Mythologies de l'international
La culture internationale contemporaine est imprégnée de mythes. Trois d’entre eux occupent une place particulière: celui de l’universel, celui de la paix et celui de la suprématie du droit. Les mythes peuvent être bénéfiques à condition de ne pas oublier qu’ils ne sont que des interprétations et non des vérités absolues. C’est précisément cet oubli qui pourrait porter préjudice aux Occidentaux, créateurs et exportateurs des principales mythologies de l’international.
Phénomène si avéré, si vivant, la mondialisation finit par engendrer une culture-monde, un cosmos doté d’une logique interne où émergent des valeurs, des finalités, des comportements qui se répondent les uns aux autres. Il s’agit bien d’un monde global, au-dessus des mondes particuliers, construisant ses propres références – qu’il emprunte certes aux cultures sous-jacentes –, mais qui prennent le visage d’une nouvelle entité.
Un monde culturel entretient toujours ses propres mythes, qui forment à eux tous une histoire cohérente. Il ne faudrait pas ici entendre le mot mythe au sens, fréquent aujourd’hui, d’un mensonge ou d’une fable tout juste bonne à émerveiller les esprits arriérés. Au sens classique, le mythe est une histoire signifiante, une interprétation qui donne sens à un univers dont la vérité objective nous échappe toujours. Il n’y a que le rationalisme pour voir dans le mythe un songe creux. Nous sommes, je crois, vaccinés aujourd’hui contre le rationalisme, et nous savons bien que la raison ne saurait répondre à toutes les questions qui nous hantent. Si nous sommes des êtres rationnels, nous vivons aussi de valeurs, d’idéaux et d’interprétations. Aussi chaque culture s’enracine-t-elle dans une mythologie, une architecture de mythes qui donne un sens à son existence, légitime ses vouloirs et nourrit ses espérances.
Il existe bien une culture internationale en formation, un art de vivre et de penser qui confère une figure au maillage de relations multiples distinguant le monde d’aujourd’hui de celui d’hier (même si jamais les cultures n’ont été fermées sur elles-mêmes au point de s’ignorer réciproquement). Pourtant, cette culture diffère de celles, particulières, qui, partout dans l’histoire, ont émergé autour d’un lieu et à travers des peuples singuliers. Les cultures particulières sont circonscrites chacune dans le temps d’une histoire propre et l’espace d’une géographie visible. Des lois garanties par des souverainetés rassurent leurs valeurs et leurs mythes. Elles sont mouvantes et métamorphiques, mais affirmées, tandis que la culture internationale en gestation surgit d’un ensemble enchevêtré de comportements et d’affirmations qui se croisent et se superposent dans une sorte de désordre créateur. Ici, point d’autorité superlative pour donner le la. Ce sont les pensées les plus puissantes qui s’imposent, mais plutôt par une bonne communication que par la légitimité conférée par une instance. […]
PLAN DE L’ARTICLE
- Progrès et universalisme
- La paix
- Le droit, futur substitut de la politique
Chantal Delsol, professeur de philosophie à l’université de Marne-la-Vallée, est directrice de la collection 'Contretemps' aux éditions de la Table ronde. Auteur de nombreux ouvrages, traduits en une dizaine de langues, son dernier titre de philosophie s’intitule : La Grande Méprise. Justice internationale, gouvernement mondial, guerre juste... (Paris, La Table ronde, 2004).
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
Mythologies de l'international
En savoir plus
Découvrir toutes nos analyses2029, la grande renaissance asiatique
Les Asiatiques ont été dominés et parfois humiliés par les Occidentaux au cours des deux derniers siècles. Ils abordent aujourd’hui l’avenir avec confiance. En 2050, les deux premières puissances mondiales devraient être la Chine et l’Inde. La grande renaissance asiatique engendrera des bouleversements géopolitiques. Les tensions sino-américaines sont déjà visibles et des conflits pourraient émerger entre puissances asiatiques. Toutefois, le choc des civilisations n’est pas inévitable.
Le Moyen-Orient en 2029
Les guerres qui ravagent aujourd’hui le Moyen-Orient n’ont pas vocation à se poursuivre éternellement et la région n’est pas vouée à être dirigée par des autocrates. Une transition vers un ordre plus juste pour les populations est possible mais elle prendra du temps. Il est peu probable qu’elle advienne d’ici 2029. Les progrès viendront graduellement, poussés par la société civile. De nouvelles révolutions sont possibles mais il n’est pas sûr qu’elles produisent davantage de démocratie.
Les Afriques en 2029
De réels progrès dans la diversification de certaines économies, ainsi qu’une réhabilitation des actions publiques en la matière, ont modifié, depuis les années 2000, les conditions générales de développement du continent. En matière politique, et au-delà des exigences de démocratie électorale formelle, trop souvent détournées, c’est une véritable reconstruction des États qui s’avère nécessaire, pour intégrer les régions marginalisées, et développer la coopération régionale et continentale.
Les fonds souverains du Golfe, acteurs majeurs de la finance mondiale
La mission principale d'un fonds souverain est de constituer une épargne nationale à long terme destinée aux générations futures, en diversifiant ses investissements sur les plans sectoriel et géographique. Dans cette logique, les pays du Golfe ont alimenté pendant de nombreuses années leurs fonds souverains grâce aux gigantesques rentes pétrolières, notamment lorsque les cours du brut étaient au plus haut, atteignant un record historique de 143 dollars le baril en 2008.
Lors de la crise financière de 2007-2008, leur intervention a été déterminante dans le sauvetage du système financier, avec l'injection de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans le capital des institutions financières. Depuis, ils n'ont cessé de gagner en crédibilité, en sophistication et en technicité. Ainsi sont-ils à la pointe en matière d'investissement dans l'Intelligence artificielle (IA) et la transition énergétique. De nouvelles orientations dans leurs stratégies d'investissement peuvent avoir des répercussions majeures sur l'écosystème financier mondial.
Aujourd'hui, les fonds souverains du Golfe sont devenus de véritables titans de la finance. Leur influence grandissante reflète un poids financier colossal et une montée en puissance aussi fulgurante que structurée. Voici dix ans, ils contrôlaient collectivement environ 2 000 milliards de dollars d'actifs sous gestion (assets under management, AUM). En 2025, ce montant a plus que doublé pour atteindre plus de 5 350 milliards de dollars, soit près de 40 % des AUM des fonds souverains dans le monde, estimés à 13 000 milliards de dollars. Le golfe Arabo-Persique est ainsi devenu le centre de gravité mondial des fonds souverains.
François-Aïssa Touazi est senior managing director chez Ardian, leader européen du capital-investissement, en charge des relations investisseurs et des affaires publiques. Il est aussi vice-président des conseils France-pays du Golfe au Medef International et préside la task force sur les fonds souverains.
Article publié dans Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025.