donc être la résilience : alliance de mesures concrètes et de force morale, pour résister aux prochaines attaques, aux attaques qui s’annoncent.
Au-delà, les services de l’État se sont, dans un contexte caractérisé par l’ouverture des frontières européennes internes et du contrôle pour le moins inégal des frontières externes, montrés remarquablement efficaces, tant pour l’action répressive que pour l’enquête ex post. Il n’en demeure pas moins que les dimensions nouvelles des actes du 13 novembre – organisation, réseaux, objectifs, modes d’action – doivent être appréciés et insérés dans une stratégie globale de lutte contre le terrorisme – stratégie qui existe mais date de près de dix années pour la France –, en articulation avec nos partenaires européens, y compris dans le cadre le plus englobant, celui de la clause d’assistance mutuelle du Traité de Lisbonne.
La hausse de la menace terroriste, liée à la décomposition politique de régions périphériques mais proches de nous (Afrique sahélienne, Moyen-Orient) nous pousse à une révision de notre posture de sécurité générale, y compris de nos moyens proprement militaires. On ne peut se proclamer « en guerre » – expression qui renvoie aujourd’hui plus à la rhétorique qu’à la stratégie –, et ne pas s’apercevoir que nous n’avons plus les moyens, si elle nous est imposée, de « faire la guerre »… Le niveau de nos dépenses et de nos forces a été réglé sur des hypothèses qui n’ont plus cours – si elles ont jamais été réalistes – : hypothèses d’engagements technologisés et limités, de frappes désarmantes permettant de quitter rapidement le terrain, selon les bonnes traditions de l’idéologie stratégique américaine. Faire la guerre, hors de notre territoire, ou même chez nous, les militaires savent que c’est, dans le temps, contrôler des espaces et des populations. Le format de nos armées ne le permet plus.
Ce qui s’impose à nous, c’est donc une réflexion de fond sur notre système de défense : objectifs, dimensionnements, budgets. Il n’est pas question d’en revenir – pour de simples raisons stratégiques – aux armées de masse de notre enfance… Mais les armées étiques actuelles risquent fort de ne correspondre bientôt à aucune hypothèse d’emploi concrète… Les temps changent. L’heure n’est plus aux opérations de police des années 1990, où nous rêvions de simplement ramener les déviants à notre raison supérieure : c’est un monde qui se défait, et notre intérêt national est d’avoir les moyens de nous y sauvegarder.
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