La « der des ders » : guerre totale, paix totale ?
La Conférence de paix de Paris de 1919-1920 conclut la Première Guerre mondiale et doit établir les conditions d’une paix durable, pour ne pas dire perpétuelle. Elle sème en fait les graines de conflits futurs, notamment en imposant à l’Allemagne une punition exceptionnelle. Les leçons de cette Conférence ont été tirées, en particulier après la Seconde Guerre mondiale. Les traités de paix ne visent plus à assommer les vaincus mais à faciliter leur intégration dans le concert des nations.
1919, J’accuse d’Abel Gance. Dans cette œuvre saisissante, le cinéaste fait surgir, tels des zombies, les soldats morts de leurs tombes. Ces malheureux au corps ravagé se rassemblent en des processions infinies hurlant « Plus jamais ça ! » La Grande Guerre doit être la « der des ders ». Dix-huit ans plus tard, en 1937, l’indignation n’est plus là, comme le raconte La Grande Illusion de Charles Spaak et Jean Renoir. À la fin du film, deux prisonniers évadés concluent : « – En espérant que c’est la dernière… – Ah ! tu te fais des illusions. »
Le film de Spaak et Renoir renvoie au livre du Britannique Norman Angell (1872-1967) qui a lui aussi pour titre La Grande Illusion. La première édition de l’ouvrage paraît en 1910, quatre ans avant la descente aux enfers. Pour Angell, une guerre entre grandes puissances est désormais impossible, les sociétés industrielles étant trop habituées au confort, trop conscientes des exigences économiques pour s’épuiser dans d’inutiles combats. Le retentissement de l’ouvrage est considérable. Une deuxième édition paraît en 1933, année de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. Angell, prenant acte de l’« accident » de 1914-1918, conclut pourtant que la rationalité économique finira par l’emporter.
La Grande Guerre doit donc être la dernière. Le 27 août 1928, le pacte Briand-Kellogg déclare la guerre hors la loi ; 60 États adhèrent au texte. La Grande Guerre ne sera pas la « der des ders » ; mais une rupture capitale s’est produite. La guerre cesse d’être vue comme une fatalité, comme un phénomène quasi naturel emportant périodiquement les sociétés ; elle devient un fait social que l’on peut analyser, ou une maladie que l’on doit et peut guérir.
La Première Guerre mondiale et la Conférence de paix de Paris qui la conclut remodèlent la problématique de la paix. Comme la guerre, la paix doit être totale. Il s’agit ici d’analyser les facteurs qui promeuvent cette nouvelle donne, puis d’examiner les contradictions toujours actuelles auxquelles se heurte cette paix rêvée juste et perpétuelle.
Une problématique radicalement reformulée
Les conférences diplomatiques du XIXe siècle (Vienne, 1814-1815 ; Paris, 1856 ; Berlin, 1878 puis 1884-1885) sont de grandes messes que régit un rituel bien établi. Les participants appartiennent à la même aristocratie, pratiquent la même langue, le français des salons. […]
PLAN DE L’ARTICLE
Une problématique radicalement formulée
- Une guerre qui brise les sociétés
- La mobilisation des empires
- Le sauveur américain- Les équivoques de la « vraie » paix
- Les premiers pas chancelants d’une paix contractuelle
- La boîte de Pandore de l’autodétermination
- Quelle solution économique : punir ou réintégrer ?
- Il faut un coupable !
-Quel policier ?
Philippe Moreau Defarges est chercheur et codirecteur du rapport RAMSES à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Son dernier ouvrage publié est L’Histoire de l’Europe pour les Nuls, Paris, First Éditions, 2013.
Article publié dans Politique étrangère, vol. 79, n° 1, printemps 2014
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
La « der des ders » : guerre totale, paix totale ?
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesCambodge-Thaïlande : un accord de paix en trompe-l’oeil
Après le Moyen-Orient, Donald Trump a vu en Asie du Sud-Est une nouvelle opportunité de consolider son image de président faiseur de paix. Confirmée à la dernière minute par la Maison-Blanche, sa participation au sommet de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a ainsi été conditionnée à l’organisation en grande pompe d’une cérémonie de signature d’un accord de paix entre le Cambodge et la Thaïlande.
Le rôle clé de la Chine dans les chaînes de valeur des minerais critiques
La Chine occupe aujourd’hui une position dominante dans les chaînes de valeur des minerais critiques, de l’extraction à la transformation jusqu’aux technologies en aval. Cette suprématie repose sur des décennies de politiques industrielles et lui confère une influence stratégique considérable sur la sécurité d’approvisionnement mondiale, notamment pour l’Union européenne.
Un an de présidence Prabowo : entre populisme économique et reflux démocratique
Élu à presque 60 % des suffrages en février 2024, Prabowo Subianto est officiellement devenu le huitième président de la République indonésienne le 20 octobre 2024. Adoubé par son prédécesseur et ancien rival, Joko « Jokowi » Widodo, porté par une immense popularité, en particulier auprès de la jeunesse, le nouveau chef de l’État n’a pas tardé à mettre en œuvre son programme pour une « Indonésie qui avance » (Indonesia Maju).
États-Unis/Taïwan : le temps de la confusion stratégique
En s’opposant à la volonté de la Chine d’annexer Taïwan, les États-Unis d’Amérique contribuent, depuis des décennies, au maintien du statu quo, toute tentative d’invasion chinoise entraînant, avec une potentielle intervention américaine, le risque d’une nouvelle guerre mondiale. Mais dans l’agitation suscitée par les conséquences internationales du retour au pouvoir de Donald Trump, une question sème le trouble dans les esprits : à l’égard de Taïwan, quelle sera l’attitude d’une administration dédaigneuse des alliés des États-Unis mais obsédée par la compétition avec la Chine ?