Crise politique en Thaïlande : la tactique du chaos
La Thaïlande a replongé à l’été 2025 dans une crise politique profonde. La suspension de la Première ministre, Paetongtarn Shinawatra, par la Cour constitutionnelle a provoqué l’implosion de la coalition au pouvoir. Cette crise ressemble pourtant aux précédentes. Une banalité répétitive qui interroge à la fois le sens des responsabilités des principaux dirigeants et qui génère au sein de la population un cynisme mâtiné de résignation.
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Points clés
Après la suspension le 1er juillet de la Première ministre Paetongtarn Shinawatra, la Thaïlande entre dans une nouvelle période d’instabilité politique.
La nomination d’un nouveau chef de l’exécutif, Anutin Charnvirakul, le 7 septembre 2025, au terme d’un compromis surprenant, illustre la résistance inventive des milieux traditionnels.
Il a promis de nouvelles élections législatives début 2026.
Le conflit frontalier avec le Cambodge a montré l’instrumentalisation des tensions à des fins politiques internes, ainsi que la prédominance des considérations affairistes.
Après plus de quinze années d’exil – choix délibéré pour éviter un procès qu’il estimait joué d’avance –, Thaksin Shinawatra (Premier ministre de 2001 à 2006) est revenu en Thaïlande le 22 août 2023, où il n’a jamais cessé d’entretenir en coulisses ses réseaux politiques. Les circonstances l’y ont incité. Le Pheu Thai – le parti des Shinawatra – réussit à évincer le parti réformiste Move Forward et prend, le jour même du retour de Thaksin, la tête d’un gouvernement pour le moins surprenant, avec Srettha Thavisin comme Premier ministre. La coalition intègre en effet – essentiellement pour les apaiser – deux partis pro-militaires, ceux-là mêmes qui poursuivent depuis quinze ans le clan Shinawatra : un arrangement opportuniste rendu possible par leur crainte commune du parti Move Forward, premier concurrent politique du Pheu Thai et contempteur des manigances politiciennes de l’armée.
Incarcéré à son retour pour purger des peines cumulées de huit ans pour différentes charges de corruption, Thaksin Shinawatra bénéficie d’un statut spécial au sein de la partie section médicalisée de la prison. En février 2024, il en sort sous le régime de la liberté conditionnelle.
Le 14 août 2024, Srettha est destitué par la Cour constitutionnelle pour « violation grossière des règles éthiques ». Un coup que Thaksin avait néanmoins anticipé en plaçant sa fille Paetongtarn à la tête du Pheu Thai en octobre 2023. Elle est désignée le 16 août cheffe du gouvernement et devient ainsi le troisième Premier ministre Shinawatra, après son père et sa tante Yingluck (2011-2014). Le lendemain, le 17 août, est publiée une grâce royale en faveur de Thaksin Shinawatra, qui réduit sa peine de huit à un an de prison : Thaksin démontre encore sa capacité d’influence sur les jeux politiques thaïlandais.
Mais la garde veillait, attendant patiemment l’erreur qui allait être fatale à la jeune femme de 38 ans, inexpérimentée. Alors que le royaume connaît un regain de tension à la frontière avec le Cambodge, Paetongtarn Shinawatra, lors d’une conversation téléphonique avec le président du Sénat (et ex-Premier ministre) du royaume voisin, Hun Sen, tombe dans le piège de ce dernier. La conversation, enregistrée à son insu, « fuite » sur les réseaux sociaux. Immédiatement, Paetongtarn est suspendue par la Cour constitutionnelle et un Premier ministre par intérim, Phumtham Wechayachai, est nommé. Elle sera finalement destituée le 29 août.
Les négociations pour nommer un nouveau Premier ministre commencent alors. Le parti Bhumjaithai (le Parti de la fierté thaïe) d’Anutin Charnvirakul décide de quitter la coalition gouvernementale. Vainqueur des élections législatives de 2023, le parti Move Forward, reformé sous le nom de Parti du peuple (Phak Prachachon) après sa dissolution par la Cour constitutionnelle, est sollicité et confronté à un choix cornélien : accepter le rapprochement avec un Pheu Thai sur le qui-vive et qui avait opportunément profité des manigances des partis conservateurs pour l’évincer en août 2023, ou bien faire alliance avec le Bhumjaithai avec lequel il ne partage aucune vision politique. Cette dernière option est choisie. Le ralliement est négocié en échange d’une promesse d’élections législatives dans un délai de quatre mois, ainsi que d’un travail de réflexion sur l’organisation d’un référendum sur la modification de la Constitution de 2017 rédigée par l’armée. Toutefois, le dirigeant du parti, Natthaphong Ruengpanyawut, décide de rester en dehors de la coalition nouvellement formée et de maintenir son statut de parti d’opposition, ce qui lui octroie une marge de manoeuvre en cas de non-respect des conditions qu’il a posées.
Le contexte politique se complique. Anutin va-t-il respecter ses engagements envers le Parti du peuple ou va-t-il capitaliser sur sa notoriété et son exposition médiatique pour s’imposer ? Va-t-il chercher à s’entendre avec l’armée ? Quoi qu’il en soit, aucune des tractations en cours ne laisse envisager un changement de perspective sérieux, susceptible de sortir le pays de l’ornière dans laquelle il s’enfonce depuis une vingtaine d’années.
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