L’arrivée du COVID-19 en Afrique subsaharienne, quels scénarios ?
Six semaines après les premiers cas apparus en Afrique du Nord puis en République sud-africaine, le continent comptait au 14 avril 16 000 cas de COVID-19.
L’Afrique subsaharienne (ASS) reste l’une des zones les moins affectées du monde, et l’Afrique du Sud (plus de 2 000 cas confirmés à cette date) est le pays le plus touché.
La possibilité, encore incertaine selon les praticiens, de l’effet saisonnier, c’est-à-dire d’une augmentation de la chaleur comme facteur inhibant du coronavirus mise à part, de réels motifs d’espoir existent. Ainsi, la réaction de certains pays a été rapide avec la mise en place (dès l’apparition des premiers cas) de mesures de contrôle aux aéroports, de campagnes de sensibilisation des populations sur les gestes barrières, de fermetures de frontières, de confinement. En République démocratique du Congo (RDC), le gouvernement a commencé dès le 6 avril au matin l’isolement et le confinement total de Gombe, le quartier d’affaires et diplomatique de sa capitale Kinshasa, considéré comme l’épicentre de la pandémie[1]. De même, le gouvernement camerounais a lancé une vaste campagne de dépistage à Douala, capitale économique du pays comptant trois millions d’habitants[2]. Ainsi, les pays semblent intégrer dans leurs politiques les expériences heureuses et malheureuses des pays plus précocement touchés.
L’autre élément positif vient de la pyramide des âges des sociétés africaines, dont l’âge médian voisine souvent les 19 ans, et où les deux tiers des populations ont moins de 35 ans. Ces populations très jeunes affronteront un virus bien plus mortifère pour les aînés. Cependant, certains scientifiques relativisent cet élément en soulignant que les populations jeunes peuvent être affectées, en particulier si celles-ci sont déjà affaiblies par des problèmes alimentaires (sous-alimentation[3] et sa cohorte de carences en vitamines et minéraux) et par la prévalence de certaines maladies (Virus de l’immunodéficience humaine, paludisme, tuberculose…). Le COVID-19 peut ainsi être menaçant en Afrique australe par exemple, là où les taux de prévalence du Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) sont les plus élevés au monde.
Des mesures difficilement acceptables
Le développement de la pandémie au sud du Sahara pourrait avoir un impact important en raison de plusieurs raisons structurelles. Dans de nombreux pays de l’ASS, une part importante de la population vit dans une extrême précarité. Il semble ainsi impossible de confiner ces personnes qui doivent continuer à travailler coûte que coûte. Ensuite, les mesures de distanciation sociale ne pourront pas être mises en place dans de nombreux bidonvilles (lorsque l’on doit aller chercher l’eau à une borne-fontaine par exemple). Le COVID-19 va frapper des États aux systèmes de santé défaillants. De leur côté, les capacités de l’aide internationale seront plus limitées qu’à l’accoutumée et l’accès aux matériels médicaux et aux médicaments fera l’objet d’une concurrence extrême au fur et à mesure que de nouveaux pays, africains ou non, seront impactés par le COVID-19.
Des mesures de confinement[4] ont déjà été prises dans de nombreux pays, accompagnées çà et là par des couvre-feux nocturnes. Or, ces confinements ne sont pas tenables sur la durée. C’est le cas de l’Ouganda où les mesures de confinement ou de limitation des déplacements sont plus durement ressenties par les populations les plus pauvres[5]. Dans des centres urbains comme Lagos et Abuja[6], une majorité de la population active qui vit de l’économie informelle, ne présente que peu de capacité d’épargne et ne peut donc pas se permettre de rester sans travailler. Des États qui appliqueraient trop strictement ce confinement n’aboutiraient qu’à accentuer la précarité de ces couches sociales, d’autant plus que dans nombre de pays, aucune compensation financière et/ou alimentaire (autres que symboliques) ne viendra contrebalancer ces mesures. De plus, une volonté d’application stricte du confinement pourrait susciter des mouvements de contestation, alimentés ici et là par l’attitude violente des forces de l’ordre chargées de faire respecter ces dispositifs, comme on a déjà pu le voir au Kenya[7] ou en Afrique du Sud. Intégrant ces difficultés, des assouplissements se mettent cependant en place : « Ces risques [de propagation] sont aujourd’hui renforcés par les récentes concessions faites par les gouvernements du continent, en reconnaissance de la vulnérabilité économique des entreprises et des commerçants informels. Les autorités nigérianes ont annoncé une ouverture partielle des marchés dans le contexte du confinement. À Maurice, le gouvernement a créé un calendrier qui attribue aux citoyens des jours de marché en fonction de la première lettre de leur nom de famille. Et, en Afrique du Sud, les restrictions imposées aux entreprises informelles et aux petits commerces de proximité, appelés localement "spaza shops", ont été assouplies[8]. »
Les mesures de distanciation sociale ont déjà été mises en place et font l’objet de publicité et de sensibilisation auprès des populations. Comme nous l’évoquions plus haut, cette réactivité des pays africains est à saluer car ces réglementations sont venues plus rapidement que sur d’autres continents. Il est en revanche illusoire de penser qu’elles puissent s’appliquer avec la même rigueur partout, en particulier dans les zones où se trouvent les populations déplacées et réfugiées du continent (25 millions) et surtout les populations des quartiers sous-intégrés (dont les bidonvilles) des villes africaines. Les fortes densités de population dans les camps de populations déplacées, et les conditions de vie de nombreux migrants, rendent les deux groupes particulièrement vulnérables à l’exposition au virus[9]. Concernant les quartiers sous-intégrés, la difficulté ne vient pas tant de la densité de ces quartiers que du médiocre taux de raccordement des habitations aux réseaux d’eau et d’électricité (donc de stockage de certaines denrées) qui impliquent des dépendances fortes à certains services collectifs (points d’eau) et aux marchés de proximité, qui impliquent une mobilité journalière. Sur les plus de 350 millions d’urbains au sud du Sahara, entre un tiers et 60 %, selon les pays et les villes, résident dans ces quartiers dits sous-intégrés.
Des systèmes de santé sous-dimensionnés
Les systèmes de santé en ASS sont parmi les plus fragiles de la planète, et ce quels que soient les indicateurs utilisés : nombre de médecins et autres personnels de santé, nombre de lits d’hôpitaux, taux d’équipements, etc. Ainsi, les données de la Banque mondiale (BM) évoquent un taux moyen de 2,2 médecins pour 10 000 habitants en moyenne au sud du Sahara, contre 35 dans l’Unione européenne (UE).
Il faut évidemment compter avec des variations importantes entre pays et, au sein de chaque pays, entre régions ou zones plus ou moins bien dotées d’aménités. Par exemple, plus de la moitié des médecins généralistes tchadiens et une grande majorité des spécialistes sont installés à N’Djamena, la capitale du pays. Dans certains pays en conflit, les équipements de santé de régions entières ont été détruits, palliés difficilement par le déploiement des Organisations non gouvernementales (ONG) sanitaires. Quant aux équipements spécifiques, la béance semble encore plus profonde. Ainsi, le Mali compterait 10 respirateurs artificiels[10], et une soixantaine aurait été commandée, la République centrafricaine (RCA) en posséderait 3, la Côte d’Ivoire entre 70 et 80[11]. De même, les dépenses annuelles de santé par habitant sont très faibles : ainsi, selon la Banque mondiale, en 2014, elles étaient de 3 377 dollars pour le Royaume Uni, 2 531 pour la Corée du sud, 1 148 pour l’Afrique du Sud et respectivement de 122, 79 et 25 pour le Cameroun, le Mozambique et la RCA.
Aussi, les capacités de test, d’isolement et de traitement des malades seront très rapidement dépassées. En pénurie de certains matériels de protection, quelques pays, comme cela s’est vu en Europe, éviteront difficilement la contamination des personnels soignants qui pourraient devenir un vecteur de la pandémie. Seuls des pays comme l’Afrique du Sud (malgré une prévalence forte du VIH qui aura une incidence) ou des pays ayant eu à affronter récemment des épidémies comme Ebola[12] pourraient limiter l’impact sanitaire.
Un contexte international défavorable à la solidarité
De surcroît, ces évènements se déroulent au moment où les bailleurs de fonds et les partenaires habituels de coopération des pays subsahariens seront ou auront été eux-mêmes marqués par la pandémie. De ce fait, la solidarité pourrait être moins grande, du moins dans un premier temps, que pour Ebola[13] et pour le VIH ; et la Chine, avec sa « COVID diplomacy[14] », les agences onusiennes (Organisation mondiale de la santé, etc.) et les grandes ONG sanitaires ne pourront se substituer à elles seules aux autres partenaires. Solidarité potentiellement plus faible des partenaires habituels et surtout concurrence plus forte pour l’accès à cette solidarité exceptionnelle, si l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan étaient touchés en même temps que l’ASS.
Dans ce contexte de coopération dégradée, l’ASS devra affronter sa dépendance quasi-totale pour les médicaments et les équipements de santé (masques, respirateurs artificiels...) dans une compétition mondiale féroce pour l’accès à ces produits. Cette pénurie prévisible jettera une lumière cruelle sur l’impéritie et l’imprévoyance des classes gouvernantes, habituées, pour elles et pour leurs proches, à échapper aux systèmes sanitaires nationaux pour aller se soigner en Europe, en Asie ou dans le Golfe.
Un impact économique difficile à mesurer
Enfin, comme partout ailleurs, cette crise sanitaire débouchera sur une crise économique, qui se déclinera en ASS en deux niveaux. D’abord, alors que l’épidémie commençait à peine à s’installer, des hausses des prix des produits alimentaires de base[15] étaient déjà constatées, en raison de la désorganisation des chaînes logistiques mais aussi, et peut-être surtout, en raison de logiques opportunistes d’acteurs économiques peu scrupuleux. Cette hausse sera variable selon les pays[16] et d’autant plus importante si elle se conjugue à d’autres facteurs comme l’arrivée de la période de soudure[17] et à la plus ou moins grande capacité des gouvernants à contrôler (y compris de manière coercitive) les prix de ces denrées de base. L’impact sur les ménages les plus modestes pourrait dès lors être important et rendra nécessaire une intervention de la puissance publique à un moment où les dépenses de santé exploseront.
Deuxièmement, à moyen terme, l’épidémie pourrait avoir des conséquences macro-économiques importantes et provoquer une régression substantielle du Produit intérieur brut (PIB) en 2020. Un récent rapport de l’Union africaine[18] propose déjà des scénarios économiques :
De son côté, dans son dernier rapport Africa Pulse, la Banque mondiale estime que l’impact de la crise sera compris entre - 2,1 % de recul du PIB de la zone à - 5,1 %. Le recul pourrait être encore plus fort pour les pays producteurs de pétroles (- 7 %) et pour ceux qui dépendent essentiellement de l’exportation des produits miniers (- 8 %).
[1]. O. Diallo, « Coronavirus en Afrique : quels sont les pays impactés ? » TV5 Monde, 14 avril 2020, disponible sur : https://information.tv5monde.com.
[2]. M. Amoko, « Coronavirus au Cameroun : vaste opération de dépistage à Douala », TV5 Monde, 6 avril 2020, disponible sur : https://afrique.tv5monde.com.
[3]. A contrario, l’obésité qui est un facteur aggravant est moins prévalente dans les populations d’ASS hors de l’Afrique du Sud et des classes moyennes et supérieures des villes.
[4]. « Covid-19 : confiner l'Afrique, mission impossible », Le Point, 30 mars 2020, disponible sur : www.lepoint.fr.
[5]. « Contre le coronavirus, l’Ouganda parie sur un arrêt immédiat de la circulation », Le Monde, 31 mars 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.
[6]. « Across Africa, a Reliance on the Informal Sector Threatens Effective Coronavirus Lockdowns », Quartz, 4 avril 2020, disponible sur : https://qz.com.
[7]. « Kenya : le président s'excuse pour les brutalités policières », Slate, 1er avril 2020, disponible sur : www.slateafrique.com.
[8]. « Across Africa, a Reliance on the Informal Sector Threatens Effective Coronavirus Lockdowns », op. cit.
[9]. W. Williams, « La COVID-19 et la crise des déplacements en Afrique », Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 3 avril 2020, disponible sur : https://africacenter.org.
[10]. C. Bensimon, M. Maillard, J. Kouagheu, et al., « Coronavirus : l’Afrique au défi de son système de santé », Le Monde, 3 avril 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.
[11]. Ibid.
[12]. V. Forson, « Fred Eboko : “L'Afrique a gardé la mémoire d'Ebola” », Le Point, 23 mars 2020, disponible sur : www.lepoint.fr.
[13]. On peut objecter à ce point le fait que s’agissant d’une pandémie, les autres continents auront intérêt à protéger l’Afrique pour se protéger eux-mêmes d’une « deuxième vague ».
[14]. W. Knight, « China Flexes Its Soft Power With “Covid Diplomacy” », WIRED, 2 avril 2020, disponible sur : www.wired.com.
[15]. V. Forson, « Le Covid-19 met l'Afrique au défi de sa sécurité alimentaire », Le Point, 4 avril 2020, disponible sur : www.lepoint.fr.
[16]. D.B. Koné, « Covid-19 : le Mali face à la flambée du prix des denrées de première nécessité », Financial Afrik, 4 avril 2020, disponible sur : www.financialafrik.com.
[17]. Période précédant les récoltes où certains produits alimentaires (surtout les céréales) présentent les prix les plus élevés de l’année.
[18]. Union africaine, « Impact of the Coronavirus (COVID-19) on the African Economy », avril 2020, disponible sur : www.tralac.org.
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