L’Inde, entre la Chine et le Pakistan
Pays le plus peuplé au monde, l’Inde aspire à jouer les premiers rôles. Le premier ministre Narendra Modi, réélu en juin 2024 pour un troisième mandat, aime rappeler ses ambitions de faire du « XXIe siècle celui de l’Inde ». L’économie indienne occupe le cinquième rang mondial et devrait atteindre, selon toute probabilité, le troisième rang à horizon de 2030. Dotée de l’arme nucléaire depuis 1998, Delhi représente aujourd’hui la quatrième dépense militaire mondiale. Cependant, avec un produit intérieur brut annuel par habitant de 2 300 euros (129e rang mondial), l’Inde ne peut pas encore se comparer à la Chine. Elle se trouve dans une double asymétrie – économique et stratégique – vis-à-vis de cette dernière.

En 2023, Narendra Modi a présidé le G20. Ses objectifs diplomatiques ont été parfaitement résumés par Subrahmanyam Jaishankar, maître d’œuvre depuis dix ans de sa politique étrangère : « Collaborer avec l’Amérique, gérer la Chine, cultiver l’Europe, rassurer la Russie. » Le « multi-alignement » sert de ligne directrice, offrant l’image d’un pays volontiers transactionnel et soucieux de continuer à bénéficier des occasions offertes par la mondialisation. Compte tenu de son poids démographique et économique, l’Inde est courtisée par les Occidentaux, qui y voient un contrepoids à la montée en puissance de la Chine.
Les relations avec cette dernière demeurent tendues. Sans doute faut-il rappeler à quel point la guerre sino-indienne de 1962 a traumatisé les élites indiennes, qui avaient alors théorisé les principes d’une « coexistence pacifique » avec leur grand voisin. Défaite militairement en quelques semaines, l’Inde avait dû céder à la Chine l’Aksai Chin au Cachemire. Depuis 1947, cette région se situe au cœur de l’affrontement avec le Pakistan. Au fil des décennies, elle connaît des regains de fortes tensions. En juin 2020, un affrontement dans la vallée de Galwan provoque la mort de plusieurs soldats indiens et chinois. Dans les semaines qui suivent, les autorités indiennes interdisent des centaines d’applications chinoises, comme TikTok, au nom de la sécurité nationale.
En marge du sommet de Kazan en octobre 2024, Xi Jinping et Narendra Modi rétablissent un contact direct et annoncent vouloir normaliser leurs relations. Ce changement s’explique principalement par la structuration des échanges économiques entre les deux pays : l’Inde importe massivement depuis la Chine pour alimenter sa croissance, avec un déficit de 85 milliards de dollars en 2023. Économie agricole et tertiaire, elle subit la domination industrielle de sa voisine, en dépit des barrières protectionnistes érigées depuis 2018 : 30 % des biens industriels sont importés, contre 21 % il y a quinze ans, créant une forte dépendance dans les secteurs de l’électronique, des machines-outils, de la chimie, du textile et de la pharmacie (la Chine fournit plus de 70 % des principes actifs). En refusant de rejoindre le Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership ou RCEP), qui regroupe quinze pays, l’Inde peine à s’intégrer complètement dans les chaînes logistiques d’une zone en forte croissance.
Dans le domaine stratégique, l’Inde reste nettement dépendante de ses fournisseurs qu’elle s’efforce de diversifier. Moscou l’équipe depuis cinq décennies, ce qui explique la position de Delhi sur la guerre d’Ukraine : condamner sans sanctionner et s’efforcer de trouver une issue diplomatique. En demandant des transferts de technologie, l’Inde développe des partenariats avec les États-Unis, la France et Israël afin de pouvoir construire sa propre base industrielle de défense. Parallèlement, Narendra Modi s’emploie à obtenir un accord commercial bilatéral avec Donald Trump, après que ce dernier a décidé de lancer sa guerre commerciale. Il continue à vouloir attirer les fabricants américains désireux de réduire leur dépendance à la Chine. 20 % des smartphones d’Apple seraient produits dans la province du Tamil Nadu. Cependant, l’Inde peine à s’imposer comme la nouvelle usine du monde.
C’est dans ce contexte qu’elle est rattrapée par son vieil antagonisme avec son ennemi historique, le Pakistan. Rappelons que les rivaux se sont livré trois guerres depuis 1947. Le 22 avril 2025, un attentat a été perpétré, à Pahalgam, au Cachemire, contre des touristes, rappelant les agressions de Bombay en 2008. Pour le parti de Narendra Modi, cette attaque « doit être un tournant ». Elle appelle une riposte militaire pour « porter un coup fatal au terrorisme ». Ne faut-il pas craindre une escalade ?
Lire la chronique sur le site de Revue Études.
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