L'Ukraine, attaquée jusque dans ses infrastructures énergétiques par la Russie, met le pétrole russe sous pression
Kiev et neuf régions d'Ukraine sont touchées par des coupures d'électricité après des frappes russes via des drones et des missiles mortels. Les forces ukrainiennes répliquent par des attaques de longue portée contre les infrastructures pétrolières russes, un secteur-clé pour le Kremlin. Entretien avec Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/Eurasie de l'Ifri.

Pour viser ces infrastructures stratégiques pour la Russie, de quels moyens dispose l'Ukraine actuellement ?
Disons que ces campagnes sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus denses et l'Ukraine combine plusieurs types de moyens pour atteindre ces cibles. Point très important : il faut que le renseignement soit suffisamment précis. L'Ukraine dispose de drones de longue portée, de drones de précision et en produit beaucoup elle-même. Et fin août, l'Ukraine a annoncé le début de la production du missile de longue portée baptisé "Flamingo".
La presse ukrainienne explique que ces missiles de type "Flamingo" ont une portée de 3 000 kilomètres pour frapper, donc, au cœur de la Russie, ses installations pétrolières. Sait-on quelles sont les conséquences, aujourd’hui, pour les Russes dans leur quotidien et pour l’économie en général en Russie ?
Le missile "Flamingo" va, en effet, porter la charge beaucoup plus loin que ne le pouvaient les drones. On en voit déjà les conséquences : ce n’est pas seulement la région de Krasnodar [NDLR : dans le sud de la Russie] qui est frappée, près de la frontière ukrainienne, mais il y a aussi des frappes de plus en plus profondément dans le territoire russe. Il y a des pénuries de carburant, des files d’attente, surtout dans certaines régions. Les prix de l’essence sont en hausse. Le gouvernement russe a reconduit l’interdiction d’exporter l’essence jusqu'à la fin de l'année et commence, semble-t-il, à en acheter un peu plus, même à la Chine. Ce qui est tout de même un curieux effet pour un pays producteur de pétrole et de gaz ! À ce stade-là, la situation n'est pas critique, néanmoins : les raffineries sont tout de suite réparées. Beaucoup commencent à être protégées par des moyens de défense antimissile. Mais il y a quand même cet objectif de l'Ukraine derrière les frappes : réduire l’argent disponible pour financer la guerre russe. On sait que les hydrocarbures représentent 40 % des recettes budgétaires russes.
Nous avons également appris, cette semaine, que la Biélorussie avait quadruplé ses exportations de carburant vers la Russie via les chemins de fer. Si l'Ukraine arrive à tenir au long cours, cette arme que pourraient constituer les pénuries de carburant en Russie, cela pourrait-il changer le cours de la guerre en Ukraine, en usant les citoyens russes ? Pourraient-ils demander la fin des combats qui durent depuis trois ans et demi maintenant ? Et en miroir, la Russie a t-elle toujours les moyens de frapper l'Ukraine, de plonger le pays dans le noir et dans le froid à l'approche de l'hiver ?
La Russie a toujours les moyens, ça, c'est sûr et certain. Et c'est ce que les Ukrainiens cherchent à réduire. Est-ce que cela va influencer le cours de la guerre ? Évidemment, les choses se compliquent pour la Russie, mais je ne pense pas que cela puisse vraiment être le facteur qui va changer le cours de la guerre, qui va pousser Vladimir Poutine à être plus malléable, disons, pour entrer dans une vraie négociation. En vérité, la propagande russe parvient à retourner la situation contre l’Ukraine en la présentant comme "les méchants qui attaquent le territoire russe". Et aujourd'hui, aucun Russe, malheureusement, ne remonte à l’origine de la guerre pour se poser la question : qui est l’agresseur ? qui est l’agressé ? Donc, réduire la capacité de financer la guerre, oui, changer le cours de la guerre à moyen ou court terme, je ne crois pas.
Est-ce que la clé pour résoudre la guerre en Ukraine se trouve aussi à la Maison-Blanche, comme on a pu le voir cette semaine à propos de la guerre à Gaza ?
C'est ce qu'on a pu croire au début, quand Donald Trump est arrivé au pouvoir pour son deuxième mandat. Mais, comme on le voit, il a finalement très peu de leviers. Ou plutôt, il a des leviers de pression sur la Russie, mais jusqu'à présent, il n'a pas vraiment eu recours à ces leviers, qui seraient l'augmentation de l'aide à l'Ukraine et le renforcement des sanctions, notamment secondaires, contre la Russie. Donc, il a probablement les clés, mais il refuse de les sortir de sa poche.
> Écouter le podcast sur le site de Radio France.
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