Europe : d’une démilitarisation l’autre
Amorcée dès les années 1970, confirmée dans les années 1990 avec les « dividendes de la paix », accélérée par la crise de 2008, la démilitarisation de l’Europe est incontestable. L’effondrement des budgets produit des armées réduites, des matériels déployés en échantillons, des capacités en berne. Alors que les États-Unis se désengagent partiellement d’Europe, cette démilitarisation débouche sur l’impuissance européenne dans un monde où la violence collective demeure une réalité.
La démilitarisation de l’Europe est en marche, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Faut-il s’en émouvoir ? De la canonnière d’Agadir à la Grande Guerre, du pacte Briand-Kellogg au pacte Molotov-Ribbentrop, des premières crises de la guerre froide jusqu’à la détente, l’Europe s’est militarisée et démilitarisée au gré des circonstances, sans que l’impact potentiellement démobilisateur de ces variations ait été maîtrisé dans la durée. Si la démilitarisation fait aujourd’hui débat, à la suite du discours de Robert Gates en 2010, voici 30 ans était dénoncée à l’inverse la « militarisation du monde occidental ». La variation traduit l’ambivalence de la notion : démilitariser un équipement implique de le rendre inoffensif, mais l’innocence renvoie aussi bien à l’absence de mal qu’à la bêtise. De même, la démilitarisation n’intervient normalement qu’après une grande guerre ou une rupture majeure, tandis que l’Europe d’aujourd’hui démilitarise après une paix qu’on n’ose dire trop longue, malgré Hegel. Toute démilitarisation n’est peut-être pas bonne à prendre.
Pour que la démilitarisation actuelle apparaisse comme le problème qu’elle est effectivement, il faut donc que cette double inflexion, sémantique et historique, soit perçue comme telle. Le danger est en effet que notre démilitarisation se poursuive en silence, jusqu’à désarmer l’Europe et la condamner à l’insignifiance. Un continent incapable de se défendre seul, impuissant à intervenir à l’extérieur, en particulier sur ses marches, risque de voir remises en cause et son influence et sa sécurité.
Faits bruts, tendances nettes
La tendance générale est indéniable, tant s’accumulent indices, chiffres et éléments de preuve. S’il est vrai que les pays européens ne sont pas tous uniformément affectés, la différence des situations initiales et des politiques suivies n’en est pas moins secondaire par rapport aux effets engendrés par le désarmement en cours.
En berne
La démilitarisation a procédé en trois vagues distinctes, aux effets cumulatifs : l’érosion de long terme, qui a vu la part des dépenses de défense dans la richesse nationale baisser dans tous les pays occidentaux depuis les années 1970 ; la baisse brutale correspondant à la fin de la guerre froide et aux « dividendes de la paix » ; enfin la crise ouverte en 2008. En un demi-siècle, les crédits de la Défense sont passés en Europe de 3 %-4 % à un peu plus de 1 % du PIB, soit une réduction sans équivalent historique. [...]
PLAN DE L’ARTICLE
- Faits bruts, tendances nettes
- En berne
- A vau-l’eau ensemble, mais chacun sa galère
- Des implications déplaisantes
- Raisons et sentiments
- L’épuisement comme cause
- La déresponsabilisation comme raison
- Mauvaise conscience et oubli
Étienne de Durand est directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri.
Article publié dans Politique étrangère, vol. 79, n° 1, printemps 2014
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
Europe : d’une démilitarisation l’autre
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesQuelle autonomie capacitaire pour l’Europe ? Une analyse multi-domaine
La dégradation de la situation sécuritaire en Europe depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine incite les pays européens à accroître significativement leurs capacités militaires pour rester dissuasifs face à la menace majeure que représente désormais la Fédération de Russie. Par ailleurs, la politique américaine de burden shifting incite les Européens à envisager une moindre contribution des États-Unis à la défense du continent en général. Ce constat appelle à identifier plus finement le degré d’autonomie capacitaire des nations européennes et de leurs armées.
« Glaives de fer ». Une analyse militaire de la guerre d’Israël à Gaza
Le 7 octobre 2023, l’attaque du Hamas baptisée « Déluge d’al-Aqsa » a provoqué un choc majeur et a conduit Israël à déclencher la guerre la plus longue de son histoire. L’opération « Glaives de fer » se distingue par son intensité inédite, tant par l’engagement de forces terrestres massives que par la puissance de feu déployée.
Comprendre l'écosystème d'acquisition de l'OTAN
L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) achète chaque année des biens et des services à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Il convient toutefois de distinguer ce qui est financé en commun de ce qui l’est nationalement, par chacun des alliés. Cette grille de lecture doit permettre aux entreprises, selon leur taille et leur secteur d’activité, d’identifier les opportunités de marché et quel sera l’acteur de l’acquisition. Il faut donc comprendre la manière dont l’Alliance détermine ses besoins et comment elle les finance afin de pouvoir identifier, selon le secteur d’activité, quels seront les acteurs de l’acquisition.
Les tentations nucléaires de l'Arabie saoudite
L'intégration de l'Arabie saoudite sur la scène internationale et la stabilité régionale, notamment grâce à la réduction de sa dépendance aux énergies fossiles, sont des éléments essentiels à la réussite de la Vision 2030 du Royaume, la priorité absolue du prince héritier. Cependant, les déclarations de Mohammed ben Salmane en 2018 et 2021, indiquant que « si l'Iran développe une bombe nucléaire, nous ferons de même dès que possible », combinées aux récentes frappes contre des installations nucléaires iraniennes clés, ne présagent rien de bon pour l'avenir du Royaume, de la région et du régime de non-prolifération dans son ensemble.