Nouveau Sommet Afrique-France : la continuité masquée de la politique africaine d'Emmanuel Macron
Un « Nouveau Sommet Afrique-France » s’est tenu le 8 octobre 2021 à la Sud de France Arena de Montpellier.
À sept mois de l’élection présidentielle, ce 28e sommet a marqué une très nette rupture avec les précédents, tant par le public invité que par la configuration des débats. Au lieu d’une réunion entre chefs d’États et de gouvernements, ce sont les sociétés civiles qui ont été conviées à Montpellier afin d’échanger directement avec le président de la République française, Emmanuel Macron.
L’absence de pairs politiques lors de cette réunion au format renouvelé a suscité de l’étonnement et parfois de l’irritation, notamment chez les homologues africains d’Emmanuel Macron. Toutefois, ce sentiment pouvait être atténué par le fait que la rencontre se soit déroulée quelques mois seulement après le Sommet sur le financement des économies africaines, organisé à Paris en mai 2021, qui a réuni les représentants d’une trentaine de pays, dont 20 venus d’Afrique.
Véritable marqueur de rupture dans les relations entre l’Afrique et la France, ou outil de communication pour réaffirmer un certain nombre de discours et d’annonces de la politique africaine portée par le président Macron[i] depuis le discours de Ouagadougou[ii] ?
Cet éditorial revient sur les moments clés de l’événement et interroge les objectifs et la nature même du dispositif du « sommet ».
Bienvenue au Nouveau Sommet Afrique-France
La matinée du Nouveau Sommet Afrique-France proposait aux 3 000 participants une déambulation masquée et casquée entre six pôles thématiques. Sur autant de scènes, des intervenants se sont relayés, entre 9 heures et 14 heures, au rythme très soutenu d’interventions courtes de cinq à dix minutes qui ne laissait pas de place au débat.
La simultanéité des sessions et la brièveté des présentations, non sans évoquer le Paris Peace Forum ou les TED talks, conjuguées à des animations sportives et musicales, ont indéniablement dynamisé et soufflé le vent de jeunesse tant voulu par le président français. Cependant, cette agora moderne présentait quasi inévitablement les défauts de ses qualités, à savoir une multiplication de monologues sans possibilité de dialogue, a fortiori dans ce dispositif de public mouvant et appareillé, et une véritable absence de hiérarchisation des sujets traités, tant l’horizontalité était de mise. De la même manière, la grande variété des thèmes évoqués, parfois de manière très fugace, obère les capacités de capitalisation sur le contenu des centaines d’interventions offertes par des membres de la société civile venus des quatre coins d’Afrique et de France.
L’après-midi présentait une forme plus classique de réunion en plénière, autour du président français Emmanuel Macron, de l’historien camerounais Achille Mbembe ainsi que des onze « pépites » ou représentants de la société civile africaine et de la diaspora. Achille Mbembe avait accepté la mission de préparer l’échange entre le président et la société civile[iii] et de rédiger un rapport avec des recommandations précises pour repenser les relations entre l’Afrique et la France[iv]. Si sa participation avait été fortement médiatisée et vivement critiquée par certains intellectuels et militants africains[v] en amont de l’événement, il est resté pourtant en retrait du débat le jour du sommet.
L’échange des représentants de la société civile avec le président Macron avait quant à lui été répété au préalable. Porteurs de convictions afro-optimistes, de critiques « anti-Françafrique » et de messages directs, les onze interlocuteurs se sont succédé au pupitre pour présenter leurs revendications au président de la République française. Celui-ci, soutenu par Élisabeth Moreno, ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, y répondait ensuite. L’exercice s’inspirait des talk-shows télévisuels, avec un éclairage et des visuels très soignés.
La prolongation de la vision exposée à Ouagadougou
Le président français voulait que cet événement soit « d’un genre radicalement nouveau » pour « réinventer la relation Afrique-France ». Mais ce sommet qui se voulait disruptif s’insérait néanmoins dans une sorte de continuité de la communication autour des inflexions de la politique africaine dans ce quinquennat. Entreprenariat, société civile, diaspora, jeunesse, N-tech, mise en réseau, promotion d’une « relation partenariale » et des « opportunités » de coopération économique : autant de mots-clés qui étaient au cœur des discours façonnant ce sommet. À l’inverse, peu de place était faite aux sujets politiques, bien que certains d’entre eux aient été abordés sur la scène consacrée à la thématique de l’engagement citoyen et lors de la plénière.
Cet aplatissement des sujets a permis d’éviter des controverses et des débats de fond sur les nombreux points de frictions, que le président a su habilement contourner lorsqu’il était interpellé, comme le soutien français à certains régimes autocratiques, les interventions militaires au sud du Sahara ou le maintien des bases militaires françaises[vi].
A contrario, Emmanuel Macron a saisi l’opportunité de ce dialogue médiatisé et directement retransmis en streaming pour réaffirmer certains éléments clés de sa politique africaine. Il a ainsi insisté sur le renouvellement de la relation entre l’Afrique et la France, et la rupture avec la Françafrique. En témoigne sa volonté affichée de sortir du paternalisme, bien qu’il se soit refusé à formuler un pardon officiel pour la colonisation française en Afrique. De même, des œuvres pillées durant la colonisation seront restituées, comme le président l’avait déjà annoncé en novembre 2017 à Ouagadougou.
Sur le plan de la coopération politique et économique, le président a promis des changements qui se sont cependant limités à un recadrage cosmétique : ainsi, on ne parlera plus d’« aide au développement », mais plutôt d’« investissement solidaire » ; de même, l’Agence française du développement, acteur central de la politique de développement française, sera renommée, comme l’avait suggéré le député de La République en Marche, Hervé Berville, dans son rapport sur la « Modernisation de la politique partenariale de développement[vii] » en septembre 2018. Étaient également annoncées la mise en place d’un Fonds de soutien à la démocratie dotée de 30 millions d’euros sur trois ans, ainsi que la création d’une « Maison des mondes africains et des diasporas » à Paris, soit les deux premières recommandations du rapport piloté par Achille Mbembe, ce qui laisse augurer d’autres décisions.
Un outil diplomatique au service du style politique « macronien »
À l’image de sa volonté de rompre avec les méthodes conventionnelles, le président Emmanuel Macron a voulu placer la rencontre de 2021 à Montpellier sous le signe de la transparence, de l’horizontalité et du renouvellement des relations entre son pays et le continent africain. Certains chefs d’État ont d’ailleurs mis en question la qualification même de cette rencontre comme étant un véritable « sommet[viii] ». Dans ce cas, vient-on à se demander légitimement, qu’est-ce qu’un sommet diplomatique ?
Depuis la première édition des sommets entre les chefs d’État de la France et des pays africains en 1973, initiée par le président Georges Pompidou, ces rencontres officielles se sont déroulées en alternance sur le territoire français et une capitale africaine. Ces réunions ont été l’occasion pour les membres de l’élite politique de redéfinir les liens diplomatiques, de discuter des enjeux politiques et d’aborder, parfois à huis clos, des questions sensibles.
Pour cette 28e édition, le format des différents moments de la journée, la dépolitisation des débats, mais aussi le ciblage exclusif d’interlocuteurs non diplomatiques, invitent à se poser un certain nombre de questions sur le futur de ces réunions tant médiatisées pour annoncer les grandes tendances de la politique africaine de la France : cette organisation « hors normes » du sommet de 2021 a-t-elle marqué le début d’un véritable reformatage des sommets et même des échanges entre l’Afrique et la France ? Cette réunion signifie-t-elle que l’on arrive à un changement de cycle diplomatique ou bien ce sommet n’est-il à prendre en considération que comme un élément communicationnel ?
Quelques pistes de réponses se dégagent justement lorsqu’on se demande à qui Emmanuel Macron s’est adressé. Aux Afriques, à leur société civile et à leur jeunesse, comme il le revendique. Pourtant, la mise à l’écart de ses homologues africains lors de cette réunion est déjà un message à leur attention, dans un contexte diplomatique tendu avec le Mali et l’Algérie : serait-il possible de faire sans eux et avec les sociétés civiles ? Élément central du discours du 8 octobre, les « diasporas » sont particulièrement ciblées et appelées à être la pierre angulaire de la relation entre l’Afrique et la France. L’usage des guillemets se justifie par la définition extensive et le calcul approximatif qu’en donne Emmanuel Macron : « 7 millions de Françaises et Français dont la vie est liée à l’Afrique ».
Emmanuel Macron, comme tous ses prédécesseurs après Mitterrand l’ont affirmé avant lui, veut donc se débarrasser de la « Françafrique » et s’adresser directement à l’Afrique en France[ix]. Enfin, dans un contexte de reconfiguration géopolitique en Afrique, on peut se demander si le chef de l’État français ne s’est pas indirectement positionné par rapport à ses rivaux chinois, russes et turcs en insistant sur l’avantage concurrentiel que constitue « la part d’africanité[x] » de la France. En effet, au cours des dernières années, ceux-ci ont su s’approprier le dispositif de sommet comme outil diplomatique, d’influence et de projection de puissance.
Malgré la communication autour des aspects disruptifs de ce Nouveau Sommet, il est nécessaire de le replacer dans une séquence politique et diplomatique plus large, marquée notamment par le Sommet sur le financement des économies africaines en mai 2021. Emmanuel Macron pérennisera-t-il cette politique de doubles sommets ?
À partir de janvier 2022, la France occupera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne lorsque se tiendra, en 2022, le Sommet Afrique-Europe, repoussé depuis deux ans du fait de la pandémie de Covid-19. Cette démarche souligne la volonté du président d’inscrire la politique africaine de la France dans une approche européenne et multilatérale, et indique qu’il n’a pas tout à fait rompu avec l’exercice diplomatique[xi].
[i]. Achille Mbembe a mené une soixantaine de consultations avec plus de 4 000 personnes dans 12 pays africains pour identifier les revendications de la société civile et préparer le rapport.
[ii]. A. Mbembe, , « Les nouvelles relations Afrique-France : relever ensemble les défis de demain », octobre 2021, www.elysee.fr.
[iii]. M. L. Ewan, « Pourquoi il faut soutenir Achille Mbembe », Financial Afrik, 22 avril 2021.
[iv]. F. Gaulme, « Emmanuel Macron et l’Afrique. La vision et l’héritage », Études de l’Ifri, Ifri, janvier 2019.
[v]. « Le discours de Ouagadougou d’Emmanuel Macron », Le Monde, 29 novembre 2017.
[vi]. M. de Fougières, « Au sommet Afrique-France, un jeu d'équilibriste pour Emmanuel Macron », Institut Montaigne, 14 octobre 2021.
[vii]. H. Berville, « Modernisation de la politique partenariale de développement », août 2018, www.gouvernement.fr.
[viii]. « Congo-Brazzaville : le PCT revient sur l’absence des chefs d’État au sommet de Montpellier », RFI, 15 octobre 2021.
[ix]. A. Glaser et P. Airault, Le piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone, Paris, Fayard, 2021.
[x]. « Emmanuel Macron veut que la France assume sa part d’africanité », Les Échos, 9 octobre 2021.
[xi]. Les auteures remercient tout particulièrement Ysé Auque-Pallez pour son appui à la préparation de leur participation au sommet.
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