La Russie de Vladimir Poutine : un virage vers le passé ?
Le régime de Vladimir Poutine, replacé dans l’histoire de la Russie, ressemble à un nouvel avatar du pouvoir russe traditionnel, monolithique et personnalisé, la séparation des pouvoirs n’y étant que théorique. Toute la question est donc de savoir comment Poutine peut réussir à concilier deux facettes opposées de sa personnalité – l’aspect réformateur pro-occidental et l’aspect politique autoritaire –, et comment peuvent évoluer ses choix initiaux de politique étrangère, plutôt favorables à l’Occident.
L’automne 2003 a montré que la stabilité politique russe était fragile, voire illusoire. L’assaut du pouvoir contre l’un des principaux oligarques, la division de la classe politique, l’influence croissante de la bureaucratie et des structures de force, la défaite des démocrates et libéraux aux législatives de décembre, et l’émergence d’une puissante force national-populiste : tout témoigne des changements de la vie politique russe.
Le vieux système russe est-il fini ?
« Tout a changé et tout est comme avant », remarque l’écrivain Fazil Iskander à propos de la politique russe. Vladimir Poutine a pu démontrer que la société russe, dans la courte période qui la sépare de la chute du communisme, a abandonné les principes clés d’une organisation du pouvoir qui se perpétuait depuis des siècles. Ce pouvoir est désormais légitimé par des élections et non par la violence, l’idéologie, la prééminence d’un parti ou la succession monarchique. La Russie ne se cherche plus dans la confrontation avec l’Occident ni par l’élection d’un ennemi extérieur. L’économie continue à évoluer vers le marché, avec un contrôle d’État décroissant et toutes les conséquences qui en découlent pour les libertés individuelles. Enfin, la limitation des ressources du pouvoir rend désormais plus improbable le retour de la Russie vers la dictature.
Que reste-t-il donc du système russe traditionnel ? D’abord, un mélange des genres qui s’exprime dans la fusion, au moins partielle, des affaires et de la politique, du privé et du public, comme dans les tentatives du pouvoir de modeler les institutions politiques d’en haut. Ce pouvoir demeure personnalisé et monolithique, la séparation des pouvoirs n’existant pas. Le leader concentre les principaux moyens et les capacités de contrôle de la société. Il se trouve en réalité placé hors de la société et du système politique : personne ne le contrôle. Le fonctionnement du pouvoir comme « verticale » administrative et son institutionnalisation démocratique sont en réalité incompatibles. Le pouvoir doit certes être élu, mais c’est lui qui désigne les candidats… Et en utilisant les élections comme instrument de légitimation de nominations préalables, il tente en réalité de marginaliser les électeurs. Les vieilles habitudes ont la vie dure. « Règles du jeu strictes et résultats non garantis » : à ce principe de base de la démocratie libérale, les élites russes préfèrent des règles du jeu vagues et un résultat sûr… [...]
PLAN DE L’ARTICLE
- Le vieux système russe est-il fini ?
- La logique d’un régime
- Le pouvoir comme système de tensions
- Le choix de Vladimir Poutine
- L’Occident et les réformes russes
Ce texte a été publié pour la première fois dans le n°1:2004 de Politique étrangère.
Lilia Shevtsova est Senior Associate au Carnegie Endowment for International Peace et directeur de programme au Moscow Carnegie Center.
Le texte est traduit du russe par Svetlana Lomidzé.
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De Nicolas II à Vladimir Poutine, la Russie est passée, au cours du XXᵉ siècle, par bien des métamorphoses. À l'empire tsariste d'avant la Première Guerre mondiale succède l'Union des républiques socialistes soviétiques, l'URSS, dont la vocation révolutionnaire internationaliste exprimée par Lénine cède à l'impérialisme soviétique, continental avec Staline, mondial avec Khrouchtchev et Brejnev. Devenue une superpuissance après 1945, la « patrie du socialisme » ne peut résister à l'éclatement de l'empire qu'annonce la chute du mur de Berlin, en 1989 : en 1991, la Russie renaît donc sur les débris de l'empire, et, avec elle, une nouvelle page de l'histoire russe s'ouvre devant les yeux inquiets du monde. Mais en dépit de ses spécificités et des tensions diverses qui l'ébranlent, entre Nord et Sud, Orient et Occident, christianisme et islam, la Russie fédérale entend bien s'intégrer enfin dans la communauté des grands États et cesser d'être considérée comme un acteur à part des relations internationales.
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