Le monde selon Trump. Anticiper la nouvelle politique étrangère américaine
Quelle politique étrangère Donald Trump conduira-t-il ? Une semaine après l’élection présidentielle américaine, les chercheurs de l’Ifri se mobilisent pour répondre à cette question. L’étude regroupe 14 contributions et couvre un large spectre de sujets, de l’avenir des relations entre Washington et Pékin à l’engagement américain au Moyen-Orient, en passant par l’évolution possible du lien transatlantique. Elle se veut une aide à la prévision, et donc à la décision.
Donald John Trump deviendra le 45e président des États-Unis après le vote des grands électeurs prévu le 19 décembre 2016, et prendra ses fonctions le 20 janvier 2017. Son élection marque une bifurcation dans la trajectoire des États-Unis. Compte tenu de leur poids politique, militaire, économique et culturel, cette bifurcation aura des conséquences non seulement sur les rapports de puissance, mais aussi sur le fonctionnement du système international. En termes d’analyse et de prévision, les questions immédiates ne portent pas sur le cours de la politique étrangère américaine entre isolationnisme et interventionnisme, entre réalisme et idéalisme, ou entre unilatéralisme et multilatéralisme. Elles portent sur les réactions que susciteront les décisions de l’administration Trump.
"Donald Trump voudra-t-il se soustraire à la globalisation et aux interdépendances du système international ? A moins de vouloir en redéfinir les fondamentaux. Washington aura-t-il la capacité de redéfinir les règles du jeu alors que son leadership est pour le moins contesté ?"...
SOMMAIRE
Introduction, par Thomas Gomart
La politique étrangère de Trump : une démarche jacksonienne, par Laurence Nardon
Il existe bel et bien une ligne directrice à l’ensemble des propositions de Donald Trump. Elle s’illustre dans le courant de pensée jacksonien. Ce courant, inspiré par le président Jackson (1829-1837), reprend les codes d’une population venue d’Écosse et d’Irlande du Nord au XVIIIe siècle. Développant une vision du monde religieuse et pessimiste, elle considère que la société internationale est un monde de chaos hobbesien : il faut, par principe, ne pas s’en mêler, mais pouvoir se défendre avec fougue si les intérêts du clan sont en jeu. En d’autres termes, l’isolationnisme est la règle, mais une intervention militaire résolue est de mise le cas échéant pour défendre les intérêts économiques ou sécuritaires du pays.
Avec qui Trump gouvernera-t-il ?, par Laurence Nardon
La vision de Donald Trump en matière de politique étrangère va devoir s’accommoder désormais du principe de réalité. Le président va-t-il faire ce qu’il a annoncé ou mettre de l’eau dans son vin ? Un premier élément de réponse tient aux conseillers dont le président va s’entourer et aux équilibres politiques qui vont se mettre en place au Congrès, notamment au Sénat.
La politique de défense sous Donald Trump : doing less with more ?, par Corentin Brustlein
Il existe un décalage net entre de telles orientations et les ambitions affichées par le candidat en matière de politique étrangère : une critique des guerres jugées inutiles et coûteuses de l’administration Obama, une implication moins poussée, plus sélective, dans les crises régionales, et une volonté de voir les alliés des États-Unis prendre davantage en main leur propre sécurité. On voit mal, dans ces orientations, ce qui justifierait un renforcement aussi massif des forces terrestres et des capacités expéditionnaires, qui retourneraient à des volumes proches des niveaux atteints dans les années 2000, lorsque les États-Unis conduisaient simultanément les guerres en Irak et en Afghanistan.
La guerre commerciale n’aura (peut-être) pas lieu, par Françoise Nicolas
Si l’objectif à atteindre est bel et bien de « ramener des emplois à la maison », les mesures envisagées sont vouées à l’échec. À l’heure des chaînes de valeur mondiales, une politique de repli sur soi aurait des effets catastrophiques dans un certain nombre de secteurs. Il est illusoire d’espérer que les emplois manufacturiers reviennent aux États-Unis comme par magie sous l’effet de hausses des barrières douanières.
Climato-scepticisme et défense des énergies fossiles : l’héritage d’Obama en péril ?, par Marie-Claire Aoun et Carole Mathieu
L’arrivée de Trump au pouvoir ouvre une ère d’incertitude sur les marchés énergétiques internationaux. Au-delà de son retrait de l’accord de Paris, Donald Trump avait aussi annoncé vouloir renégocier l’accord sur le nucléaire iranien. Si la nouvelle administration américaine prend effectivement ce tournant, alors les cartes sur la scène énergétique mondiale risquent d’être complètement rebattues.
Trump et internet : pas de romance en perspective, par Julien Nocetti
Barack Obama était parvenu à incarner la civilisation numérique : très proche de la Silicon Valley durant ses deux mandats, il a su redéployer la stratégie de sécurité et le redéveloppement économique des États-Unis autour de l’industrie numérique. Si Trump se mue en réaliste pragmatique, il poursuivra certainement la politique de ses prédécesseurs, fondée sur un « impérialisme d’interpénétration » qui fait des Etats-Unis l’unique superpuissance numérique.
Trump et l’Asie : fin du pivot ?, par Céline Pajon
Les remarques souvent provocantes de Donald Trump sur les partenaires asiatiques de Washington ont mis en lumière quelques points saillants de son approche, fondée sur le principe de rentabilité : l’engagement américain (y compris en termes militaires) doit être monnayé et le retour sur investissement doit être positif. Les conditions des alliances doivent donc être renégociées sur des bases plus favorables pour Washington, les accords de libre-échange rediscutés ou abandonnés, les risques géopolitiques doivent pouvoir être gérés à travers l’arme économique en priorité. Cette vision implique, en creux, l’abandon de la politique de « pivot » ou de rééquilibrage vers l’Asie portée par l’administration Obama depuis 2011.
Trump : un homme d’affaires face à la Chine, par Alice Ekman et John Seaman
Séduire Donald Trump. La méconnaissance de la Chine politique et le manque d’expérience diplomatique du nouveau président pourraient être perçus comme un atout pour Pékin, qui n’hésite pas à jouer l’ambiguïté face à des interlocuteurs peu au fait des spécificités et objectifs chinois. Pékin souhaitera tourner la page des critiques de la campagne pour lancer de nouvelles relations sur de bonnes bases – entre les deux administrations comme entre Xi Jinping et Donald Trump sur le plan personnel.
Trump et la Russie : la fin de l’« ennemi américain » ?, par Tatiana Kastouéva-Jean et Julien Nocetti
À l’évidence, certaines déclarations de Trump peuvent avoir des conséquences inattendues pour le Kremlin. Celui-ci semblait obsédé par une Chine risquant de ravir à la Russie la figure d’« ennemi numéro un ». Or, le rétablissement du statut de grande puissance de la Russie se construit dans l’opposition à la puissance américaine : la valeur ajoutée de Moscou pour sa propre opinion publique, mais aussi à l’étranger était précisément d’incarner le challenger d’un ordre mondial sous domination américaine.
Moyen-Orient : comment se débarrasser du fardeau ?, par Dorothée Schmid
La région du Moyen-Orient figure encore parmi les grands dossiers de la politique étrangère américaine. Les États-Unis y sont espérés ou honnis, en tout cas attendus. Il s’agira bien en effet pour le prochain président de décider d’un périmètre d’intervention sur ce terrain largement hostile, et où les intérêts américains sont moins pressants. La question centrale demeure : poursuite du retrait ou retour américain, sous quelle forme, avec quels objectifs et quels alliés ?
« Grandeur américaine » et retour des frontières, par Christophe Bertossi et Matthieu Tardis
À l’heure où les dynamiques migratoires deviennent de plus en plus complexes entre l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine, et où le Mexique n’est pas seulement le premier pays de départ des migrants dans le monde mais aussi un pays de transit voire de destination, la question de la frontière ne pourra certainement pas se résumer à un simple mur.
La relation transatlantique : rien de mieux, rien de vraiment pire, par Vivien Pertusot
Si l’Europe n’est plus une priorité en politique étrangère américaine depuis la fin des années 1990, tous les présidents sont amenés à s’y investir. Les Européens sont les premiers alliés des États-Unis et aucune action internationale d’envergure ne pourrait aboutir sans un soutien au moins partiel des Européens. Ce type de structuration ne change pas du jour au lendemain.
Donald Trump à la Maison-Blanche : un choc salvateur pour Paris et Berlin ?, par Hans Stark
Si l’élection de Donald Trump a été saluée par les dirigeants des partis d’extrême droite de France et d’Allemagne, elle ouvre pour François Hollande « une période d’incertitude ». Angela Merkel, quant à elle, a souligné que la coopération étroite entre Berlin et Washington se poursuivrait si la nouvelle administration respectait les valeurs de la démocratie, de la liberté, de l’état de droit et de la dignité humaine (valeurs que les Américains ont dû jadis, et par deux fois, inculquer aux Allemands...). Ces réactions brutes illustrent que Paris et Berlin n’avaient pas envisagé la défaite d’Hillary Clinton, ce qui complique à l’évidence leurs positions respectives, sur le plan intérieur aussi bien qu’extérieur.
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