Visite de Fumio Kishida à Paris. La relation France-Japon mérite mieux
La visite d’État du président chinois Xi Jinping en France a fait la une des journaux. Le président Macron a déroulé le tapis rouge pour accueillir son invité, espérant convaincre la Chine de limiter son soutien à la Russie et de respecter des règles commerciales équitables.
Au-delà de l’effervescence médiatique, les défis et obstacles compliquent les relations bilatérales, et il y a peu à célébrer au-delà du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques.
Quelques jours auparavant, du 1er au 3 mai, la visite à Paris du Premier ministre japonais Fumio Kishida est, elle, largement passée inaperçue. À plusieurs égards, ce déplacement a reflété l’état de la relation franco-japonaise, qui bien que fondée sur des valeurs, des intérêts et des convergences stratégiques solides, demeure sous-exploitée et marquée par des malentendus.
Des convergences stratégiques fortes
Si la raison officielle de la visite de Fumio Kishida à Paris était de présider la réunion ministérielle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il a également pu s’entretenir avec le Premier ministre Gabriel Attal et le président Emmanuel Macron. À cette occasion, de nouvelles coopérations majeures ont été dévoilées dans des domaines stratégiques comme la sécurité économique, notamment la sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour les minerais critiques, et la coopération en matière de défense avec la négociation d’un accord d’accès réciproque (RAA) pour les forces armées.
Alors que Paris et Pékin s’opposent sur des valeurs politiques, leurs visions de l’ordre mondial et diverses questions économiques, le Japon et la France se rejoignent sur l’importance des principes démocratiques, du multilatéralisme et d’un ordre international fondé sur des règles.
Dans le dossier ukrainien, Tokyo s’est solidarisé dès le début des hostilités avec le G7 en offrant un soutien solide et indéfectible à Kiev. De fait, le Japon est le pays d’Asie qui fournit le plus d’aide à l’Ukraine, avec 12 milliards d’euros depuis 2022. Tokyo est même allé jusqu’à assouplir sa législation en matière d’exportation d’équipement de défense pour permettre l’envoi de missiles Patriot fabriqués sous licence vers les États-Unis, afin de remplacer les unités envoyées en Ukraine. C’est la première fois que le Japon fournit une aide militaire indirecte à un pays en conflit. Enfin, Tokyo a joué un rôle majeur pour maintenir l’Ukraine comme priorité de l’agenda international. Il a notamment invité le président Volodymyr Zelensky au sommet du G7 à Hiroshima en mai 2023 et a sensibilisé les pays du « Sud Global » à l’agression russe et à ses implications potentielles en Asie.
Plus largement, Macron et Kishida estiment qu’ils ont un rôle de premier plan à jouer dans l’élaboration d’un nouvel ordre mondial, qui doit passer par la réforme du système de gouvernance internationale, la réduction des disparités Nord-Sud, et la mise en place de régulations dans des domaines tels que la finance verte, les infrastructures, le numérique et l’intelligence artificielle. Autant de thèmes qui figuraient au cœur des discours du Premier ministre Kishida devant l’OCDE. En tant que troisième plus grand donateur d’aide publique au développement, Tokyo soutient activement la décarbonation des économies asiatiques, rejoignant ainsi les initiatives du président Macron telles que le Pacte de Paris pour les peuples et la planète, adopté en juin 2023.
Contrairement à une Chine qui divise, le Japon est également un fervent partisan d’une Europe unie et puissante sur la scène internationale. La mise en place en 2023 d’un dialogue stratégique Japon-Union européenne (UE) rassemblant les ministres des Affaires étrangères témoigne de cette convergence sur les questions de sécurité nationale et complète une coopération bilatérale déjà étendue, notamment dans les domaines clés de la transition verte et du numérique. Ce rapprochement s’inscrit dans la ligne des intérêts fondamentaux du président Macron, qui défend l’idée de faire de l’UE un véritable acteur géopolitique et de renforcer sa souveraineté en multipliant les partenariats.
Dans la région indopacifique, le Japon et la France se considèrent comme des partenaires clés dans la défense d’une région libre, ouverte, prospère et inclusive. Les réunions annuelles des ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays depuis 2014 permettent d’assurer un dialogue stratégique étroit. La France est ainsi le quatrième pays avec lequel le Japon négocie un accord d’accès réciproque pour ses troupes. Il doit faciliter les exercices conjoints sur les territoires français, notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dans le Pacifique Sud, une région où les deux pays ont des intérêts stratégiques. Comme le souligne la nouvelle feuille de route pour la coopération bilatérale publiée en décembre dernier, la France et le Japon entendent coordonner leurs efforts en matière de sécurité maritime, de changement climatique, d’assistance humanitaire et de secours en cas de catastrophe (HADR), de connectivité numérique et de surveillance des opérations d’influence dans cette région.
Une relation sous-exploitée
La relation avec le Japon s’avère ainsi particulièrement stratégique pour promouvoir les intérêts français. Cependant, des frustrations découlant de la lenteur des processus bureaucratiques de part et d’autre et de perceptions erronées persistent et limitent la portée de la coopération. Les responsables français tendent en effet à voir le Japon comme trop aligné sur les États-Unis, tandis que leurs homologues nippons considèrent que la France est généralement trop conciliante à l’égard de la Chine. Cette inquiétude a été alimentée par les commentaires controversés du président Macron sur Taïwan à son retour de Chine l’an dernier.
La France et le Japon auraient intérêt à reconnaître que leurs positions sont en réalité plus convergentes qu’ils ne le pensent. L’approche à plusieurs niveaux du Japon à l’égard de la Chine, comprenant dissuasion, contrepoids et coopération conditionnelle basée sur des mesures de sécurité économique, présente de nombreuses similitudes avec la position française et européenne qui considère Pékin comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, et qui met en œuvre une stratégie de « de-risking ».
Contrairement aux frictions de la relation France-Chine, où des valeurs et des intérêts fondamentaux sont en jeu, les difficultés liées aux perceptions erronées dans les relations France-Japon pourraient être aisément surmontées grâce à un dialogue politique renforcé.
Il est temps pour la France et le Japon d’accroître la visibilité de leur partenariat et d’améliorer leur communication stratégique. De telles mesures renforceraient les liens bilatéraux et jetteraient les bases d’une coopération élargie, d’autant plus que des élections décisives se profilent aux États-Unis cet automne.
*Une version plus courte de cet éditorial a été initialement publiée en anglais sur le site de Nikkei Asia.
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