Sur terre, en mer, dans les airs... Que pèserait une armée européenne face à la Russie ?
Tandis que les Européens préparent les esprits à l’éventualité d’une confrontation militaire avec la Russie, une étude de l’Ifri compare les forces agrégées des 30 pays européens de l’Otan aux capacités de Moscou.
Après l’Ukraine , la Russie pourrait-elle s’attaquer à l’Europe ? Vladimir Poutine a répété ce jeudi qu’il n’en avait pas l’intention . Il est pourtant écrit noir sur blanc dans la Revue nationale stratégique 2025, document officiel qui oriente les politiques de défense française, que «d’ici 2030, la principale menace pour la France et les Européens est celle posée par le risque d’une guerre ouverte contre le cœur de l’Europe».
En attendant, le Vieux Continent entend accélérer son réarmement et muscler son industrie de la défense. En cas de confrontation, que pèseraient ses forces militaires combinées face à celle de la Russie ? C’est sur cette question que se sont penchés les experts de l’Institut français des relations internationales (Ifri), dans une étude intitulée «Europe-Russie : évaluation des rapports de force».
Les auteurs, Élie Tenenbaum et Dimitri Minic, se sont appuyés sur la base de données « Military Balance » établie par l’Institut international d’études stratégiques (IISS), qui recense les forces militaires de plus de 170 pays. L’Ifri a agrégé les effectifs et équipements de tous les pays européens membres de l’Otan, soit 23 États de l’UE et 7 autres pays européens, en excluant la Turquie*. L’exercice est purement théorique, dans la mesure où une somme d’armées n’en constitue pas nécessairement une unie et cohérente.
Dépenses militaires : match nul
La défense, c’est d’abord un budget. Les dépenses militaires russes ont été estimées en 2024 à environ 13.000 milliards de roubles, soit 145 milliards de dollars. « En termes de parité de pouvoir d’achat avec l’Occident, ces dépenses s’élevaient plutôt à 460 milliards de dollars, un chiffre relativement équivalent aux dépenses militaires cumulées des alliés européens de l’OTAN cette même année », assure l’Ifri.
Les forces terrestres : avantage Russie
Dans l’optique d’une confrontation sur terre, la Russie a l’avantage du nombre. Ses forces terrestres atteindraient environ 950.000 soldats, contre 750.000 pour les pays européens de l’Otan . Un écart «d’autant plus frappant si l’on prend en compte la disponibilité politique et la préparation au combat», relève l’Ifri, étant donné la « fragmentation politique » du continent. L’Europe est par ailleurs «sous-dotée» en moyens d’appui essentiels, à commencer par la puissance de feu - artillerie canons et roquettes, drones de frappe, missiles anti-aériens. L’autre grande lacune côté européen réside dans les « contraintes à la fois infrastructurelles et réglementaires pour déplacer des troupes à travers le continent ».
Le salut de l’Europe se trouve peut-être dans l’«avantage qualitatif» de ses armées, «grâce à leur maîtrise de la tactique interarmes et à la qualification de leur personnel de tous niveaux». «Tandis que les conscrits russes ordinaires suivent un entraînement de base d’un à deux mois, les normes de l’OTAN prescrivent habituellement une formation initiale de six mois», observe l’Ifri. La qualité de l’entraînement européen ne compense toutefois qu’«en partie» le désavantage en matière de puissance de feu et d’effectifs.
Les forces aériennes : nette supériorité de l’Europe
Côté aérospatial, l’Ifri est formel : l’Europe dispose d’une «nette supériorité face à la Russie, aussi bien quantitative que qualitative». Le Vieux Continent dispose de plus de 1500 avions de combat , contre moins d’un millier pour Moscou. L’écart est «plus spectaculaire encore en matière de préparation opérationnelle et de performance technologique». L’Ifri remarque que les forces aérospatiales russes, les VKS, sont dans «l’incapacité» de prendre le dessus dans le ciel ukrainien après trois ans et demi de conflit et « malgré un net avantage matériel indubitable ».
L’Europe doit toutefois rapidement remédier à quelques faiblesses, notamment son stock de munitions, mais aussi sa gestion des défenses aériennes adverses. La Russie a structuré toute sa doctrine «par un scénario d’engagement face à un adversaire (occidental) supérieur dans le domaine aérien». Ceci explique pourquoi Moscou dispose d’une « grande expertise en matière de défense sol-air ».
Les forces navales : l’Europe pourrait l’emporter, mais...
En mer, l’Europe a un « avantage qualitatif indiscutable » grâce à sa centaine de grands bâtiments de surface, soit trois fois plus que la marine russe. Problème, la Russie est entourée de quelques mers étroites (mer Noire , mer Baltique, mer de Barents), une géographie qui « permet difficilement de faire de cette supériorité un atout décisif » selon les auteurs. La grande force de Moscou réside dans ses sous-marins, une « sérieuse menace » compte tenu des capacités européennes « limitées » en matière de lutte anti-sous-marine.
Dans l’espace, la Russie voit son avance compromise
Autre terrain d’affrontement : l’espace. Là, le rapport de force est « plus nuancé », note l’Ifri. La Russie a hérité de l’URSS une grosse flotte de satellites militaires, dépassant celle de l’Europe (100 pour 60). Mais le secteur spatial russe a « durement souffert des sanctions occidentales ». Résultat, «la majeure partie de sa flotte de satellites est aujourd’hui vieillissante voire obsolète et les perspectives de modernisation semblent pour le moins douteuses». Et depuis le lancement de Galileo, l’Europe jouit d’un système de navigation par satellite « équivalent » au système GPS et « certainement supérieur » au système russe GLONASS.
Le facteur nucléaire : la grande inconnue
La Russie, « superpuissance nucléaire » , disposerait d’environ 1 700 têtes nucléaires stratégiques déployées et d’environ 2 600 en réserve, affirment les auteurs de l’étude. Un arsenal « pléthorique » qui, dans la pensée russe, a vocation à lui assurer la « supériorité de l’escalade ». Face à cela, la plupart des pays européens bénéficient de la dissuasion nucléaire dite «élargie» des États-Unis, qui se traduit notamment par des accords de partage nucléaire et le stationnement d’environ 100 bombes nucléaires tactiques B61-12.
Ce rempart est complété par l’arsenal des deux puissances nucléaires indépendantes en Europe, la France et le Royaume-Uni, qui disposent de « plusieurs centaines de têtes stratégiques chacune ». Mais « si la crédibilité de la dissuasion élargie des États-Unis venait à être sérieusement mise à mal ou à se montrer défaillante, l’Europe souffrirait [...] d’un déséquilibre stratégique avec la Russie », alerte l’Ifri.
*Liste des pays concernés : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Albanie, Islande, Macédoine du Nord, Monténégro, Norvège, Royaume-Uni.
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