Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Koizumi, l'empereur et la modernité

Éditoriaux
|
Date de publication
|
Référence taxonomie collections
Lettre du Centre Asie
Image de couverture de la publication
Koizumi, l'empereur et la modernité
Corps analyses

L'hiver 2006 aura été marqué au Japon par un débat avorté : celui de la réforme de l'institution impériale et du principe de la succession mâle mis en place par la Loi impériale de 1947. Sous son aspect anecdotique, l'annonce, début février, de la grossesse de la princesse Kiko, épouse du fils cadet de l'empereur Akihito, est venue offrir une porte de sortie au Premier ministre Junichiro Koizumi, engagé dans une campagne politique de plus en plus délicate depuis que le Conseil de personnalités éminentes réuni à sa demande fin 2004 avait rendu un avis favorable à une succession féminine en novembre 2005.

Le report à une date ultérieure - et vraisemblablement à longue échéance si l'enfant à naître est de sexe masculin - du débat parlementaire sur la succession impériale a donc deux significations majeures.

C'est d'abord un signal inquiétant pour l'avenir de la parité dans la société japonaise. La modification de la Loi impériale autorisant l'accès au trône d'une princesse héritière aurait induit une dynamique inédite d'égalité des droits, qui fait encore largement défaut dans la société contemporaine nipponne en dépit des progrès accomplis depuis une dizaine d'années. Alors que l'empereur est 'le symbole de l'État et de l'unité du peuple' (article 1 de la Constitution japonaise), les termes de la Loi impériale révèlent une contradiction majeure avec l'esprit d'équité et d'égalité que développe par ailleurs, et très précisément, la Constitution démocratique de 1946. Le large soutien initial de l'opinion publique à une telle réforme - de 75 à 85 % selon les sondages en décembre 2005 - a signifié que le peuple japonais était soucieux de moderniser l'institution impériale, parce qu'il était avant tout en attente d'une impulsion motrice en faveur de la parité au sein même de la société japonaise.

Mais le report de la réforme indique surtout l'absence de volonté politique de débattre en amont du principe même de la monarchie-symbole, résultat d'un compromis historique entre les forces d'occupation alliées et les autorités politiques japonaises après guerre. La chute du soutien populaire en faveur de cette réforme, de plus de dix points, à 64 % après l'annonce d'un possible héritier mâle pour l'automne, est tout à fait significative d'une société pour partie résignée au statu quo dès lors que les conditions le permettent. Même le quotidien progressiste Asahi Shimbun n'a pas échappé au mouvement en jugeant la décision du Premier ministre 'raisonnable', privilégiant l'attente et la prudence. Après tout, comme l'a écrit par ailleurs le conservateur et ancien Premier ministre Yasuhiro Nakasone, rien ne presse, la question de la succession ne devant à nouveau se poser que dans quatre décennies...

De toute évidence, l'annonce d'une nouvelle grossesse au sein de la famille impériale a été une aubaine pour le Premier ministre Koizumi. Artisan du mouvement en vue de la réforme, il s'était mis à dos une part significative des élus conservateurs, ses premiers alliés dans le bras de fer avec la Chine et dans le processus de transformation de l'appareil militaire du Japon. Les influents représentants du culte shinto - dont le rituel est directement lié à la figure impériale -, son ministre des Affaires étrangères Aso Taro et son ministre des Finances Tanizaki Sadakazu, tous deux candidats possibles à la prochaine investiture du Parti libéral démocrate (PLD), ont aussi ouvertement condamné tout projet de réforme de la Loi impériale.

La question de la succession a donné lieu à l'expression publique de considérations politiques extrêmes, dont la plus éloquente fut certainement l'obligation de préserver le sang impérial contre toute 'contamination' étrangère, considération qui demeure toutefois minoritaire au sein d'une population très ouverte sur l'étranger. La volonté de garantir la 'pureté' et l''unicité' d'une lignée impériale ancestrale ramène le Japon à ses vieux démons ultranationalistes. Les thèmes de l'origine divine de l'empereur, de l'excellence et de l'homogénéité ethnique ont nourri la dérive militariste des années 1930-1940 ; ils ont aussi servi le courant conservateur qui s'est affirmé au cours des années 1980, lorsque Nakasone défendait la spécificité et l'unicité japonaises face aux pressions internationales critiquant le 'système japonais'.

Koizumi avait paradoxalement engagé le débat sur la modernisation du système impérial alors qu'il a signifié tout au long de son mandat une forme d'attachement à l'institution, en se rendant par exemple régulièrement au sanctuaire shinto Yasukuni - édifié à la mémoire de ceux qui ont servi l'empereur depuis la fin du XIXème siècle - contre l'avis d'une faible majorité de l'opinion publique, partagée sur la politique chinoise, et surtout en dépit des tensions diplomatiques régionales ainsi générées. En acceptant de temporiser sur la question de la réforme du système impérial au mois de février 2006, il offrait une nouvelle victoire aux plus conservateurs de son camp.

La question de l'héritier au trône est donc en réalité très symptomatique d'un système politique qui demeure attaché au mythe impérial. En dépit de l'intérêt manifesté par une certaine presse populaire qui ne va pas sans rappeler les tabloïds britanniques, la famille impériale continue de jouir d'un important respect dans la population, favorisé par la préservation sourcilleuse de rites d'un autre âge et d'un mode de vie discret par les fonctionnaires de l'Agence de la maison impériale (Kunaichô). Même si la famille impériale ne joue plus aucun rôle politique depuis 1946 et que toutes les déclarations publiques de ses membres sont minutieusement rédigées et contrôlées, sa préservation en tant que symbole de l'unité du peuple ne fait l'objet d'aucun débat. Seuls 10 à 15 % des Japonais en souhaiteraient l'abolition.

 

Régine Serra est chercheur associée au Centre Asie Ifri.

Decoration

Contenu disponible en :

Régions et thématiques

Régions

Partager

Decoration
Auteur(s)
Image principale
Gros plan sur le monde asiatique
Centre Asie
Accroche centre

L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

Image principale

Cambodge-Thaïlande : un accord de paix en trompe-l’oeil

Date de publication
05 novembre 2025
Accroche

Après le Moyen-Orient, Donald Trump a vu en Asie du Sud-Est une nouvelle opportunité de consolider son image de président faiseur de paix. Confirmée à la dernière minute par la Maison-Blanche, sa participation au sommet de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a ainsi été conditionnée à l’organisation en grande pompe d’une cérémonie de signature d’un accord de paix entre le Cambodge et la Thaïlande.

Image principale

Le rôle clé de la Chine dans les chaînes de valeur des minerais critiques

Date de publication
03 novembre 2025
Accroche

La Chine occupe aujourd’hui une position dominante dans les chaînes de valeur des minerais critiques, de l’extraction à la transformation jusqu’aux technologies en aval. Cette suprématie repose sur des décennies de politiques industrielles et lui confère une influence stratégique considérable sur la sécurité d’approvisionnement mondiale, notamment pour l’Union européenne.

Image principale

Un an de présidence Prabowo : entre populisme économique et reflux démocratique

Date de publication
03 novembre 2025
Accroche

Élu à presque 60 % des suffrages en février 2024, Prabowo Subianto est officiellement devenu le huitième président de la République indonésienne le 20 octobre 2024. Adoubé par son prédécesseur et ancien rival, Joko « Jokowi » Widodo, porté par une immense popularité, en particulier auprès de la jeunesse, le nouveau chef de l’État n’a pas tardé à mettre en œuvre son programme pour une « Indonésie qui avance » (Indonesia Maju).

Image principale

États-Unis/Taïwan : le temps de la confusion stratégique

Date de publication
08 octobre 2025
Accroche

En s’opposant à la volonté de la Chine d’annexer Taïwan, les États-Unis d’Amérique contribuent, depuis des décennies, au maintien du statu quo, toute tentative d’invasion chinoise entraînant, avec une potentielle intervention américaine, le risque d’une nouvelle guerre mondiale. Mais dans l’agitation suscitée par les conséquences internationales du retour au pouvoir de Donald Trump, une question sème le trouble dans les esprits : à l’égard de Taïwan, quelle sera l’attitude d’une administration dédaigneuse des alliés des États-Unis mais obsédée par la compétition avec la Chine ?

Charles-Emmanuel DETRY
Sujets liés

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
Koizumi, l'empereur et la modernité
Koizumi, l'empereur et la modernité, de L'Ifri par
Copier