Elections kényanes de 2022 : la victoire de Ruto et les luttes intra-élitaires
Cette étude vise à mettre en évidence comment et pourquoi William Ruto a remporté les élections présidentielles de 2022 face à Raila Odinga, en se concentrant sur sa stratégie politique avant, pendant et après la campagne.
Les élections de 2022 se sont déroulées dans un contexte politique sans précédent. Pour la première fois dans l’histoire du Kenya, un candidat à la présidence a remporté une élection sans le soutien du président sortant et de l’appareil d’État. Cette étude examine en détail le succès relatif du récit populiste de Ruto, qui a permis de remettre l’économie et un électorat plus vulnérable – les « débrouillards » kenyans – au cœur de la politique kenyane. Il met également l’accent sur les nouveaux alignements politiques et ethniques qui ont permis sa victoire ainsi que ceux survenus à la suite de son accession au pouvoir, en se concentrant sur les luttes entre élites qui ont accompagné sa campagne. Il examine également les stratégies de consolidation du pouvoir du nouveau régime dans les sphères nationale, régionale et internationale.
La première partie de cette étude explicite le succès de la campagne de Ruto en faveur des « débrouillards », dont le message était celui d’une « amélioration économique » pour les « débrouillards » kenyans, en d’autres termes, pour les classes populaires composées de petits agriculteurs et de commerçants. Cette section analyse la campagne politique menée par les deux camps sous cet angle, en s’interrogeant sur les facteurs qui ont favorisé la victoire de Ruto. Nous y démontrons l’efficacité de ce discours en faveur des débrouillards (ou « hustler narrative ») a résidé dans la capacité d’une « nouvelle élite » à se présenter comme issue des rangs des masses kenyanes et en phase avec leurs intérêts, tout en dépeignant ses adversaires comme une « vieille élite » dynastique, responsable des difficultés économiques des Kenyans et éloignée de leurs luttes. L’utilisation par Ruto du christianisme évangélique pour légitimer sa rhétorique lors de sa campagne et son recours notable aux églises évangéliques comme moyen alternatif de patronage témoignent de cette stratégie. Bien que l’économie ait été au cœur de la campagne, la politique ethnique a continué de jouer un rôle de premier plan dans ces élections, comme le souligne le choix effectué par les deux candidats à la présidence de nommer des colistiers d’origine kikuyu.
La deuxième partie de l’étude se concentre sur les huit premiers mois au pouvoir de William Ruto et de sa coalition Kenya Kwanza. Nous soutenons que malgré ses promesses de changer la culture politique, les liens de loyauté et de patronage ont façonné son entourage politique. Les nouveaux fonctionnaires de l’administration servent de canaux de distribution du patronage d’État aux masses, une tactique que le régime a également utilisée pour obtenir une nette majorité au Parlement. L’étude postule également que les politiques susmentionnées et les changements de gouvernement ont, respectivement, affecté négativement les intérêts économiques du leadership de l’opposition – principalement l’ancienne élite qui domine le paysage politique depuis l’indépendance du Kenya – et des masses, ce qui a conduit à des manifestations contre le régime de mars à avril 2023. Nous observons également que le nouveau régime a mobilisé l’idéologie chrétienne, les églises évangéliques et l’État de droit afin de légitimer sa position.
Nous concluons par le bilan des huit premiers mois de William Ruto au pouvoir en évaluant les changements qu’il a entamé en matière de politique étrangère, afin de clarifier le rôle que le Kenya est censé jouer dans la région de l’Afrique de l’Est ainsi que dans la diplomatie internationale au cours des cinq prochaines années. Nous postulons que ces changements ont été principalement influencés par le programme de redressement économique auquel doit faire face la nouvelle administration. Nous soulignons la continuité d’une approche pragmatique, d’un régime à l’autre, de la politique étrangère kenyane, tout en démontrant comment les intérêts de la nouvelle élite au pouvoir jouent un rôle majeur dans ces changements.
Note réalisée par l’Ifri au profit de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées dans le cadre de l’Observatoire de l’Afrique de l'Est et Centrale en partenariat avec l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA-Naïrobi).
Cette étude est disponible uniquement en anglais : Kenya’s 2022 Election. Ruto’s Win and Intra-Elite Struggles
Contenu aussi disponible en :
Régions et thématiques
ISBN / ISSN
Utilisation
Comment citer cette étudePartager
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesLe président spirituel du Kenya et la création d'une nouvelle république : William-Ruto, les évangéliques du Kenya et les mobilisations religieuses dans la politique électorale africaine
Au cours des deux dernières décennies, un nouveau paradigme est apparu en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique : l’influence croissante des églises évangéliques et de leurs dirigeants dans les dynamiques électorales. La croissance numérique et démographique de ces mouvements religieux semble aller de pair avec leur rôle de plus en plus marqué dans la vie politique de ces deux régions, une présence qui a un impact sur les processus électoraux, mais aussi sur les sociétés et les formes que prend la gouvernance.
Turquie-Afrique : une Pax Ottomana entre l’Éthiopie et la Somalie ?
Avec plusieurs objectifs en vue, dont celui de devenir un acteur diplomatique incontournable sur la scène régionale et internationale, Ankara tente de rapprocher Hargeisa et Addis Abeba qui s’opposent sur un accord entre ce dernier et le Somaliland. Si la troisième réunion prévue mi-septembre a été repoussée, l’initiative a permis de préserver un canal de discussion... Et les nombreux intérêts turcs dans la région.
Tchad : de Déby à Déby. Les recettes d’une succession dynastique réussie (2021-2024)
Comme au Togo et au Gabon, la transition qui a eu lieu au Tchad de 2021 à 2024 a abouti à une succession dynastique. Mahamat Idriss Déby a succédé à son père Idriss Déby Itno, qui fut président du Tchad de 1996 à 2021. Alors que la majorité des Tchadiens espéraient une alternance et un changement de gouvernance, le « système Déby » est parvenu à se maintenir.
L'influence de la diplomatie stratégique infranationale dans les relations internationales
L'engagement international des villes et des gouvernements locaux s'est récemment accru et diversifié. Principalement compris par le public comme les liens culturels et académiques cultivés dans le cadre des villes jumelées, ces connexions ont désormais des implications plus profondes et davantage stratégiques.