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La stratégie américaine en Asie

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La stratégie américaine en Asie
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La Chine, tout comme la Russie, avait rejoint le camp des alliés dans la guerre américaine contre le terrorisme à l'automne 2001. Aujourd'hui, à l'image du voisin russe, elle est un obstacle majeur à toute sanction contre l'Iran et son programme nucléaire qui sera examiné par le Conseil de sécurité des Nations unies. Non seulement Pékin refuse de suivre les États-Unis et l'Union européenne sur cette voie, mais il oppose, de plus en plus fermement et sereinement, un modèle de développement et de puissance qui, loin de rejoindre les rangs de la démocratie libérale - modèle victorieux de la Russie soviétique -, tente d'imposer sa spécificité et oblige Washington à forcer le ton. La Chine devenait en mars 2006 une possible " force négative " pour la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice en tournée en Asie.

La Chine analysée comme une puissance déstabilisatrice, voire menaçante, pour les États-Unis n'est pas une donnée nouvelle. Le rapprochement stratégique entre Washington et Tokyo amorcé en 1996 par la déclaration Clinton-Hashimoto, qui aboutit à la définition de nouvelles directives de sécurité nippo-américaines (entrées en vigueur en 1999), s'inscrivait précisément dans le cadre de cette préoccupation. L'ensemble de la coopération nippo-américaine de même que la transformation militaire de la défense japonaise accélérée depuis 2001 se sont nourries de la " menace chinoise ".

Pourtant, parce que depuis le mois de septembre 2001 la priorité américaine est au Moyen-Orient et que la Chine est officiellement une alliée dans la guerre contre le terrorisme, celle-ci a bénéficié du retrait de l'Administration Bush sur plusieurs dossiers, laissant ainsi à Pékin le pilotage du dialogue sur la prolifération nucléaire nord-coréenne. Sur cette question, les intérêts nationaux chinois ne répondent pas aux attentes américaines ou japonaises, et le dialogue piétine. L'intérêt nouveau porté par Washington à la question des Japonais " enlevés " par des agents nord-coréens dans les années 1970-1980, question qui constitue un frein supplémentaire à l'évolution du dialogue à six, est un signal d'infléchissement de la politique américaine sur le dossier de la Corée du Nord mais aussi de soutien à la position de Tokyo, très isolée sur ce volet du contentieux.

L'affaire iranienne, la dynamique de la politique énergétique chinoise et les appels réitérés formulés dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) au retrait des forces américaines stationnées en Asie centrale pourraient mettre un terme à une stratégie politique américaine de profil bas. Dans une nouvelle offensive, le vice-président Dick Cheney se rendait au Kazakhstan, dans cette arrière-cour de la Chine que Pékin voudrait pouvoir contrôler. Paradoxalement, c'est sur la question de Taiwan que Washington semble aller dans le sens des gestes attendus de Pékin, en refusant par exemple au président taiwanais Chen Shui-bian, en route vers l'Amérique latine début mai, une escale significative sur le territoire américain. Pékin ne peut toutefois confondre cette volonté d'apaisement à bon compte avec une évolution significative de la stratégie américaine en Asie face à l'émergence de la puissance chinoise.

En effet, parallèlement à une politique douce prônée depuis 2001, la stratégie militaire des États-Unis s'est au contraire raffermie. Les exercices se sont multipliés dans le Pacifique, de même que les manœuvres conjointes avec les pays alliés de la région. L'île américaine de Guam devient progressivement une tête de pont des forces américaines en Asie-Pacifique. Encore récemment, l'arrivée de 8 000 Marines jusqu‘ici stationnés à Okinawa et le déploiement de nouveaux sous-marins d'attaque étaient annoncés. Parallèlement, l'évolution de la configuration des bases américaines installées au Japon ne peut être interprétée comme un désengagement des États-Unis : la mise en place progressive d'une défense antimissile et d'un poste de commandement conjoint localisé sur l'archipel confirme le renforcement de la présence déjà conséquente de la 7e flotte américaine dans cette région.

Ce scénario de défense contre un possible aventurisme militaire de la part de la Chine repose cependant essentiellement sur le soutien de Tokyo. Le Premier ministre japonais Nakasone avait bien déclaré dans les années 1980 que son pays était un " porte-avions insubmersible " ; mais aujourd'hui le Japon apparaît davantage en quête d'autonomie, même si l'alliance demeure vitale dans l'architecture de sécurité de l'archipel. Le Japon n'est pas encore le Royaume-Uni de l'Asie et, alors que le Premier ministre Koizumi cède sa place en septembre 2006, la consolidation de la relation dépendra pour beaucoup de son successeur.

Alors que l'Administration Bush a fait de la guerre contre le terrorisme sa priorité, au risque de se couper des autres préoccupations stratégiques qui dominent l'Asie, l'Union européenne amorce, après l'émotion et l'incompréhension que suscita une possible levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, une prise en compte plus équilibrée des enjeux dans la région. Il importe surtout pour les États-Unis et pour l'Europe de mesurer la globalisation progressive de ces enjeux et de ne pas observer l'Asie au seul miroir de la Chine.

 

Régine SERRA est chercheur associé au Centre Asie Ifri.

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