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La stratégie indopacifique de la France

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Cet article est extrait de la revue Question internationales - n°118 - Avril-mai 2023.

Nouveau théâtre de la rivalité stratégique entre la Chine et les États-Unis, l'espace indopacifique représente un intérêt croissant pour la France. Elle y défend les intérêts liés à son vaste territoire maritime en y promouvant le multilatéralisme et en y nouant de multiples partenariats.

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Papeete, Tahiti, French Polynesia
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La France a été le premier pays européen à adopter, en 2019, une stratégie en Indopacifique. La vaste région indopacifique, qui s’étend des côtes orientales de l’Afrique à l’Océanie et couvre l’océan Indien et l’océan Pacifique, est en effet identifiée comme une zone stratégique décisive à un triple titre : devenue le moteur économique du monde, elle est aussi le lieu où les normes internationales sont de plus en plus remises en question, notamment sur le plan maritime, et enfin l’arène où se joue le futur ordre mondial façonné par la rivalité sino-américaine.

La France est sans conteste une puissance de l’Indopacifique, avec des territoires d’outre-mer situés dans les deux océans, sur lesquels vivent environ 1,5 million de citoyens français. Près de 90% de sa vaste zone économique exclusive (ZEE), la deuxième plus grande au monde juste derrière celle des États-Unis, y est localisée. Enfin, la France entretient des liens d’interdépendance économique vitaux avec cette région traversée par des routes commerciales maritimes et des réseaux de connectivité numérique clés pour ses intérêts de sécurité. La préservation, dans l’Indopacifique, d’un ordre fondé sur le droit participe donc pour la France au maintien d’un environnement géostratégique global favorable à ses intérêts nationaux, ainsi qu’à son ambition universaliste.

[...]

La montée en puissance de la Chine et la "doctrine Macron"

Au cours de la dernière décennie, les évolutions géostratégiques dans l’Indopacifique, et en particulier les avancées de Pékin en mer de Chine méridionale, avec la prise de contrôle et la militarisation de plusieurs îlots revendiqués par d’autres pays riverains, les risques que l’expansion maritime chinoise fait peser sur la liberté de navigation et le déploiement depuis 2013 du mégaprojet chinois d’infrastructures dit "des nouvelles routes de la soie" (Belt and Road Initiative, BRI) ont encouragé la mise en place d'une nouvelle approche française de la région.

L’ouverture d’une base chinoise à Djibouti en 2017 a notamment alarmé le ministère des armées, alors que le déploiement des nouvelles routes de la soie et leurs implications en termes de dépendance économique et politique d’un nombre croissant d’États envers Pékin ont convaincu les ministères des Affaires étrangères et de l’Économie de la nécessité de mieux définir les intérêts français en Asie et de bâtir une stratégie d’ensemble à l’égard de la Chine.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 a donc clairement identifié les risques liés à la montée en puissance de la Chine, en termes d’ambition stratégique (devenir "la puissance dominante en Asie" et "égaler ou surpasser la puissance américaine"), de renforcement militaire (le budget de défense chinois "est aujourd’hui plus de quatre fois supérieur à celui de la France") et de remise en question de l’ordre fondé sur des règles multilatérales (en particulier en mer de Chine méridionale, “où Pékin invoque des droits historiques et emploie des méthodes comme la poldérisation de certains îlots ou la tentative de mise en place d’une zone d’exclusion aérienne pour créer des situations de fait accompli”).

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L'accent mis sur la sécurité

La liberté de circulation maritime et aérienne et le respect du droit international, notamment en mer, sont au cœur des préoccupations de la France. La liberté de navigation en Indopacifique s’impose tout particulièrement comme une préoccupation majeure, puisqu’une perturbation des voies maritimes vitales y aurait des conséquences dramatiques pour la sécurité économique et commerciale de l’Europe tout entière.

À ce titre, la France soutient la stricte application de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, contribue à la lutte contre la criminalité et la piraterie en mer, et souhaite manifester activement son attachement à la liberté de navigation. En 2016, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait déjà souligné la nécessité de décourager les coups de force unilatéraux dans les mers de Chine, de peur que de telles actions ne s’étendent à d’autres zones comme la Méditerranée.

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Une "puissance d’équilibre(s)" ?

La France, à l’instar de l’Union européenne, prône la défense d’une autonomie stratégique sur la scène internationale, y compris dans l’Indopacifique. Paris, en effet, ne s’aligne pas sur la politique indopacifique de Washington, très militarisée et focalisée sur une confrontation croissante avec la Chine.

La France, qui considère que la rivalité sino-américaine est en soi un facteur perturbateur des relations internationales, cherche à atténuer les tensions nourries par la polarisation croissante du monde, en favorisant le multilatéralisme et l’émergence d’un monde multipolaire. L’ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian écrivait ainsi en 2021 : "Au-delà de toute logique de blocs, nous entendons porter jusque dans l’Indopacifique l’ambition d’une troisième voie pour répondre aux bouleversements actuels avec toutes les puissances de bonne volonté."

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Les groupements minilatéraux, reposant sur la participation d'un petit nombre d’États, comme le Quad Pacifique au sein duquel la France, l’Australie, la Nouvelle Zélande et les États-Unis participent à des opérations de surveillance maritime dans les ZEE des États insulaires, sont également considérés comme une "forme efficace de multilatéralisme" et sont privilégiés pour aborder des questions spécifiques, du changement climatique à la gouvernance des biens communs (océans, Internet).

Le choc AUKUS et la pérennité de l’approche française

Pour les autorités françaises, l’annonce du pacte AUKUS, en septembre 2021, a constitué un choc. Paris n’avait jamais été consulté, ni n’avait reçu de notification préalable, malgré l’importance de l’accord (qui doit notamment permettre à l’Australie de se doter de sous-marins à propulsion nucléaire) et ses énormes implications pour les intérêts de la France, notamment la rupture brutale du contrat signé par la société française Naval Group en 2016, qui prévoyait la livraison à Canberra de douze sous-marins conventionnels.

L’annonce de l’accord AUKUS a provoqué une crise de confiance entre la France et ses trois partenaires occidentaux, en mettant en lumière les divergences de points de vue sur la meilleure façon de promouvoir un nouvel ordre indopacifique fondé sur le droit et de relever le défi chinois. L’AUKUS a donc remis en question le positionnement stratégique de la France dans l’Indopacifique, soulignant le risque d’une mise à l’écart de Paris alors que la rivalité sino-américaine s’exacerbait.

[...]

La pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine n’ont pas modifié l’agenda français. Elles ont plutôt souligné l'importance des développements dans l'Indopacifique pour les intérêts de Paris et l’interconnexion entre les théâtres sécuritaires et économiques asiatique et européen. Depuis quelques mois, les tensions grandissantes dans le détroit de Taïwan pressent plus que jamais la France d’expliciter son rôle dans un éventuel conflit ouvert entre Taïwan et la Chine, dont les conséquences seraient mondiales.

 

>>> Lire l'article dans son intégralité sur le site de Vie Publique.

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Céline PAJON

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Chercheuse, responsable de la recherche Japon et Indo-Pacifique, Centre Asie de l'Ifri

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L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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