Relancer le partenariat franco-allemand ? Les ambitions du Conseil des ministres franco-allemand - Enjeux d’un leadership conjoint en Europe

Friedrich Merz, comme catholique rhénan, est un héritier de la politique franco-allemande de la CDU, de Konrad Adenauer à Helmut Kohl, en passant par Wolfgang Schäuble. Si le discours et les réflexes franco-allemands sont ancrés chez lui, il faut néanmoins relativiser leurs résultats.

Le président de la République française et le chancelier allemand se sont rencontrés à de nombreuses reprises, depuis les élections de février 2025 et l’élection de Friedrich Merz à la chancellerie, et semblent s’apprécier. Mais cette « alchimie » suffira-t-elle à relever les défis du « reset » franco-allemand et ses enjeux vitaux pour l’Europe ? Les ambitions affichées du Conseil des ministres franco-allemand (CMFA) qui se tient à Toulon le 29 août, le premier pour le gouvernement dirigé par le chancelier Friedrich Merz, sont-elles l’occasion de « remettre à plat les relations franco-allemandes pour l’Europe[ii] » ? Dans le contexte actuel, le CMFA doit relever cette ambition en adoptant des feuilles de route claires, concrètes et lisibles qui permettront d’appréhender de manière réaliste les sujets clefs, qu’il s’agisse de la défense et de l’industrie de défense – notamment sur le suivi des programmes de l’avion et du char du futur, SCAF et MGCS –, de l’énergie, du commerce et de la compétitivité européenne.
Le soutien à l’Ukraine, un défi européen et franco-allemand
Avec la réforme du frein à la dette adoptée en mars 2025, le chancelier a permis d’adopter une augmentation des dépenses militaires afin de moderniser son armée. Cette modernisation doit renforcer la crédibilité de l’Allemagne sur la scène internationale, notamment vis-à-vis de ses partenaires européens, au premier titre desquels la France. Mais sur le plan de la sécurité, l’Allemagne ne peut agir seule, en raison de son histoire et de son rapport particulier à son armée. Le chancelier fédéral et le président de la République française ont proposé, lors de la visite de Friedrich Merz à Paris le 7 mai, de réunir plus régulièrement le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, sur les questions de stratégie, de défense et de sécurité nationale. Celui-ci doit permettre de coordonner le soutien à l’Ukraine, la planification et la production dans le domaine de la défense, les objectifs stratégiques de défense ainsi que les prochaines revues nationales stratégiques françaises et allemandes. Cette structure institutionnelle franco-allemande, créée en 1988 et tombée dans une certaine routine ces dernières années, reprendrait ainsi son sens originel, celui du dialogue stratégique, plus nécessaire que jamais, entre la France et l’Allemagne.
Par ailleurs, le chancelier Merz a dit souhaiter adopter une position plus ferme face à la Russie, rompant avec certaines ambivalences passées. L’Allemagne devra clarifier sa posture stratégique au sein de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord, en coopération avec la France. Avec le retour de la CDU à l’Auswärtiges Amt (qu’elle n’avait plus occupé depuis 1966) et la création d’un Conseil national de sécurité formalisé le 27 août, Friedrich Merz entend aussi rendre la politique étrangère allemande plus cohérente et moins soumise aux compromis internes de coalition, notamment pour les garanties de sécurité à fournir à l’Ukraine dans le cadre d’un éventuel accord de paix avec la Russie.
La prise de position du chancelier sur un « intérêt majeur » de l’Allemagne à contribuer à ces garanties de sécurité en Ukraine, sans exclure la possibilité d’engagement au sol, quelques jours après la déclaration du président américain Donald Trump sur la disposition de Berlin, Londres et Paris à envoyer des troupes au sol en Ukraine, illustre un débat qui ne fait que commencer. Dans les semaines à venir, le chancelier et sa coalition devront faire face à une pression sans précédent pour assumer les responsabilités de l’Allemagne, d’autant plus qu’elle ambitionne de se doter de « la première armée conventionnelle d’Europe ». Les prochaines semaines mettront également à l’épreuve la capacité de l’Allemagne à ne plus dépendre exclusivement de Washington pour sa défense. Mais l’hypothèse d’engager des soldats allemands sur un théâtre de conflit majeur touche le cœur de la peur allemande la plus enracinée depuis 1945, celle de la guerre.
Les évolutions de la politique énergétique allemande : quelles perspectives pour la coopération franco-allemande ?
Friedrich Merz a pour objectif de stimuler la croissance allemande, à 2 % par an selon son programme, et pour cela il a besoin de sources d’énergie moins onéreuses et doit se montrer pragmatique. Dans la feuille de route franco-allemande publiée dans une tribune conjointe dans Le Figaro et Die Welt le 7 mai, le chancelier Friedrich Merz et le président de la République Emmanuel Macron ont promis un « réalignement » des politiques énergétiques française et allemande. Ils ont affirmé leur soutien au principe de « neutralité technologique », en garantissant un traitement non discriminatoire de toutes les énergies bas-carbone au sein de l’UE et en adoptant une approche pragmatique en matière d’hydrogène bas-carbone, afin de faciliter la discussion sur la taxonomie européenne.
Le nouveau gouvernement allemand a indiqué cependant qu’il ne réouvrirait pas de centrales nucléaires, les trois dernières centrales en service ayant été mises à l’arrêt en 2023. Néanmoins, les déclarations de Katherina Reiche, ministre chrétienne-démocrate de l’Économie et de l’Énergie, en marge d’une réunion du Conseil de l’UE le 22 mai, dans lesquelles elle se disait favorable au financement de projets nucléaires, plus précisément des petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR), par le budget de l’UE, a démontré que le principe de neutralité technologique ne faisait pas consensus au sein de la coalition gouvernementale. En effet, dès le lendemain, Carsten Schneider, ministre social-démocrate de l’Environnement, a réagi avec véhémence et s’est dit défavorable à tout financement de projets nucléaires par le budget de l’UE. Il a réitéré son refus à la suite de la présentation par la Commission européenne du projet de cadre financier pluriannuel 2028-2034.
Un agenda franco-allemand pour la compétitivité
L’agenda franco-allemand doit également comporter « un nouvel agenda de politique commerciale durable pour l’UE » qui, conformément à la volonté française de souveraineté européenne, doit renforcer « la compétitivité européenne et assurer des sauvegardes efficaces sur l’agriculture et les secteurs stratégiques[vii] ». À ce stade, la ratification d’un accord commercial avec le Mercosur reste un point de friction entre la France et l’Allemagne, qui souhaite qu’il soit signé « rapidement ».
Les tensions commerciales entre l’UE et les États-Unis renforcent la volonté de l’Allemagne, dont la croissance repose sur les exportations, à rechercher d’autres partenariats et donc à diversifier les accords commerciaux. Pour Friedrich Merz, l’Allemagne devrait aller au-delà de l’accord-cadre commercial du 28 juillet qui a été négocié entre le président américain Donald Trump et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et qui impose des droits de douane de 15 % sur les produits européens, en recherchant de nouveaux partenaires commerciaux dans les années à venir. Ceux-ci, qui semblent une nécessité pour l’Europe, doivent être anticipés, notamment par une préparation coordonnée entre la France et l’Allemagne sur les critères et les lignes rouges de chacun pour la signature de potentiels futurs accords.
La France et l’Allemagne doivent utiliser cette opportunité pour harmoniser leurs programmes nationaux de réformes économiques et sociales, avec une attention particulière portée à la question de l’avenir du travail et à la fiscalité. La définition d’un agenda bilatéral de simplification entre la France et l’Allemagne constitue un levier essentiel pour renforcer la compétitivité européenne. C’est l’un des objectifs du label « Finance Europe », dispositif lancé en juin 2025 afin de favoriser un meilleur rendement de l’épargne européenne en dirigeant les investissements vers les entreprises européennes.
Perspectives
Les dissensions créées ces dernières années par l’absence de cohérence dans le « German vote » à Bruxelles ont créé des tensions – inutiles – entre la France et l’Allemagne. Une coordination anticipée à long terme entre la France et l’Allemagne permettrait ainsi aux deux pays d’assumer une forme de leadership conjoint en Europe, dont la nature reste cependant à préciser, notamment lors du Conseil des ministres franco-allemand. La coopération entre l’Allemagne et la France est aujourd’hui plus nécessaire que jamais et il appartient aux deux pays d’apporter ensemble une contribution significative à la recomposition qui nous attend.
Mais, avec l’épée de Damoclès de la dissolution pesant au-dessus du gouvernement français ainsi que l’élection présidentielle de 2027 qui arrive, le temps presse entre la France et l’Allemagne. Il presse d’autant plus que les populistes pourraient l’emporter. C’est également une préoccupation en Allemagne, qui verrait ainsi dans ce partenaire un allié de moins en moins digne de confiance et pourrait alors s’en détacher.
Paul Maurice est secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, où il travaille en particulier sur les questions de politique intérieure allemande, les relations franco-allemandes dans le cadre de l’Union européenne et la politique étrangère et de sécurité de l’Allemagne.
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