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Après la rencontre avec Poutine : « Trump a surestimé ses capacités à influencer la Russie »

Interventions médiatiques |

interviewé par Fabien Escalona pour

  Mediapart 

 
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Le président Trump, qui exigeait un « cessez-le-feu immédiat » avant sa rencontre avec Vladimir Poutine, réclame désormais un « accord de paix » entre la Russie et l’Ukraine. Pour le chercheur Dimitri Minic, ce sommet est « un échec » pour Washington, qui a « surestimé ses capacités à influencer la Russie ».

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Trump est arrivé sûr de lui, fidèle à son habitude. Puis est reparti sans cessez-le-feu et sans donner le moindre détail sur le contenu de ses échanges avec Vladimir Poutine. Au lendemain de la rencontre entre les présidents russe et américain, vendredi 15 août en Alaska, Donald Trump est revenu sur ses exigences de départ. Il souhaite désormais un « accord de paix », plus efficace selon lui qu’un cessez-le-feu « qui souvent ne tient pas ».

Le président états-unien recevra lundi 18 août le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la Maison-Blanche et espère, « si tout marche bien », programmer un sommet avec le président russe.

Dimitri Minic est chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il est l’auteur de Pensée et culture stratégiques russes. Du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2023). Pour Mediapart, il décrypte « l’échec » du président orange et la stratégie de Vladimir Poutine, qui consiste selon lui à « monter Washington contre l’Europe ».


Mediapart : Pendant la conférence de presse en Alaska, le président russe a indiqué que « la situation en Ukraine [était] liée à des menaces fondamentales » pour « la sécurité » de la Russie, précisant que « toutes les causes profondes de la crise […] [devaient] être éliminées ». De quoi parle-t-il, concrètement ?

Dimitri Minic : Les objectifs de Vladimir Poutine sont clairs depuis le début de l’« opération militaire spéciale » (la « SVO ») de février 2022 et ont trait aux fameuses « causes profondes » du conflit, sans cesse évoquées par le président russe.

Il souhaite la vassalisation de l’Ukraine. Celle-ci impliquerait un régime soumis à Moscou, une réduction drastique de l’armée ukrainienne, ainsi qu’une dénationalisation au profit d’une « russification » du pays.

Poutine n’est pas allé en Ukraine pour augmenter le PIB de la Russie ni pour annexer des territoires. La question des territoires n’est devenue centrale qu’en conséquence de l’échec initial de l’« opération spéciale » et de l’incapacité de Moscou à atteindre rapidement son objectif politique principal.

Citations Auteurs

Sur le long terme, la Russie veut diriger en Europe, à égalité avec les États-Unis ou à leur place.

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Toutefois, ce n’est pas en négociant que le Kremlin espère résoudre son « problème ukrainien », mais bien en isolant l’Ukraine de l’Occident au maximum, afin d’obtenir une victoire militaire ou une capitulation totales. C’est la première raison qui explique l’ouverture de Poutine à Trump.

Il y a donc d’autres raisons ?

Moscou a aussi des objectifs régionaux : déconnecter les États-Unis et l’Europe, normaliser les relations économiques et commerciales entre la Russie et l’Occident – ce qui implique la levée des sanctions à son égard –, et poser les bases d’une expansion politico-militaire russe potentielle en Europe orientale et centrale – celle-ci étant rendue possible par le recul de l’Otan et la révision de l’architecture de sécurité européenne.

Sur le long terme, la Russie veut diriger en Europe, à égalité avec les États-Unis ou à leur place. Ce sont ces objectifs que Moscou aimerait atteindre à travers un « grand deal » avec Washington, qui dépasserait largement l’Ukraine. Je ne suis pas sûr que Trump ait vraiment pris conscience de cela. C’est la deuxième raison qui explique le comportement de Poutine à l’égard de Trump : ce dernier est une aubaine dans la mesure où il pourrait permettre à la Russie d’atteindre ses objectifs bien au-delà de l’Ukraine.

Aucun geste de bonne volonté vers l’arrêt des combats n’a été fait, lors du sommet en Alaska. La rencontre est-elle un échec pour Trump, qu’il s’évertue à maquiller en pressant ses supposés alliés et l’Ukraine ?

Depuis février 2025, non seulement Poutine n’a fait aucun geste de bonne volonté, mais il a systématiquement fait preuve d’une insolence éhontée à l’égard de Trump, pourtant conciliant. La rencontre est en effet un échec pour Washington : aucun accord n’a été conclu, et aucune menace brandie par Trump n’a été mise à exécution, malgré la déception visible du président états-unien.

J’écrivais en novembre 2024 que l’abandon de l’Ukraine par Trump serait beaucoup plus humiliant que lui-même ne semblait le penser à l’époque, et que la seule question était de savoir comment Trump allait dissimuler cela. Cette hypothèse s’est encore vérifiée hier : le président américain a préféré adhérer à la vision de Poutine, qui veut un accord de paix et non un cessez-le-feu, plutôt que de reconnaître un échec personnel à imposer sa propre vision.

La tactique de Poutine depuis le début des négociations est certes habile : louvoyer, flatter, appâter Trump avec des ressources naturelles et monter Washington contre l’Europe. Mais ce qui explique avant tout la faiblesse de Trump à l’égard de Moscou est, d’une part, l’indifférence de Trump au sort de l’Ukraine et de l’Europe, et, d’autre part, sa volonté d’arracher la Russie à la Chine. Une illusion que Poutine continuera d’entretenir dans l’esprit de la nouvelle administration pour mieux la soumettre.

Il y a quelques lignes de force chez Donald Trump qui consistent à s’accaparer des ressources et détacher ses vassaux de l’économie chinoise. Sur le dossier ukrainien, il envoie cependant des signaux contradictoires : il a maltraité Zelensky mais a pesté contre l’intransigeance de Poutine ; il a rassuré les Européens mais ne semble guère les avoir écoutés... Sait-il où il va ?

Ce que l’on perçoit comme de l’incohérence est en fait une succession d’épiphanies : Trump s’est lourdement trompé dans son analyse de la situation et il continue probablement d’ignorer les réelles motivations du Kremlin. Contrairement à ce que croyait (ou continue de croire) Trump, Moscou ne veut pas arrêter la guerre à tout prix, ne fait pas passer l’économie avant la politique et l’idéologie, ne renonce pas à la Chine et ne réduit pas ses ambitions à l’Ukraine.

Citations Auteurs

La reprise de l’aide militaire, seul véritable levier de pression, rentrerait directement en conflit avec les engagements électoraux [de Trump].

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Les leviers de pression de Trump sont réduits depuis le début : Washington a peu d’avoirs gelés russes, et les relations commerciales entre les deux pays sont trop limitées pour que des droits de douane soient efficaces. Restent l’intensification des sanctions et l’aide militaire soutenue à l’Ukraine.

La première option, celle des sanctions, renvoie Trump à un échec et à la politique de ses prédécesseurs qu’il conspue, tandis qu’elle conduirait Washington à s’aliéner des pays importants. Surtout, cette méthode n’a pour l’instant pas permis d’infléchir la politique russe.

La seconde option, celle de la reprise de l’aide militaire, est le seul véritable levier de pression sur la Russie. Mais elle rentrerait directement en conflit avec ses engagements électoraux et sa vision de politique étrangère.

Quel est l’enjeu du voyage de Zelensky à Washington lundi 18 août ?

Trump a surestimé ses capacités à influencer la Russie et s’est montré non désireux et/ou incapable de réellement contraindre l’Ukraine et les Européens à capituler. Il pourrait essayer une énième fois d’inciter l’Ukraine à céder, lors de la rencontre avec Volodymyr Zelensky lundi, et de convaincre l’Europe à l’accepter. Mais Trump, comme Poutine, d’ailleurs, a tendance à oublier que le président ukrainien n’est ni un dictateur ni un opportuniste capable ou désireux de vendre son pays.

Même si Zelensky parvenait à convaincre les Ukrainiens qu’il était sage de céder la région du Donbass en échange de garanties de sécurité solides de l’Occident, il est très peu probable que Moscou l’accepte. Trump pourrait finir par se lasser et rejeter la faute sur Zelensky et les Européens, qu’il méprise, puis se retirer du dossier en incitant ces derniers à acheter du matériel militaire américain s’ils le souhaitent et en attendant de pouvoir faire des affaires avec la Russie.

[...]

 

> Lire l'interview dans son intégralité sur le site de Mediapart (réservée aux abonnés).

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Fabien Escalona

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Dimitri MINIC

Dimitri MINIC

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Chercheur, Centre Russie/Eurasie de l’Ifri