Cambodge-Thaïlande : un accord de paix en trompe-l’oeil
Après le Moyen-Orient, Donald Trump a vu en Asie du Sud-Est une nouvelle opportunité de consolider son image de président faiseur de paix. Confirmée à la dernière minute par la Maison-Blanche, sa participation au sommet de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a ainsi été conditionnée à l’organisation en grande pompe d’une cérémonie de signature d’un accord de paix entre le Cambodge et la Thaïlande.
Soucieux de ne pas décourager la visite du président américain, jugée critique pour la poursuite des négociations sur les droits de douane, les deux pays se sont pliés à l’exercice et ont ainsi célébré le 26 octobre 2025 la conclusion de « l’accord de paix de Kuala Lumpur », selon les termes de Donald Trump, dont il s’attribue le succès. Mais quel rôle la diplomatie américaine a-t-elle réellement joué dans la résolution du conflit ? Surtout, le chantage aux droits de douane de Donald Trump a-t-il efficacement permis de poser les fondations de la paix dans la région ?
Un été sous haute tension
La Thaïlande et le Cambodge ont observé cet été une résurgence des violences liées à leur différend frontalier autour du temple de Preah Vihear, qui a fait à ce jour 48 victimes, principalement civiles, et plus de 300 000 déplacés. Bangkok conteste la souveraineté cambodgienne sur ce territoire, en dépit d’une décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) de 1962, réaffirmée en 2013, en faveur du Cambodge.
Les tensions le long de la zone de démarcation, latentes, se sont brutalement aggravées le 28 mai, après qu’un soldat cambodgien a été tué lors d’un affrontement opposant les forces du royaume à celles de la Thaïlande voisine. L’incident aurait été provoqué, selon l’armée cambodgienne, par une attaque thaïlandaise lors d’une patrouille de routine le long de la frontière. La dispute s’est rapidement propagée à d’autres domaines de la relation bilatérale, conduisant à la fermeture partielle de la frontière, au blocage des connexions internet et électriques entre les deux pays et, du côté cambodgien, à l’arrêt des importations de produits alimentaires et culturels en provenance de Thaïlande.
Mi-juillet, huit soldats thaïlandais ont subi de graves blessures après avoir marché sur des mines antipersonnel, que les autorités thaïlandaises ont attribuées au Cambodge. En réponse à ces incidents, Bangkok a lancé une série de frappes aériennes et de tirs d’artillerie contre des postes frontaliers cambodgiens et des localités avoisinantes, auxquels Phnom Penh a répondu par des tirs de roquettes. Cette escalade, inattendue et exceptionnelle dans la région, a pris fin avec la rencontre des dirigeants des deux pays à Kuala Lumpur, à l’invitation du Premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, aboutissant à la signature d'un accord de cessez-lefeu le 28 juillet.
Donald Trump se targue d’avoir joué un rôle décisif dans l’obtention du cessez-le-feu, en menaçant les parties de suspendre les discussions commerciales en cours, tant qu’aucun accord n’était trouvé. Le Cambodge et la Thaïlande font partie, comme la plupart de leurs voisins en Asie du Sud-Est, des pays les plus sévèrement touchés par l’augmentation des tarifs douaniers imposés par Washington, qui les pénalisent d’autant plus que leur économie dépend pour une large partie de leurs exportations vers les États-Unis. Le Cambodge s’est ainsi vu placé sous un régime rédhibitoire de 49 % de droits de douane, contre 36 % pour la Thaïlande. On comprend, dans ces conditions, que Phnom Penh et Bangkok se soient montrés sensibles aux injonctions du président américain et aient accepté de hâter les négociations.
Une médiation avant tout régionale, sous l’étroite surveillance de la Chine
Si Donald Trump s’est imposé sur la photo, cela ne saurait éclipser le rôle joué par les deux autres médiateurs, la Malaisie et la Chine, dont l’entremise a certainement pesé autant, voire plus, que les menaces tonitruantes du président américain. Alors que l’ASEAN a brillé par son absence dans la résolution du conflit, la Malaisie, qui en assure la présidence en 2025, s’est montrée particulièrement proactive sur ce dossier. On comprend aisément que Kuala Lumpur n’ait pas voulu risquer de voir sa présidence de l’association entachée par la résurgence d’un conflit armé entre deux de ses membres. La Malaisie dispose par ailleurs d’une certaine crédibilité auprès de Bangkok, puisqu’elle participe déjà au processus de paix entre le gouvernement thaïlandais et le mouvement séparatiste malais au sud du pays. Son expérience du conflit au Mindanao, au sud des Philippines, où elle intervient en tant qu’observatrice et facilitatrice, lui aura également permis de proposer rapidement la mise en place de mécanismes de cessez-le-feu ainsi qu’une feuille de route pour un accord de paix. Le Premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, s’est quant à lui imposé comme un tiers de confiance tant pour le Cambodgien Hun Manet que pour son homologue thaïlandais Anutin Charnvirakul, comme en témoignent ses appels avec les deux dirigeants lors d’épisodes de remontée des tensions.
La Chine est le deuxième grand médiateur du processus de paix entre la Thaïlande et le Cambodge. Partenaire et amie des deux nations, elle a exercé une pression discrète sur leurs dirigeants afin de faciliter et orienter les négociations. Pékin a notamment saisi l’opportunité de ces discussions pour contraindre les parties à redoubler d’efforts en matière de lutte contre la criminalité organisée transnationale dans la région du Mékong, bien que cette problématique ne soit pas directement liée à la résolution du conflit. La Chine prête en effet une attention particulière aux centres d’escroquerie (scam centers) installés dans les régions frontalières du Myanmar, qui alimentent un trafic humain de grande ampleur, ainsi que des cyberfraudes et d’autres activités criminelles. L’inaction de la Thaïlande contre ces centres avait déjà fait l’objet d’un rappel à l’ordre de Pékin en février 20254. L’accord signé à Kuala Lumpur le 26 octobre prévoit ainsi la mise en place de mesures de coopération pour lutter contre les scam centers.
Il ne faut pas négliger, enfin, le rôle joué par les autorités des deux pays. L’accord du 26 octobre n’aurait certainement pas vu le jour sans la manoeuvre cambodgienne qui a sans conteste entraîné la chute de la Première ministre thaïlandaise. Paetongtarn Shinawatra s’est en effet vue démise de ses fonctions par la Cour constitutionnelle après que Hun Sen, l’influent père de l’actuel dirigeant cambodgien, a publié sur son compte Facebook une conversation téléphonique compromettante avec cette dernière, dans laquelle elle se reconnaissait des divergences de vues avec l’armée et lui demandait conseil sur la conduite à tenir pour mettre fin au conflit. Sa destitution a entraîné la chute de sa coalition et la mise au ban de son parti, remplacé par le Bhumjaithai, minoritaire au Parlement mais bénéficiant du soutien exceptionnel de l’opposition pour nommer un Premier ministre issu de ses rangs. La nomination d’Anutin Charnvirakul a été bien accueillie par son homologue cambodgien, qui lui propose une normalisation des relations bilatérales dans la perspective d’une poursuite des négociations. Les motivations cambodgiennes à provoquer cette transition demeurent néanmoins floues : il pourrait s’agir tant d’une inimitié opposant les Hun aux Shinawatra que d’une manoeuvre visant à attiser les passions nationalistes cambodgiennes pour des raisons de politique intérieure.
Un accord aux fondations instables
Plutôt qu’un « accord », les parties au conflit évoquent plus sobrement une « déclaration de paix », une qualification qui semble en effet mieux convenir au document, dont le contenu s’apparente plus à un cessez-le-feu amélioré qu’à un véritable plan de paix. Ses provisions se concentrent principalement sur des mesures de désescalade, comme le retrait des armes lourdes et le déminage de zones contestées, ainsi que la mise en place d’une équipe d’observateurs de l’ASEAN pour s’assurer du respect du cessez-le-feu. Seul l’engagement, non étayé, d’efforts pour accélérer la démarcation des frontières dans les zones contestées semble dessiner un projet pour une paix plus durable entre les parties.
Surtout, rien n’est dit des conséquences humanitaires du conflit et notamment du sort des personnes déplacées, dont le retour semble encore hors de portée compte tenu du niveau encore élevé de tensions sur le terrain. Cambodge et Thaïlande s’accusent mutuellement de violer le cessez-le-feu, de harcèlement envers les populations civiles et même de violences, particulièrement dirigées contre les ressortissants cambodgiens essayant de traverser la frontière pour des raisons économiques : un grand nombre de foyers installés dans les régions frontalières dépendaient, avant le conflit, d’un emploi en Thaïlande.
Or, les perspectives d’amélioration sont limitées à court terme, la Thaïlande ne montrant aucun signe de vouloir assouplir la stricte fermeture de ses frontières, qu’elle présente comme indispensable à sa sécurité nationale. Confortés par un sentiment nationaliste et anticambodgien très fort, particulièrement manifeste en ligne et dans la presse, l’exécutif et l’armée pourraient ainsi être tentés de jouer la carte de la fermeté. Cela est particulièrement vrai pour le gouvernement d’Anutin Charnvirakul qui, s’il s’est engagé à oeuvrer à la résolution du conflit, doit aussi trouver les moyens d’étendre sa base électorale en prévision des élections législatives anticipées prévues pour mars 2026.
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