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COVID-19 : un premier bilan politique en Chine

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Comment la Chine gère les conséquences politiques du coronavirus ? Alors que la crise sanitaire semble se stabiliser en Chine, on peut tenter de dresser un premier bilan des conséquences du COVID-19 sur la politique intérieure.

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Début mars, l’épidémie a dépassé en Chine les 90 000 personnes infectées et les 3 000 décès. Il convient toutefois de rappeler que ce n’est pas le taux de mortalité du virus qui est le plus directement alarmant, mais sa transmissibilité et le nombre d’inconnues qui entourent son développement, comme la période d’incubation, l’absence de symptômes chez certains patients infectés, et la réinfection de patients déjà contaminés. Si plus de 3 000 personnes y ont succombé – majoritairement âgées de plus de 60 ans et présentant des vulnérabilités de santé préexistantes –, plus de 50 000 patients en ont guéri. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé fin janvier 2020 qu’une équipe conjointe d’experts de l’OMS et de Chine avait « constaté que le taux de mortalité oscill[ait] entre 2 % et 4 % à ‎Wuhan, et qu'il [était] de 0,7 % en dehors de Wuhan »[1]. Ainsi, l’impact sanitaire du COVID-19 en Chine apparaît relativement limité si on le compare avec la grippe saisonnière, par exemple, qui « touche 2 à 8 millions de personnes et est responsable en France de 10 000 à 15 000 décès chaque année », selon l’Institut Pasteur[2]. La crise sanitaire s’est cependant rapidement muée en crise économique, politique et sociale, à mesure que l’épidémie a progressé.

La réponse tardive et forte d’un régime léniniste face à l’épidémie

En France, le débat a fait rage autour de la gestion de l’épidémie par les autorités chinoises. Certains observateurs ont attaqué la faillite du système politique et les mensonges des autorités chinoises, tandis que d’autres ont salué la réactivité et les mesures mises en œuvre par Pékin, comme le ministre français de la Santé, Olivier Véran, qui a par ailleurs estimé qu’il n’était « pas sûr qu’il serait possible de réaliser ça dans un pays où les réseaux sociaux seraient ouverts »[3]

Nous proposons ici une analyse plus nuancée de la gestion de l’épidémie en Chine. Les autorités ont effectivement pris des mesures spectaculaires, mais seulement à partir du moment où les dysfonctionnements structurels du régime politique ont pu être dépassés.

En effet, les dysfonctionnements inhérents au système léniniste chinois ne permettent pas à l’information de circuler efficacement entre les échelons administratifs locaux et le pouvoir central. La discipline et les objectifs imposés aux cadres locaux par le pouvoir central ont pour conséquence de ne faire remonter à Pékin que les bonnes nouvelles et de dissimuler les mauvaises. Ainsi, l’identification et les mesures prises contre l’épidémie se sont révélées chaotiques et contre-productives, notamment quand la police de Wuhan a préféré arrêter et réprimander les médecins lanceurs d’alerte plutôt que d’écouter les mises en garde et se prémunir contre le risque épidémique. Le COVID-19 a ainsi révélé les vulnérabilités du système administratif chinois dans la gestion de crise.

Les autorités centrales ont finalement rendu publics les cas de coronavirus identifiés et ont reconnu un risque épidémique d’ampleur à la mi-janvier, soit plus d’un mois après les premières contaminations. Le bilan du nombre de personnes infectées augmentant très rapidement, Pékin s’est résolu le 22 janvier à prendre des mesures fortes et de grande envergure pour tenter d’endiguer l’épidémie. La ville de Wuhan, capitale provinciale du Hubei et épicentre de l’épidémie, ainsi que deux municipalités voisines ont été placées en quarantaine, suivies par l’ensemble de la province et de nombreuses autres localités à travers la Chine. Parallèlement, les festivités du Nouvel an le 25 janvier ont été annulées, les transports ferroviaires et aériens ont été restreints, et des centaines de médecins militaires ont été dépêchés au Hubei. Autre mesure spectaculaire, deux hôpitaux d’une capacité totale de 2 600 lits ont été construits en une dizaine de jours à Wuhan.

Outre les mesures sanitaires, le pouvoir central a également pris des mesures politiques pour se prémunir contre une éventuelle épidémie de critiques envers le régime. La mort du Dr. Li Wenliang des suites du coronavirus a déclenché un vent de contestation sur les réseaux sociaux chinois. Le Dr. Li avait été le premier à alerter sur le cas de sept patients atteints d’un coronavirus le 30 décembre 2019. Le 3 janvier, il a été convoqué par la police. Il a reçu un avertissement et a été contraint de reconnaître avoir « illégalement propagé de faux propos sur Internet » et d’avoir « gravement perturbé l'ordre social ». Il a peu après contracté le COVID-19 et est décédé dans la nuit du 6 février. Même sa mort a fait l’objet d’informations contradictoires dans les médias officiels. Les réseaux sociaux se sont alors enflammés et, dans la foulée, des universitaires et intellectuels chinois ont signé une pétition et publié des tribunes à charge contre le Parti (notamment Xu Zhangrun, Xu Zhiyong et Guo Yuhua). Cette vague de contestations a rapidement été reprise en main par la censure : Internet et les réseaux sociaux ont été purgés des contenus critiques, tandis que des intellectuels ont été assignés à résidence ou ont disparu pour certains (l’avocat Chen Qiushi par exemple).

La Chine a ainsi fait montre d’une grande réactivité dans la réponse sanitaire, mais celle-ci ne doit cependant pas masquer les dysfonctionnements structurels qui ont gravement retardé la lutte contre l’épidémie, ainsi que la réponse politique radicale à l’encontre de la société civile.

Le risque politique et la reprise en main des autorités

La contestation sociale soulève la question des conséquences politiques du COVID-19 en Chine. Le président Xi Jinping fait face à un double défi au travers de cette crise : d’une part la remise en question de son autorité au sein du Parti, et d’autre part la contestation de sa légitimité au sein de la population.

Dans les arcanes du Parti communiste, les détracteurs de Xi Jinping pourraient chercher à utiliser le COVID-19 comme une énième preuve des erreurs de gouvernance de l’équipe dirigeante. Pour certaines élites au sein du Parti, le mouvement pro-démocratie à Hong Kong, la campagne de rééducation au Xinjiang, ou encore les élections à Taïwan remportées par le Parti démocrate progressiste sont autant d’échecs qui résultent d’analyses erronées et de mauvaises décisions politiques de Xi Jinping.

Le second défi pour Xi Jinping et l’ensemble du Parti est la remise en question au sein de la société de la capacité du Parti à assurer la protection de la population. Un contrat social tacite existe en Chine entre le Parti et la population. Le Parti garantit à cette dernière sécurité (physique, sanitaire, alimentaire) et prospérité, en échange de quoi la population accorde sa légitimité au Parti et le laisse gérer unilatéralement les affaires politiques. La perte de confiance de la population dans la capacité du Parti à assurer la sécurité sanitaire du pays pourrait fissurer ce contrat social.

Face à ces défis, le pouvoir central a opté pour une stratégie de verrouillage politique de la crise, mise en œuvre par la garde rapprochée du président. L’objectif pour Xi Jinping est de placer des hommes de confiance afin de maîtriser les évolutions sanitaires, politiques et sociales de la crise, et ainsi d’éviter que les failles administratives ne soient utilisées contre lui. Le lendemain de la mort de Li Wenliang, Pékin a envoyé à Wuhan Chen Yixin, proche conseiller de Xi et actuel secrétaire de la puissante Commission politique et légale centrale, la plus haute instance chinoise responsable du maintien de la stabilité et de la sécurité publique.

Le 11 février les premiers cadres provinciaux ont été limogés. Deux des principaux responsables de la Commission Santé du Hubei (Zhang Jin et Liu Yingzi) ont été remplacés par un cadre d’échelon central, le directeur adjoint de la Commission nationale de la Santé et du planning familial, Wang Hesheng. Les jours suivants, le secrétaire du Parti du Hubei, Jiang Chaoliang, et le secrétaire du Parti du Wuhan, Ma Guoqiang, ont tous deux été remplacés par des proches de Xi Jinping, respectivement Ying Yong, précédemment secrétaire du Parti de Shanghai, et Wang Zhonglin, ex-secrétaire du Parti de la capitale provinciale de Jinan.

Au cœur du pouvoir central, deux enseignements contradictoires peuvent être tirés de la gestion du COVID-19. Le premier serait que l’autoritarisme du régime, l’absence de liberté d’expression et les failles dans la circulation de l’information sont à l’origine des erreurs dans la gestion de crise. Aussi, une plus grande ouverture permettrait de pallier ces manquements à l’avenir. L’enseignement inverse retiendrait que c’est justement le manque d’autoritarisme, ou d’approfondissement du « socialisme aux caractéristiques chinoises », qui a permis ces erreurs. Dans cette seconde hypothèse, il faudrait poursuivre la centralisation du pouvoir et le renforcement du contrôle politique sur l’appareil d’État et la société civile pour bâtir un système plus efficient. Au vu des mesures de censure et de répression, et de la reprise en main politique du Hubei, il apparaît que le pouvoir central a d’ores et déjà opté pour la seconde option.

 

Cet article a également été publié sur le site de Telos.

 

[1]. « Allocution liminaire du Directeur général de l’OMS lors du point ‎presse sur la COVID-19 du 24 février 2020 », Organisation mondiale de la santé, disponible sur : www.who.int.

[2]. Fiches maladies de l’Institut Pasteur, « La Grippe », disponibles sur : www.pasteur.fr.

[3]. « Olivier Véran sur le coronavirus : "La France est prête car nous avons un système de santé extrêmement solide" », France Inter, 18 février 2020, disponible sur : www.franceinter.fr.

 

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979-10-373-0134-5

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