La politique étrangère du Japon depuis Meiji : essai d'interprétation

Entré dans la modernité avec l’ère Meiji (1868-1912), le Japon n’a peut-être pas encore trouvé sa véritable place au sein de la communauté internationale. Ayant d’abord échoué dans ses tentatives d’établir en Asie sa propre domination impériale, ayant encore échoué à transformer sa formidable puissance économique en une puissance politique équivalente et ayant, enfin, manqué sa réintégration dans la communauté asiatique jusqu’au tout début des années 90, il semble ne s’être doté que récemment d’une vision globale et cohérente en matière de politique étrangère. Celle-ci tente d’imposer aujourd’hui l’image d’un Japon porteur de paix, de prospérité et de sécurité dans une zone Asie-Pacifique encore en proie à des turbulences, tout en jouant sa propre partition dans un processus de globalisation largement dominé par les États-Unis.

Comme nous l'avons écrit : « Le Japon semble poser un problème de fond aux analystes des relations internationales », tant la logique qui commanderait à ses mouvements sur la scène mondiale fait l'objet des interprétations les plus opposées. Dans cet article, nous avons supposé connus les faits essentiels, pour le centrer sur trois questions : quelle a été l'efficacité de l'action extérieure du Japon de l'ère Meiji (1868-1912) à nos jours, quelles logiques a-t-elle suivies, et quelles visions la guident aujourd'hui ? Faute de place, nous nous sommes aussi permis, avec une impudeur dont nous prions le lecteur de nous excuser, de le renvoyer aux textes récents que nous avons consacrés à ces questions.
Au cours du siècle écoulé, le Japon semble avoir connu trois échecs majeurs dans les domaines diplomatique et militaire. Il a, en premier lieu, échoué dans ses tentatives pour établir en Asie son propre système impérialiste. Certes, il s'est d'abord insinué avec succès dans les espaces laissés libres par les Occidentaux (Ryûkyû, Formose, Corée) ; il a ensuite su jouer de leurs divisions pour avancer dans des espaces où ils étaient déjà installés (Chine) ou que certains convoitaient pour leur propre compte (Mandchourie). À ce jeu, il a gagné des concessions en Chine, des droits spéciaux en Mandchourie et les archipels enlevés aux Allemands dans le Pacifique. Mais il s'est aussi heurté aux contraintes inhérentes à son statut de « puissance régionale », obligée de limiter ses gains à ce que les grandes puissances occidentales estimaient compatibles avec leurs propres intérêts. Contrairement au cliché d'une race « génétiquement agressive », les dirigeants japonais ont d'ailleurs parfaitement pris en compte cette donnée. Dès le début de l'expansion coloniale, ils ont su reculer quand il le fallait (traités de Shimonoseki et de Portsmouth). En 1923, dans le cadre du « système de Washington », ils ont accepté le gel des positions en Asie qui leur interdisait de pousser leur avantage en Mandchourie ainsi qu'une limitation de leurs armements navals qui entérinait l'infériorité de la flotte japonaise.
On peut d'ailleurs se demander pourquoi le Japon a ensuite quitté cette ligne pragmatique pour essayer d'expulser d'Asie les grandes puissances. Les analystes ont souligné le danger qu'ont fait peser sur l'archipel les effets sociaux de la modernisation (poussée démographique, dépossession de la paysannerie) exacerbés par la crise de 1929. À côté de cette explication de la colonisation comme exutoire aux pressions sociales et démographiques, il faut aussi évoquer l'effacement progressif de la génération qui avait connu le « pays fermé » et guidé ses premiers pas sur la scène internationale. [...]
PLAN DE L’ARTICLE
- Efficacités…
- Logiques…
- Visions…
Jean-Marie Bouissou est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), Paris.
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