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« La Russie impose aux Européens une confrontation de longue durée qui a déjà commencé à bas bruit »

Interventions médiatiques |

interviewé par par Virginie Robert et Yves Bourdillon dans

  Les Echos 

 
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Après bientôt quatre ans de guerre en Ukraine, Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales, compare les rapports de force entre l'Europe et la Russie alors que celle-ci s'affirme comme une menace durable.

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Thomas GOMART
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L'Institut français des relations internationales a publié récemment un rapport piloté avec neuf directeurs de think tanks européens analysant très précisément les forces et faiblesses militaires, économiques, sociales et diplomatiques de la Russie et des pays européens à la lumière d'un risque désormais élevé de guerre à l'horizon 2030 : « Les Européens n'échapperont pas à la question russe ».

Que lisez-vous dans l'annonce d'une lettre d'intention pour l'achat de 100 avions Rafale par l'Ukraine, qui suit celle de 150 Gripen E suédois ?

Il s'agit d'un signalement stratégique, avec la prudence qui s'impose sur le financement et les aspects proprement industriels. Ces annonces, de la part et de la Suède et de la France, inscrivent davantage le conflit dans la durée, puisque tout le monde comprend que ces livraisons ne vont pas se faire dans les mois qui viennent.

Cela confirme le soutien des pays européens et indique que, quelle que soit l'issue sur le terrain, il y aura derrière le besoin de garantir la sécurité de l'Ukraine. Enfin, il faut souligner qu'avec l'irruption des drones, l'expérience des Ukrainiens doit être intégrée par les armées européennes, obligées de faire évoluer leurs doctrines militaires d'emploi.

Comment les Européens doivent-ils se préparer en termes à la fois d'acquisition de matériel d'ici 2030 et s'adapter à cette révolution dans les affaires militaires ?

Les Européens doivent accroître leurs capacités dissuasives, ainsi que leurs moyens d'opérations combinées. La manière russe de faire la guerre relève de l'ineptie, tant le contraste est fort entre le taux de pertes acceptées. L'efficacité militaire russe passe par le ciblage systématique des civils. Elle arrive encore à mobiliser 30.000 hommes par mois et bénéficie d'un avantage en termes de masse.

En revanche, si on conçoit que le conflit puisse avoir d'autres dimensions en particulier dans le domaine aérien, le domaine cyber ou le domaine naval, il y a un avantage net pour les Européens.

Les sanctions américaines sur le pétrole russe peuvent-elles casser la machine économique finançant l'effort de guerre russe ?

Il s'agit d'une inflexion notable de l'administration Trump à l'égard de Poutine, en tout cas la première vraie hostilité envers le Kremlin. Ces sanctions, à partir du 21 novembre, sont très importantes parce qu'elles interviennent alors que Trump a fait, de mon point de vue, un cadeau stratégique inespéré à Poutine, à la fois en reprenant l'essentiel de son argumentaire, ensuite en organisant le sommet d'Anchorage cet été en Alaska. En dépit de ce cadeau inespéré, Vladimir Poutine ne prend pas l'offre d'un cessez-le-feu, parce que sans doute pense-t-il pouvoir complètement asservir l'Ukraine.

A rebours de tout un discours du Kremlin consistant à dire que les sanctions ne lui font pas mal, elles ont un impact, ce qu'illustre le fait que précisément les autorités russes commencent toute négociation en demandant toujours la levée des sanctions. Elles ne produisent peut-être pas l'effet escompté lorsqu'elles ont été prises, mais un effet tout de même.

Votre rapport souligne l'asymétrie entre la Russie et l'Union européenne en termes d'escalade nucléaire. Comment les Européens peuvent-ils faire face ?

Rappelons tout d'abord que la Russie, la Biélorussie et la Corée du Nord sont en guerre contre l'Ukraine qui n'a pas le droit d'exister à leurs yeux. L'Europe n'est pas en guerre contre la Russie. Son potentiel est intact. Ensuite, il y a une rhétorique nucléaire systématique de la part de la Russie, qui a d'ailleurs changé de posture en déployant des armes nucléaires en Biélorussie.

L'évocation du recours à l'arme nucléaire se banalise dans le discours public en Russie, où elle n'est plus évoquée comme l'arme de dernier recours. L'arsenal nucléaire s'avère aussi constituer la dernière carte pour la Russie afin de ne pas apparaître comme en voie de vassalisation par rapport à la Chine et rétablit la parité avec les Etats-Unis puisqu'ils ont sensiblement le même nombre de têtes nucléaires.

Il faut lier la situation militaire sur le terrain, l'exposition diplomatique et la rhétorique nucléaire. La mise en scène de nouveaux systèmes d'armes par le Kremlin vient souvent saturer l'espace médiatique dans un moment de difficultés militaires ou diplomatiques, ou au contraire pour accentuer l'effet diplomatique.

Typiquement, l'annonce des missiles Poséidon se fait juste au moment où on évoquait une rencontre entre Trump et Poutine à Budapest. Elle a d'ailleurs eu comme conséquence l'annonce de la reprise par les Etats-Unis de leurs essais nucléaires. Cette rhétorique n'est donc pas sans effet. La Russie y voit la confirmation qu'elle maîtrise l'escalade, en donnant toujours l'impression de pouvoir surenchérir par rapport à des Européens qui n'en parlent que de manière extrêmement codée et au niveau le plus élevé.

Vous soulignez que la confrontation avec la Russie est là pour durer en Europe et que l'Ukraine est le verrou qu'il ne faut pas faire sauter ?

Une partie du système décisionnel européen craint davantage une escalade avec la Russie qu'une victoire de la Russie en Ukraine. Sans voir que le coût d'une éventuelle Ukraine asservie serait encore plus élevé en termes de sécurité pour les Européens que n'importe quel soutien à Kiev, car Moscou nourrira des ambitions territoriales supplémentaires.

On peut imaginer des raids rapides, presque furtifs, dans les pays baltes, auxquels il faudrait répondre par des moyens conventionnels extrêmement significatifs. C'est pour cela qu'on peut dire que la meilleure défense pour les Européens c'est l'Ukraine.

En revanche, l'opinion publique en Europe reste favorable à un soutien à l'Ukraine à une large majorité, dans la quasi-totalité des pays européens et dans presque tout le spectre politique, même s'il y a des figures qui reprennent à leur compte le discours de Trump et de Poutine, c'est-à-dire qui attribuent à l'Ukraine la responsabilité de la situation.

Les Européens semblent avoir compris qu'ils n'échapperont pas à la question russe. Cela a été bien résumé par le chef d'état-major, ainsi que par la Revue nationale stratégique, qui évoque un risque élevé d'engagement majeur en Europe hors du territoire national. Dans ce cas de figure, le territoire national serait l'objet d'actions hybrides décomplexées. Il importe donc de dissuader la Russie en réarmant sérieusement.

On le voit à travers les ingérences et les interventions clandestines russes qui se font plus nombreuses en Europe ?

La Russie nous impose une confrontation de longue durée, qui a déjà commencé, à bas bruit et sous diverses formes, avec des opérations d'ingérences régulières, de déstabilisation, de sabotage, des provocations comme mardi matin avec un navire russe au large de la Grande-Bretagne.

Dans les objectifs aujourd'hui de Vladimir Poutine, outre l'asservissement de l'Ukraine, il y a la volonté de reconstruire une « architecture de sécurité européenne » beaucoup plus favorable à la Russie, c'est-à-dire qui remettrait en cause le principe d'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne. Le Kremlin cherche une forme de victoire symbolique sur les Européens, comme une revanche sur la période des années 1990, vécue comme une période d'humiliation et de déclassement politique.

> Lire l'article sur le site des Echos.

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Découvrir la nouvelle Étude de l'Ifri « Europe-Russie : évaluation des rapports de force »
Contenu
Les pays européens ne peuvent plus éluder la « question russe » car la Russie a choisi la guerre. Ils disposent du potentiel nécessaire, c’est-à-dire des moyens économiques, des compétences militaires et du savoir-faire technologique pour faire face à la Russie d’ici 2030 à condition de faire preuve de volonté politique. C’est le constat de cette étude, réalisée par l’Ifri avec l’appui d’un comité de pilotage réunissant neuf directeurs de think tanks européens et deux experts qualifiés pour la superviser. Elle propose une évaluation interdisciplinaire de l’évolution des rapports de force entre l’Europe et la Russie à la date de novembre 2025.
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Couverture - Europe-Russie : évaluation des rapports de force
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Virginie Robert et Yves Bourdillon

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Thomas GOMART

Thomas GOMART

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